Ce n'est pas la première fois qu'il se le dit. Et ce n'est sûrement pas la dernière. Mais le bleu du ciel est étonnant. Etonnant et stupéfiant, éblouissant et apaisant, impressionnant comme réconfortant. Finalement, il n'est pas certain qu'une autre couleur, ou qu'un autre ciel, puisse lui plaire autant que celui-ci. Précisément celui qui se peint dans ses yeux, quand il relève la tête. Précisément celui qui n'est parcouru par aucun nuage. Précisément ce déchirement fascinant dans la toile de la réalité. Une fraicheur sans pareil, qui jamais ne quittera sa mémoire. Ce ciel, ce bleu, cette peinture qui dégouline, cette mer qui flotte. Une teinte sans égal.
Il piétine l'herbe blanchie par la rosée. Les mains dans les poches, le blouson fermé, un casque rouge sur les oreilles. Il souffle, voilà la buée. Il l'aime, cette fumée légère et inégale, qui soudainement se retrouve à la bouche de chacun. Elle est comme un souffle qui s'alourdit dans une envolée inarrêtable ; cette invisibilité des mots qui décide de s'exprimer. Alors, il se demande si la buée prend certaines couleurs, quand les gens disent certaines choses.
Près d'un arbre, il s'arrête net. Il regarde les alentours, et ignore le bâtiment qui se veut beau. Il ignore les gens qui se veulent spéciaux, ou ceux qui se veulent comme tout le monde. Il ignore son existence. Et il se concentre sur la musique. Les notes qui résonnent. Les couleurs qui l'emprisonnent. Il ferme ses yeux cernés, et remue la tête lentement. Etrange, elle le fait se sentir bien. Etrange, elle lui fait oublier. Etrange, elle lui ressemble.
Jimin reprend son chemin. C'est le lycée, c'est la fin de la pause, c'est vendredi, le dernier qu'il doit passer dans l'endroit étrange (ici, étrange n'est réellement pas positif) avant les vacances. Il entre dans le bâtiment. Il se fond dans la masse. Il se rend dans la classe. Il attend. Puis il sort. C'est le midi.
Son attelle est bleue, immonde. Son pull est rouge. Son manteau est violet et vert. Ses chaussures sont blanches. Ses yeux sont ciel. Et le ciel est mer. Tout s'assemble plutôt logiquement. Tout s'assemble pour former cette toile, qui parait naturelle. Mais Jimin sent au fond de son cœur que quelque chose doit changer. Jimin a cette drôle de sensation, comme une tempête douce qui s'acharne tranquillement contre sa poitrine, sans raison.
Seul, il n'a pas encore vu Violette, et n'a pas eu le courage d'aller parler à Jungkook.
Il suit le chemin vers la cantine (qui se trouve dans un autre bâtiment) que tout le monde emprunte. Son genou lui fait toujours un peu mal, et sa mère l'a un peu réprimandé, quand elle a appris qu'il avait fait du vélo, même avec cette blessure. C'est elle qui l'a emmené au lycée ce matin. Dans la voiture, elle lui a demandé s'il allait bien. Il a répondu que le ciel était beau.
Parce que c'était vrai.
Jimin ne sait pas comment il se sent. Mais quelque chose change en lui, et il le sait.
À la cantine, il est seul. Il mâche nonchalamment le hachis parmentier qu'on lui a servi sans trop lui demander son avis. Puis il y renverse son entrée. Il se saisit ensuite d'une pomme (rouge), et il croque dedans, laissant apparaître la chair (couleur qui n'est pas à préciser). Il enfile son casque (pomme), et écoute toujours la même chanson. Il regarde les alentours, la foule qui hurle, les couverts qui s'entrechoquent, l'hypocrisie qui s'harmonise. Il se demande ce que tout le monde fait là. Puis il regarde le faux bois de la table. Et le plastique de son plateau. Et le sourire des gens à la table d'à-côté. Alors, le creux dans son cœur s'agrandit, jusqu'à l'étouffer.
Jimin se relève, sort en précipitation de l'endroit bruyant. Il regarde le beau ciel.
Et soudainement, Jimin avale le ciel.
Avec tout ce ciel dans son corps, il marche de nouveau vers le lycée, rapidement, déterminé.
De nouveau à l'intérieur, de nouveau dans le bâtiment étrange où les rêves sont méticuleusement démolis. Jimin se rend dans chaque salle de permanence. Il cherche dans tous les endroits où les gens se mettent à l'abris du froid, où ils fuient le ciel puissant.
Et, au détour d'un couloir, devant un distributeur de café, il la croise. Elle porte des collants épais, en-dessous d'une jupe. Elle porte un pull sacrément coloré, rentré dans sa jupe, mais seulement sur l'avant. Un manteau gris est posé par-dessus son sac transparent, juste à côté d'elle. Elle porte un bonnet, qui cache le haut de ses cheveux à peu près roux. Un surveillant passe et lui demande de le retirer, elle ne le fait pas. Elle tient un gobelet dans une main, parle avec l'autre main à une fille qui l'écoute et qui hoche la tête. Puis, la fille qui hoche la tête fait un mouvement de tête (peut-être ne sait-elle faire que ça, bouger la tête) un peu agacé dans la direction de Jimin. Violette se retourne. Elle le voit, fronce les sourcils. Jimin s'approche, elle ne bouge pas. Jimin s'approche encore, elle cède.
À part, l'un en face de l'autre.
« Qu'est-ce qu'il y a.
-Je suis désolé. »
Là, Violette commence à s'énerver, sincèrement.
« C'est trop facile, Jimin. Je suis pas un simple jouet, ou une distraction avec laquelle tu peux t'amuser, puis me casser et attendre et puis faire comme si rien ne s'était passé, ou simplement dire désolé. Ça suffit plus. Tu m'as blessée, vraiment. Je suis un être humain aussi, tu sais, et tu n'es pas le seul à avoir des sentiments. T'es pas le seul à te poser des questions. T'es pas le seul à...
-Je voulais pas te casser. Je suis vraiment désolé. Je voulais vraiment pas. »
Jimin tend alors la main, pour lui donner une enveloppe, dans laquelle se trouve une feuille, entièrement peinte de Violet. Il lui demande de l'ouvrir, quand elle sera prête.
Des larmes montent aux yeux de Violette, qui cache l'enveloppe fermée au fond de sa poche. Et si c'était la première fois qu'ils se retrouvaient dans les couloirs pour s'excuser, sûrement qu'elle lui dirait quelque chose comme « t'abuses » et qu'elle lui taperait sur l'épaule pour lui faire comprendre qu'elle le pardonnerait. Mais là, ses lèvres se pincent l'une contre l'autre, et son menton semble presque trembler.
« Je sais pas, Jimin... Plus tard, peut-être. »
Rapidement, elle se retourne, avant de partir sans un mot de plus.
Jimin l'observe encore un peu, avant de tourner le dos. Il n'arrive pas vraiment à lui en vouloir. Il retourne sur ses pas. Il retraverse tous les couloirs, rapidement. Par une fenêtre il aperçoit le bleu pâle du ciel. Et alors, il sait comment il se sent. Jimin se sent vide. Simplement vide.
Mais ce n'est rien.
La sonnerie retentit. Il se mêle dans la foule, sans se sentir à part, sans se sentir de trop, parce qu'il ne sent plus rien. Il se rend dans la salle de cours qui l'attend. Il s'assoit dans le fond, seul. La classe se remplit peu à peu, le professeur parle. Quelques tables devant, Jungkook et Jin discutent, rient, se font reprendre.
Jimin essaie de s'accrocher au cours. Pour la première fois, il ne regarde pas trop par la fenêtre et ne pense pas au pourquoi de tout ce qu'on essaie de lui apprendre. Il essaie de comprendre ce que le professeur raconte, sans essayer de remettre ses dires en question. Et c'est drôle comme tout paraît plus léger, voire intéressant.
Quand les cours s'achèvent, Jimin se dépêche hors de la salle. Il attend dans le couloir, le cœur presque battant, les pensées presque vides. Les élèves hurlent la délivrance, parce que la journée est terminée. Et Jungkook passe devant lui, la tête baissée. Jimin s'apprête à lui adresser la parole, mais il ne ralentit pas, et ne l'écoute pas vraiment. Le garçon blond dit : « Attends ! », mais rien n'y fait.
Le bras en l'air, à moitié déplié en direction de son ami qui le fuit, Jimin fronce les sourcils. Il attrape les bretelles de son sac, et reste figé là. Jungkook est déjà loin. Et alors que Jimin commence à se perdre dans des couleurs trop lourdes, une voix accueillante l'interpelle.
C'est Jin. Il essaie de paraître rassurant, en disant :
« Viens chez moi, demain après-midi. »