Hoseok à table. Hoseok qui mange une carotte, une seule, la seule qu'il y avait dans son assiette. Elle est arrivée ici par pure erreur. Hoseok qui regarde par la fenêtre le ciel bleu-nuit, très nuit. Hoseok qui mange une pomme de terre, un peu lentement, qui se demande s'il n'a pas l'air d'un ruminent comme ça. Hoseok qui pense beaucoup, qui adorerait avoir un écouteur. Hoseok qui pense à la fille de l'immeuble d'en face, se demande ce qu'elle fait pour vivre, ce qui la faisait pleurer ; si elle aurait pleuré, dans un monde où c'est elle qui a observé Hoseok s'effondrer et non l'inverse. Hoseok qui mange sa pomme de terre, sa patate, son féculent. Tant de mots pour pas grand chose. Et si peu pour ce qu'il ressent ; aucun mot pour cette tristesse non-assumée et ce sentiment de vide total, cette sensation de manquer de quelque chose et cette envie de vivre. Parfois, le langage est mal foutu. Alors Hoseok mange sa pomme de terre en se demandant pourquoi elle, elle a le droit à autant de noms.
Et puis, le plan s'élargit (parce qu'Hoseok aime se dire qu'il est toujours dans un film). Le cadre n'est plus centré sur le garçon perdu qui mange une pomme de terre, il montre une famille. Ce qui ressemble à une famille, en tout cas. Hoseok avait oublié, un instant, qu'il n'était pas seul. Il avait oublié ces personnes qui l'entouraient. Son frère qui regarde rapidement son portable avant de le ranger dans sa poche, suite à un regard menaçant de sa mère, qui écoute son père parler. Hoseok n'écoute qu'à moitié. En réalité, non, il n'écoute pas du tout. Hoseok s'ennuie, s'embête, se languit, s'emmerde ; encore quelque chose qui a bien trop de noms.
Hoseok pense. Il pense, en mangeant. Il pense, en respirant. Il pense, en existant. Il se dit que c'est bientôt les vacances. Il se dit que ce serait bien s'il pouvait aller voir Jimin pendant les vacances. Parce que même s'il a trop peur de lui donner de l'importance, même s'il n'ose pas l'appeler ou qu'il n'a pas envie de l'embêter, il pourrait le croiser par hasard, devant la mer, au marché, sur la place de l'église. Il se dit que ce serait pas plus mal, qu'ils se voient. Qu'ils parlent un grand coup. Qu'Hoseok s'excuse d'être parti trop vite, que Jimin lui dise que c'est franchement rien, qu'ils s'embrassent, encore, langoureusement, et qu'ils aillent chez Jimin ou chez lui, pour sentir comme un cœur peut battre étrangement, ou pour réaliser comme un nuage peut être éternel. Tout ça. Et puis aussi, il pourrait lui demander. Il pourrait savoir.
TOI AUSSI?
Est-ce que toi aussi, tu te sens si perdu?Hoseok se dit que ce serait bien, s'il retournait là-bas, pendant les vacances. Depuis la nuit du film, c'est ce qu'il n'arrête pas de se répéter. Que ce serait vraiment bien. Mais surtout, il se dit qu'il faudrait en parler à ses parents rapidement, parce que les vacances sont en réalité vraiment proches. Hoseok se dit que ce serait bien, s'il savait parler à ses parents, leur dire tout ce qui se passe dans sa tête, leur avouer tout ce qu'il est capable de ressentir.
Ouais, ce serait le pied.
Hoseok a essayé, deux trois fois, de le proposer à sa mère. Mais il n'a pas réussi. Il ne savait pas comment l'annoncer, comment expliquer pourquoi il en a tant envie, comment parler. Simplement parler. Hoseok ne sait pas faire ça, il ne sait pas s'exprimer, parce qu'il se perd souvent dans tout ce qu'il aurait à dire et qu'il n'ose pas dire autant, alors il s'arrête au plein milieu de ses phrases. C'est un peu lourd, parfois. Surtout quand les gens se mettent à imaginer que c'est parce qu'il n'a rien à dire. C'est aussi ce qu'il est capable de penser de lui-même. Qu'en fait il n'est rien capable de vraiment penser ou de dire. Et puis alors, il réalise que quand Jimin était avec lui, il n'y avait pas toutes ces questions, et qu'il finissait toujours ses phrases, sans avoir à réfléchir. Encore une fois, c'est lourd. Parce qu'Hoseok se dit qu'ici, il ne se sent pas bien, et que là-bas, c'était vachement mieux.
Alors il s'énerve, contre lui-même. Toujours en mangeant, toujours en filtrant les discussions environnantes, toujours en fixant la fenêtre bleu-nuit, très nuit. Il se dit que ce n'est qu'un incapable. Que ce serait plus simple s'il n'était pas aussi indécis ou aussi « introverti ». Hoseok se dit beaucoup de choses, trop de choses, et une énième fois, ça devient lourd. Hoseok ne se dit plus des choses, il se les hurle. Il se hurle de réussir à parler. Il se hurle de s'exécuter, parce qu'il s'était promis qu'il leur demanderait ce soir, à ses parents, s'ils pouvaient partir là-bas. Son cœur accélère, son sang afflue partout autour de son crâne, ses mains se crispent. Il va y arriver. Il doit y arriver. Après tout, ce ne sont que quelques mots.
« -Eh oh.
-Hm? »
Il relève les yeux subitement. C'est son frère, qui l'a un peu secoué à l'épaule. Il le regarde bizarrement, son frère, comme si Hoseok n'était plus en vie. Comme s'il semblait être en vie avant ce soir. Puis Hoseok avale sa bouchée, sent son cœur continuer sa folle farandole.
« -Tu étais parti où ? demande sa mère amusée.
-Je pensais.
-Tu pensais. rétorque son père.
-Oui.
-Et à quoi tu pensais ? interroge sa mère, le plus gentiment possible. »
Mettant à part le fait que cette question est terriblement intrusive et que personne ne devrait jamais, jamais la poser, Hoseok sent que c'est le moment. Celui où il devrait le dire. Il n'y aurait qu'un petit nom à prononcer, une petite phrase.
« -Jimin. »
« -Je pense à Jimin. »
« -Je me dis que c'était bien l'été. »
« -J'aimais bien être là-bas, avec Jimin. »
« -JIMIN. »
Et pour une fois, Hoseok aimerait qu'il y ait moins de manières de dire tout cela. Parce que là, ça ne le fait que culpabiliser encore plus. Il se décourage, en pensant aux questions qu'ils poseraient, et à toutes les réponses qu'il devrait trouver, alors que lui-même n'en a pas réellement. Il se décourage. Alors il ne dit pas grand chose, rien d'honnête.
« -À rien. Je pensais au vide. »
Les autres hochent la tête. Son père le regarde étrangement.
« -C'est pas comme ça que tu vas nous ramener une petite amie, lâche-t-il pas très adroitement ni sérieusement, un peu vulgairement. »
Hoseok ne l'écoute qu'à moitié, fait mine de n'avoir rien entendu. Les autres reprennent vite leurs discussions un peu futiles aux yeux de l'adolescent, déjà retombés dans le bleu-nuit de la fenêtre. Et le diner passe, et les patates sont toutes mangées, si bien que dorénavant le seul mot qui les désigne vraiment, c'est vide. Et peut-être que finalement, c'est vrai, Hoseok pensait au vide. Parce que tout ça, c'est déjà rongé par le passé.
Il y repense dans son lit, avant de s'endormir.
Peut-être bien que Jimin n'en a plus rien à faire ; mais ce qui est certain, c'est que lui, il ne se sent toujours pas à sa place, dans cette foutue ville.