Chapitre 10

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Seulement mardi, et Edouard est déjà pressé d'en finir avec cette semaine qui ne fait pourtant que commencer. Il s'est résigné à l'idée qu'il n'y a probablement pas de jeu de piste d'entreprise, n'ayant depuis la semaine précédente ni découvert aucun indice ni entendu aucun de ses collègues parler d'un mot trouvé sur leur bureau ou où que ce soit d'autre. C'est dommage ; une distraction lui aurait fait du bien. Il a recommencé à manger avec ses collègues, mais la présence d'Hortense lui laisse toujours une impression douce amère.

La douceur de la voir rire, de sentir leur complicité, leur accord ; leur compatibilité tout simplement. Elle agit comme si de rien n'était, comme si rien ne s'était jamais passé. Peut-être qu'il sera possible pour eux de rester véritablement amis, mais l'amertume finit toujours par prendre le dessus et par l'empêcher de profiter de la compagnie d'Hortense. Il lui en veut. Il lui en veut de l'avoir fait choisir entre elle et ses principes. Et il lui en veut de le mettre dans une situation où, au final, il renonce à la fois à elle et à ses principes. Au final, il est quand même obligé de mentir.

Georges, qui est le collègue d'Edouard mais avant tout un de ses amis, est assis avec eux, mange avec eut, rit avec eux. Et Edouard est meurtri de sentir qu'il se sent maintenant si loin de lui, qu'il a l'impression de le trahir, de lui mentir. Tout ça a cause d'Hortense, et pour rien au final ; vu qu'ils ne sont même pas ensemble. C'est justement pour ça qu'ils ne sont pas ensemble, justement le genre de situation qu'il voulait éviter : devoir cacher quelque chose, masquer qui il est et ce qu'il ressent. Il pourrait être avec Hortense, si seulement il avait accepté de garder leur relation secrète aux yeux de tous leurs collègues. Mais cette condition semble pour Edouard inacceptable : elle lui demande de trahir ceux dont il est proche, de devenir un être double, de passer sept heures par jour à faire semblant d'être quelqu'un d'autre que ce qu'il est.

Ils auraient pu ne rien dire à leurs collègues, oui, c'est ce qu'on pourrait se dire. Mais, bien entendu, il aurait quand-même fallu mentir. Mentir sur des petites choses de rien du tout, mais mentir tout de même ; mentir sur presque tout, être en vigilance constante. Ne pas pouvoir passer le week-end ensemble sans préparer chacun une réponse différente à la question de comment ils ont occupé leur temps. Emprunter en fin de journée des itinéraires différents pour se retrouver ensuite. Faire attention aux jours de congés posés en même temps, aux sourires, aux regards, à ne pas adopter un vocabulaire trop similaire. Devoir poser à Hortense des questions sur des choses qu'il sait déjà mais n'est pas censé savoir. Ne pas pouvoir souligner un élément qui leur rappelle un souvenir ni glisser une référence dans une phrase sans risquer d'attirer les questions.

Oh, il aurait réussi avec brio ; il n'y a pas de doute à ça. Ce n'est pas là le problème. Mais qui serait-il devenu ? Il aurait eu l'impression de se perdre, de se trahir. Et il aurait perdu le lien qu'il entretient à présent avec ses collègues qui sont aussi des amis, à qui il n'aurait pas supporté de mentir. Mais à présent, par respect pour Hortense, il se doit tout de même de leur cacher quelque chose. Il ne peut pas se permettre de leur dire ce qui a failli arriver. Il ne peut pas leur dire son amertume, sa déception. Alors au final il leur ment tout de même, d'une certaine façon. Il se sent quand même en train de jouer un rôle. Il aimerait tant pouvoir s'épancher, partager son ressenti. Mais il ne peut pas faire ça à Hortense. C'est trop important pour elle de garder ça privé, elle ne lui pardonnerait jamais.

Il a renoncé à Hortense parce que la condition qu'elle posait revenait aux yeux d'Edouard à vivre une vie de mensonges. Et, à présent, mangeant à la cantine avec elle et Georges, il constate à quel point la requête d'Hortense était infondée. A la table en face de la leur, il observe le nouveau RH, sur les lèvres duquel vient se poser un tendre baiser. Il reconnaît Johanna, du service communication. De la façon la plus naturelle du monde, elle rejoint Cédric à la cantine et l'embrasse avant de partager son repas avec lui. Personne ne semble y prêter attention, si ce n'est Edouard.

Au fil des signesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant