Chapitre 25

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Mélodie est soulagée, venant enfin d'envoyer le mémoire sur lequel elle travaillait depuis des mois. C'était son premier projet de recherche, et elle se dit que le domaine de la psychologie expérimentale n'est décidément pas celui qui lui convient. Trouver une idée de recherche l'a passionnée. Mais devoir harceler des gens afin de trouver des volontaires qui acceptent de participer, puis répéter la même expérience une centaine de fois, et ensuite effectuer tout un tas d'analyses ; tout ça pour au final n'arriver à aucun résultat significatif ? C'est juste déprimant. Mélodie, actuellement étudiante en licence de psychologie, veut devenir psychologue au sens où les gens entendent le mot naturellement ; être une psy assise en face de son patient dans son cabinet. Elle a beaucoup d'admiration pour les chercheurs, et l'intention d'exploiter leurs découvertes pour favoriser le bien-être et la santé mentale de ses patients, mais certainement pas la patience nécessaire pour se consacrer elle-même à des recherches.

Malheureusement, la licence de psychologie est générale, et il faut bien faire de son mieux dans chacune des matières. Pour ce devoir dans cette discipline à laquelle elle ne se sent pas particulièrement connectée, Mélodie a donc fait malgré tout le travail qui lui était demandé ; elle s'est appliquée et aura probablement une bonne note. Qu'importe que ses résultats n'aient pas été significatifs ? Ce n'est pas de sa faute à elle. Elle a suivi la méthodologie à la lettre et été rigoureuse. Cent-cinquante sujets ont passé sont expérience, mais ce n'est quand même pas assez. Les résultats n'indiquent rien d'autre que « On ne peut pas exclure que les relations trouvées puissent être dues au hasard. » Tous ces efforts pour ça !

Mélodie arrive à comprendre ce que ses professeurs de statistiques expliquent, mais une part d'elle-même refuse toujours d'y croire. Ça semble complètement ahurissant, que les chiffres puissent révéler si quelque chose est dû ou non au hasard. En fait, les chiffres sont même encore plus têtus que ça : ils peuvent révéler que quelque chose n'est pas dû au hasard, mais ils ne peuvent pas vraiment révéler que quelque chose y est dû. Soit on peut dire que les résultats sont trop improbables pour être dû au hasard, et donc on a vraiment prouvé quelque chose ; soit on ne sait pas. Et dans le cas de l'expérience qu'elle a réalisée, on ne sait pas. Peut-être qu'en répétant l'expérience plus de fois encore, avec plus de sujets encore, on pourrait finir par trouver quelque chose de plus concluant. Mais très peu pour Mélodie ! Elle a fait le travail qui lui était demandé, c'est fini pour elle. Quelqu'un d'autre, si ça lui chante, pourra chercher à déterminer si les indices visuels sont plus déterminants que les indices sonores dans la détection du mensonge.

Elle est quand même un peu déçue. Dire qu'elle a envoyé son mémoire à tous ceux qui ont participé à son expérience, et qu'ils n'y comprendront à tous les coups rien du tout. Oui, les analyses effectuées révèlent que l'on ne sait toujours pas. Elles ne révèlent pas que les indices visuels et sonores sont équivalents, juste que la différence n'est pas assez importante pour pouvoir aboutir à une conclusion. Peut-être est-ce dû aux conditions spécifiques de l'expérience que Mélodie a menée, ou peut-être n'y a-t-il vraiment pas de différence en général. Dans une prochaine expérience, on pourrait tester ce que ça donne avec des mensonges écrits, vu que Mélodie s'est contenté de comparer, sur ses trois groupes de participants, des vidéos avec le son, les vidéos sans le son et l'enregistrement sonore sans l'image. Ou peut-être que la détection du mensonge n'est pas du tout impactée par le canal de diffusion mais uniquement par le contenu du mensonge et sa crédibilité. Ou probablement que ce phénomène complexe dépend encore de tout un tas d'autres mécanismes dont Mélodie n'a même pas idée.

La psychologie expérimentale finit toujours par être frustrante, et, qui plus est, elle manque cruellement de poésie. Tant de « on ne sait pas », et tant de relations niées, au nom de l'idée que croire en quelque chose qui n'est pas prouvé ne peut pas être sérieux. Mélodie aime la psychanalyse ; elle aime que les choses fassent sens, elle aime qu'une explication soit donnée. Quelque part, elle trouve qu'une réponse plausible, même si on ne peut pas en prouver la véracité, est préférable à une absence totale de réponse. Mélodie aime le sens, elle aime la poésie. Par exemple, elle aime l'idée que son prénom et le fait qu'elle soit tombée amoureuse d'un musicien ne soient pas sans rapport. Elle n'aime pas l'idée de hasard ; elle aime apporter de la signification.

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