Chapitre 27

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Voilà maintenant quarante-huit heures qu'Emeraude à envoyé son mail à Mélodie, et celui-ci est toujours sans réponse. Elle n'arrive décidément pas à comprendre ce qui est attendu d'elle, et commence à désespérer. Assise dans son fauteuil préféré de la bibliothèque universitaire, elle essaye tant bien que mal de se concentrer sur l'article de sociologie qu'elle est en train de lire. Mais elle ne fait que penser aux Chouettes sans ailes, et à sa déception de ne pas avoir eu de retour de leur part ses dernières semaines. Probablement qu'elle a échoué, et n'aura simplement jamais de nouvelles.

Soudain, une jeune fille entre dans la bibliothèque. Elle a la démarche des Chouettes sans elles : à la fois assurée et bienveillante, avec quelque chose de pétillant et mutin. Elle dévisage les étudiants présents dans la bibliothèque, et son regard finit par s'arrêter sur le visage d'Emeraude. Est-ce enfin le grand jour ? Alors, elle n'a pas échoué finalement ! La fille lui adresse la parole : « Bonjour. Tu es bien Emeraude Sagel ? » Emeraude acquisse, avec un immense sourire sur le visage. Pas trop grand quand même elle l'espère, essayant tant bien que mal de contenir sa joie et de garder sa contenance.

La fille continue : « Je me suis permis de me rapprocher des associations étudiantes pour retrouver ta photo dans le trombinoscope et avoir des informations sur ton emploi du temps afin de te retrouver. Je dois avoir l'air d'une folle. Mais je préférais vraiment te parler de vive voix que t'envoyer un mail ou quoi. Je m'appelle Ariane. L'un de mes professeurs, Monsieur Pofer, m'a parlé de toi. Tu ne dois pas le connaître vu que tu fais une licence de sociologie et que c'est un prof de psychologie. Enfin bref, tout ça pour dire que... » Le moral d'Emeraude vient de retomber en une seconde. Cette fille étudie la psychologie, et les Chouettes sans ailes ont toujours été uniquement des étudiantes en sociologie. Se pourrait-il que cette Ariane ne fasse pas partie de la société secrète ? Mais alors, pourquoi l'avoir pistée ainsi ? De quoi peut-il donc s'agir ?

Il faut à tout prix qu'Emeraude se ressaisisse et parvienne à écouter cette fille qui n'arrête pas une seule seconde de parler : « Et donc, comme tu parlais d'une lettre avec des mots colorés, je me suis dit que peut-être il s'agissait de la même lettre. On a trouvé déjà cinq personnes qui l'ont reçue, en comptant mon copain. Ils vont tous se réunir ce week-end, pour en parler ensemble. Peut-être que tu accepterais de te joindre à nous, histoire d'essayer de résoudre ce mystère, d'en savoir plus quoi. »

Dans tout ce blabla, une seule chose intéresse Emeraude : « Ces cinq personnes, est-ce qu'elles ont déjà entendu parler des Chouettes sans ailes ? Est-ce que ce sont des étudiantes en sociologie au moins ? » Ariane rigole « Mon copain, une étudiante en psychologie ? Non, pas vraiment. Et a part lui, il y a un caissier, une secrétaire médicale, un comptable et une ingénieure. Je ne pense vraiment pas que tout ça ait quoi que ce soit à faire avec le domaine professionnel. Mais dis-moi, c'est quoi en fait cette histoire de Chouettes sans ailes ? »

Emeraude est profondément déçue et heurtée de réaliser et que toute cette affaire n'a rien à voir avec les Chouettes sans ailes. Si elle comprend bien, le mot n'avait aucun rapport avec les Chouettes sans ailes, et l'expérience de psychologie sur le mensonge n'était vraiment qu'une expérience réalisée par une véritable étudiante en psychologie. Elle a pris ses rêves pour des réalités ; les Chouettes sans ailes ne l'ont en fait jamais remarquée. Emeraude explique néanmoins, contente de pouvoir raconter son histoire à quelqu'un qui a l'air réellement intéressé.

Cependant, Emeraude déchante un peu quand elle se souvient qu'Ariane a dit être une étudiante en psychologie : elle n'aime pas voir son esprit ainsi fouillé. Cette fille est sympa, mais elle se sent mal à l'aise en sa présence ; elle est probablement en train de la juger. Elle doit la trouver stupide d'avoir ainsi pris ses fantasmes pour des réalités, ou se figurer qu'il s'agit des symptômes d'une pauvre fille pathétique ne s'étant jamais remise de la perte de sa mère. Elle n'a plus vraiment envie de lui parler, et encore moins de rencontrer cinq inconnus pour discuter d'un message anonyme dont elle n'a absolument rien à faire.

Ariane explique être convaincue que ce message a été distribué complètement au hasard. Et Emeraude veut bien la croire ; si ce message n'a rien à voir avec les Chouettes sans ailes, il n'a rien à voir avec elle. Elle l'a reçu, certes, mais il ne la concerne pas personnellement. Il était juste posé sur la table de la bibliothèque, n'importe qui aurait pu le trouver là. Les deux jeunes filles sont d'accord sur ce point, mais Ariane insiste quand même pour savoir ce qu'Emeraude s'est imaginé, sur le moment où elle a découvert le mot et dans les jours qui ont suivi.

Emeraude avoue, honteuse, qu'elle s'est mis bille en tête et n'a pas douté une seule seconde qu'il s'agissait des Chouettes sans ailes, de la part desquelles elle attendait un signe. Elle rit en admettant qu'elle s'est retrouvée à faire d'absurdes calculs avec les couleurs du mot et les successions d'initiales, puis s'étonne d'avoir réussi ensuite à trouver des correspondances, comme avec le t-shirt de l'autre étudiante en psychologie.

Ariane sourit, lui expliquant que c'est tout à fait normal et qu'il n'y a rien d'extraordinaire à ça d'un point de vue statistique. « Cent-cinquante-sept, Emeraude. Je viens de te dire ce chiffre complètement au hasard. Freud pensait qu'il est complètement impossible d'énoncer un chiffre complètement au hasard. Moi je pense qu'il est juste possible de trouver une signification dans n'importe quel chiffre, et que c'est ça qui a induit Freud en erreur. Laisse passer quelques semaines, et dit moi si rien ne t'a rappelé ce cent-cinquante-sept. »

Emeraude se détend, riant avec Ariane. Cette fille un peu perchée lui permet de se sentir bien plus à l'aise avec ses propres travers ridicules. Elle a été bien bête de voir partout des signes des Chouettes sans ailes, mais elle n'est pas la seule à avoir l'air un peu folle. Au delà de son incongruité, cette Ariane semble en fait plutôt intelligente ; elle aurait peut-être même été acceptée chez l'équivalent pour psychologues des Chouettes sans ailes, si cet équivalent avait existé. Cependant, il y a malgré tout quelque chose de curieux en elle ; quelque chose de complètement illogique : « Dis-moi, Ariane, si tu crois que ce mot n'est qu'un papier distribué au hasard et qu'il n'y a aucun signe à voir nulle part mais seulement des coïncidences, pourquoi est-ce que tu t'embêtes à rechercher les gens qui l'ont reçu pour les faire rencontrer ton copain ? »

Ariane sourit mystérieusement et chuchote « Que ne ferait-on pas par amour ? », mais Emeraude ne croit pas une seconde à cette dérobade, qu'elle se refuse à accepter. « Et, en vrai, pourquoi ? » Ariane rigole : « Que dire pour ma défense ? Je suis une psychologue. Bien trop curieuse du fonctionnement de l'esprit humain pour ne pas être fascinée par une pareille occasion d'observation. » Certes, cela fait sens. Mais cette fille semble néanmoins cacher des choses, paraissant à la fois sincère et mystérieuse, tout comme sa mère l'était. Emeraude aimerait bien l'avoir comme amie ; après tout, si les chouettes sans ailes lui ont fait faux bond, il va bien falloir qu'elle songe à se faire des connaissances par elle même. Mais elle n'a pourtant aucune envie d'aller rencontrer ces gens qui ont reçu le même mot qu'elle.

Elle n'est pas curieuse pour un sou ; trop occupée à être déçue que ce ne soient pas les Chouettes sans ailes qui lui aient fait parvenir cette missive. Ariane essaye de la consoler : « Mais pourquoi est-ce que tu aurais besoin de ces Chouettes sans ailes ? Si tu as envie d'être le genre de femme que ta mère était, rien ne t'en empêche. Tu n'as pour ça besoin ni de personne ni de l'approbation de qui que ce soit. Tu veux trouver d'autres jeunes filles brillantes pour former un groupe où vous vous encouragerez mutuellement à devenir les meilleures versions de vous-même ? Vas-y, fais-le, l'université doit probablement en regorger. » Peut-être qu'Ariane a raison. Mais Emeraude n'est pas prête. Elle n'est pas prête à renoncer si rapidement à un espoir auquel elle s'est accroché pendant tant d'années et qui est devenu un rêve et un symbole. Oui, elle sera probablement capable de faire d'autres projets. Mais un peu plus tard seulement.

Au fil des signesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant