En arrivant à la clinique aux aurores ce vendredi matin, une tasse de café à la main, Charline s'attend à trouver le bureau vide. Ses trois collègues secrétaires sont moins matinales qu'elle et, plus la semaine avance, plus leur arrivée est tardive. Pourtant, le bureau n'est pas fermé à clef. Devrait-elle s'inquiéter ? Elle entend du bruit à l'intérieur. Mais, en tendant l'oreille, elle réalise vote que ça ressemble plus au bruit des touches d'un clavier qu'à un cambriolage, un braquage, ou un quelconque autre événement aussi anxiogène qu'improbable. Charline pousse donc la porte, précautionneusement néanmoins.
Elle est accueillie par le sourire à la fois chaleureux et timide d'une petite femme assez âgée et installée à l'un des bureaux : « Bonjour. Je suis Linda, la nouvelle secrétaire du Dr. Molun. Enchantée. » Mais oui, bien sûr ! Comment Charline a-t-elle pu oublier ? Le Dr. Molun n'a plus de secrétaire depuis le départ à la retraite de son ex-collègue Sandra. Départ qui a fichu un coup au moral de Charline, lui rappelant que le sien finira par arriver, bien trop vite à son goût. Mais, à en juger l'âge de cette nouvelle, Charline ne sera probablement pas la prochaine sur la liste des retraitées. L'arrivée de Linda est prévue depuis un mois au moins, mais c'était totalement sorti de l'esprit de Charline, qui avait omis de le noter. Une bonne nouvelle pour ses collègues et elle, qui n'auront plus à se partager le travail supplémentaire laissé par l'absence de Sandra. Une bonne nouvelle ; vraiment ? Moins de travail, n'est-ce pas moins d'occasions de se rendre utile ?
Charline se présente à Linda, et lui demande si elle a besoin d'aide. Après-tout, il faut bien que quelqu'un se charge de lui apprendre le fonctionnement de leur clinique et du secrétariat dont elles font partie. Le Dr. Molun a indiqué à Linda l'emplacement de son bureau quand il l'a accueillie plus tôt ce matin, mais ne lui a donné pour l'instant que peu d'indications sur ce qui est attendu d'elle. Elle a l'air légèrement paniquée, et surtout complètement dénuée de repères, n'ayant même pas réussi à retrouver sur l'ordinateur les comptes rendus d'hospitalisation pour pouvoir consulter la manière dont ils sont rédigés.
Charline commence par lui présenter les différents logiciels présents sur l'ordinateur : celui pour les comptes rendus et courriers en tous genres, celui pour la prise de rendez-vous, celui pour le codage de l'activité, celui pour retrouver toutes les informations administratives du patient, celui pour consulter les prescriptions, celui pour échanger des mails avec le reste de la clinique, etc. Elle sent la panique de Linda monter, lui rappelant sa propre appréhension quand elle a dû elle-même se familiariser avec chacun de ces logiciels. Elle avait au moins eu la chance de se les voir imposés l'un après l'autre. La pauvre Linda doit engranger tout ça d'un coup, avec en bonus toutes les informations sur le fonctionnement de la clinique, les différents interlocuteurs, ainsi que les attentes spécifiques du Dr. Molun.
Charline ressent un léger sentiment de culpabilité en constatant qu'elle est presque heureuse face au malaise de Linda. La pauvre vient d'un cabinet privé où les outils informatiques de travail s'arrêtaient à Word, Outlook et Excel. Et puis, elle est assez âgée, et n'est pas certaine d'avoir encore la capacité d'apprendre quoi que ce soit. Sans compter le fait que fournir tous ces efforts pour seulement encore quelques années de travail semble peu valoir le coup. Mais bon, ce n'est pas comme si elle avait le choix. Ironie du sort, le médecin pour lequel elle a travaillé toute sa vie est maintenant hospitalisé pour une grave maladie cardiaque qui n'a pas été détectée à temps. Il faut bien continuer à gagner sa croute. Et puis, que ferait-elle de ses journées si elle arrêtait d'exercer une activité ? Linda fait visiblement partie, comme Charline, de ces personnes que la retraite angoisse mais que l'évolution du travail angoisse tout autant.
Charline n'est pas une personne sadique. Si l'attitude angoissée de Linda la réjouit, c'est parce qu'elle lui permet de réaliser le chemin qu'elle a elle-même accompli. Quand son environnement de travail a commencé à changer, qu'elle a dû s'habituer du jour au lendemain au premier logiciel qu'on lui a imposé, elle a presque failli sombrer en dépression. Elle peinait à trouver la motivation de se rendre au travail, où elle arrivait l'angoisse au ventre, se sentant incompétente chaque fois qu'elle se trouvait forcée d'appeler le service informatique pour demander de l'aide sur telle ou telle fonctionnalité. Elle se sentait nulle, faisant des bourdes comme annuler par erreur un rendez-vous, en prendre un pour le mauvais patient, ou se tromper d'une semaine sur la date. Son travail avait toujours été une source de fierté pour elle jusque là, et soudain elle n'avait plus la possibilité de se considérer comme une secrétaire de premier choix. Charline n'a jamais identifié le moment où elle a fini par sortir de cette mauvaise passe ; jamais pris conscience d'en être sortie. Pourtant, aujourd'hui, elle constate que c'est bel et bien le cas.
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Au fil des signes
General FictionSix personnages (pourquoi six ?) reçoivent (ou trouvent) un message anonyme leur promettant (ou prophétisant) plus d'épanouissement (mais qu'est-ce que l'épanouissement ?). Une condition est mentionnée (floue au possible) : être attentif aux signes...