Chapitre 11

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Emeraude, assise à une véritable table de la bibliothèque universitaire, planche sur un devoir. Et dire que la semaine précédente elle se plaignait de ne pas avoir assez de travail pour meubler ses heures de trou ; maintenant les heures de trou ne suffisent pas pour tout ce qu'elle a à faire. Elle sait que, si elle veut avoir une chance d'être acceptée parmi les Chouettes sans ailes, elle a besoin de toujours briller si on l'interroge et d'avoir des notes irréprochables. Mais depuis le mot de l'autre jour, elle n'a pas reçu de nouveau signes d'elles ; a moins qu'elle ne soit juste pas parvenue à les remarquer.

Alors qu'elle est concentrée sur des calculs de ratios, une autre étudiante vient déranger Emeraude : « Excuse moi. Je suis désolée de t'embêter. J'aurais besoin de personnes pour participer à une petite expérience pour mon mémoire. Ça ne te prendra pas plus d'une vingtaine de minutes. » Vingt minutes, soit un tiers de l'heure de trou d'Hortense. C'est certain que, si elle les lui accorde, elle devra travailler chez elle ce soir ; et elle n'en a aucune envie. Emeraude s'apprête à refuser poliment, quand l'inscription sur le T-shirt de la jeune fille attire son attention : « DPTN ». Elle a un doute, mais est presque certaine qu'il s'agit de l'une des séries de lettres contenues dans le message des Chouettes sans ailes.

Se pourrait-il que cette fille fasse partie de la société secrète ? Après tout, c'est vrai qu'elle a l'élégance et l'aplomb nécessaires. Cette pseudo expérience n'est probablement qu'une excuse ; un moyen de lui faire passer un test pour évaluer son adéquation. Certes, il est vrai que, la fac de sociologie étant dans les mêmes locaux que la fac de psychologie, les étudiants recrutant à la bibliothèque universitaire des participants pour leurs expériences sont toujours nombreux. Mais la série d'initiales est bien là. Emeraude en est certaine : refuser de participer serait un point négatif pour son recrutement. Elle était censée repérer la séries d'initiales, et elle a réussi avec succès. Reste à savoir ce qui l'attend dans cette expérience préparée par les Chouettes sans ailes.

Emeraude a quand même envie de tester cette fille, d'essayer de la prendre en défaut. Après tout, les Chouettes sans ailes n'ont pas leur langue dans leur poche ; elles ne prendront pas mal qu'elle pose la question. Au contraire, ce sera une façon à la fois de leur montrer son bagout et de leur faire savoir avec certitude qu'elle a bien repéré la référence à la lettre : « Joli T-shirt. J'aime beaucoup la couleur et la typographie. Mais ça veut dire quoi, DPTN ? » La jeune fille esquisse un sourire timide et répond « Oh, rien. C'est juste un groupe dans lequel joue mon petit-ami. » Visiblement, elle avait préparé une réponse pour faire face à ce cas de figure sans être ouvertement démasquée.

Emeraude est installée dans un box de la bibliothèque. L'étudiante lui explique le principe de l'expérience : elle va lui faire écouter une série d'enregistrements vocaux, et Emeraude devra déterminer si les individus qu'elle entend mentent ou disent la vérité. Soi-disant, le but de l'expérimentation est de tester si la capacité à repérer les mensonges dépend avant tout d'éléments visuels ou sonores. De l'avis d'Emeraude, le but est plutôt de voir si elle est douée ou non pour décrypter les mensonges. Après tout, c'est un signe d'intelligence et une capacité importante dans la vie, donc une qualité que les Chouettes sans ailes ont tout intérêt à évaluer chez leurs potentielles recrues.

Emeraude donne son opinion à chaque enregistrement entendu, sans même prendre le temps d'hésiter. Elle est plutôt sûre d'elle, et même dans les quelques cas où ne l'est pas, fait en sorte que ça ne soit pas visible. Au cinquième enregistrement, elle a envie de rigoler. L'individu qu'elle entend prononce une phrase interrogative. Elle n'aurait jamais pensé qu'une question puisse être un mensonge. « Comment sais-tu que je n'aime pas les poivrons ? » En fait, il pourrait bien s'agir d'un mensonge. Par exemple, si l'individu aime les poivrons et utilise cette pseudo-question pour maintenir son interlocuteur dans une croyance erronée. Ou alors, si une troisième personne est présente et ne doit pas savoir que les deux autres ont déjà eu l'occasion de partager un repas contenant des poivrons. Oui, Emeraude n'y avait jamais pensé, mais une question peut bien être un mensonge. Quelque chose dans la voix de celui qui la prononce donne à Emeraude l'impression que c'est le cas de celle là ; Emeraude répond « Mensonge ».

Au fil des signesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant