Chapitre 2

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Savannah

Heureuse de rentrer chez vous ? demande l'infirmière en m'aidant à enfiler mon gilet.

Je hausse les épaules. Pourquoi serais-je heureuse de partir avec un homme qui m'a adressé à peine cinq mots en une semaine ? A chacune de ses visites, je n'ai eu droit qu'à son regard remplit de dédain qui me fait encore froid dans le dos. Malgré son comportement, j'appréciais tout de même de le voir. Il reste la seule personne à m'avoir rendu visite et cela me laisse perplexe. Je ne dois pas être d'une grande sociabilité sinon les gens se bousculeraient pour venir me voir, comme le fait une vraie famille. Serais-je une orpheline ? Je n'en sais rien du tout. Le médecin a demandé à Alex de me ménager et de s'en tenir au strict minimum pour le moment, le temps que je sois rétablie. Je suis resté un mois dans le coma suite à un traumatisme crânien et je souffre d'amnésie post-traumatique. Je ne me souviens de rien et personne ne semble décidé à m'en dire plus. Néanmoins, j'ai réussis à glaner quelques informations.

Je m'appelle Savannah. Drôle de prénom !

Mes parents seraient-ils anglais ou américains ? Serait-ce la raison pour laquelle ils ne sont pas venus à mon chevet ?

Je suis marié à un homme aussi beau que froid. Enfin avec moi.

J'ai trente deux ans et d'après l'image que me renvoie le miroir, je ne suis pas vilaine à regarder. Deux grands yeux noisettes parés de longs cils noirs. Des cheveux blonds qui contrastent avec la couleur brune de mes sourcils. A vue d'œil, je dois mesurer un mètre soixante-dix.

Je dirige ma propre société de produits cosmétiques cent pour cent naturels.

Voilà ce que je sais de ces trente-deux dernières années de ma vie.

Je sursaute en entendant la porte de la chambre s'ouvrir. Je sais que c'est lui, qu'il vient me chercher pour me ramener chez nous. "Nous". Ce terme me semble si ridicule quand on pense que nous n'avons pratiquement jamais eu de vraies conversations. Je lève ma tête vers lui en espérant une attitude différente des autres jours, mais rien. Toujours ces traits figés qui durcissent son visage pourtant magnifique.

— Bonjour ! je lance quand même timidement.

— Tu es prête ?

— Oui !

Voilà ! Fin de la conversation. Je soupire tandis que l'infirmière m'aide à prendre place dans un fauteuil roulant. Je me sens comme une handicapée, privée de sa vie, de son passé, privée d'amour tout simplement. Je ne reconnais pas les vêtements que l'on m'a apporté. Cette robe qui doit coûter relativement chère ne me met pas à l'aise. Je resserre les pans de mon gilet contre moi et je regarde, presque avec tristesse, le couloir qui me mène à la sortie. J'ai l'impression de quitter ma famille pour partir vers l'inconnu, avec un inconnu. J'ai envie de hurler que je ne veux pas partir, que je suis bien ici mais autant ne pas me ridiculiser devant lui. Je ne compte pas beaucoup à ses yeux, n'aggravons pas la situation avec une attitude enfantine. La porte principale s'ouvre, balayant sur mon visage, un air chaud. C'est le début de l'été, le soleil brille haut dans le ciel. Je le regarde, ma main au dessus de mes yeux et je respire à plein poumon, l'air de l'extérieur qui m'a tant manqué. Le fauteuil s'approche d'un 4x4 noir qui me paraît énorme. Alex ouvre la portière et contre toute attente, il me prend dans ses bras pour me déposer sur le siège passager. Je n'ose pas respirer, sa proximité me rend mal à l'aise. Durant les quelques secondes de ce contact, mes narines se remplissent de son parfum qui me semble familier. Je ferme les yeux pour m'en imprégner mais déjà, il lâche prise et referme la portière. Je le regarde rabattre le fauteuil puis j'entend le coffre s'ouvrir et se refermer. Sa haute silhouette apparaît dans le rétroviseur. Je tourne la tête pour le voir s'engouffrer derrière le volant et mettre le contact. La voiture quitte le parking et s'insère dans la circulation. Mes yeux vont et viennent, à la recherche d'un bâtiment ou de n'importe quoi qui pourrait m'interpeller et me dire : "Eh ! Tu me reconnais ?", mais rien.

la mémoire ensevelie Où les histoires vivent. Découvrez maintenant