Fabbio (1)

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-               Fabbio, tu t'es déjà fait enculer ?

Je relevai la tête, le regard inexpressif. La question de Jules aurait dû me surprendre, mais pour être honnête je l'avais vu venir à des kilomètres. Dans d'autres circonstances, j'aurais pu très mal le prendre, sauf je connaissais suffisamment Jules pour savoir qu'il ne cherchait pas à me provoquer. Ça faisait plus de dix minutes que la conversation tournait autour du sexe dans le vestiaire (pour changer), je m'attendais bien à ce que l'un d'entre eux saute le pas. Je connais Jules depuis cinq ans, c'est un bon ami. Il a dû penser que ça lui donnerait la légitimité pour me poser ce genre de question et éventuellement tenter d'en savoir plus sur cette énigme que représente le sexe entre deux mecs.

Après, c'est sûr qu'il manque cruellement de tact.

Je pris un air légèrement offusqué – pour la forme :

-               Ça te regarde pas du tout, répondis-je placidement.

Pas très convaincant. J'aurais dû rougir ou faire semblant de bafouiller.

Jules haussa les épaules :

-               Je me demandais, c'est tout. Tu en parles jamais.

-               Depuis quand tu t'intéresse à ce que je fais de mon cul ? répliquai-je en haussant les sourcils.

Il sembla hésiter, se mordillant la lèvre. Puis il haussa à nouveau les épaules et renonça.

Secouant la tête, je fichai mon maillot de hockey dans mon sac de sport, enfilai un tee-shirt blanc à la place et sortis du vestiaire. Il faisait froid dehors, je pressai le pas en traversant le terrain.

Trop tard pour prendre le bus, je vais devoir rentrer à pied. Je n'ai qu'à courir tiens, ça va me réchauffer.

            Les hétéros... Ils ne cesseront jamais de m'étonner. C'est vrai, ça va faire quatre ans que j'ai fait mon coming-out, j'ai déjà pas mal eu l'occasion d'être confronté à leur curiosité maladive : c'est marrant d'ailleurs de voir à quel point le sexe gay est une source de mystère pour tous ces gars, persuadés que le vagin d'une meuf est ce qu'il y a de plus beau au monde.

Moi je dis bof. Mais ça n'implique que moi.

Et encore, allez leur expliquer que le plus grand plaisir que puisse ressentir un mec se fait par la stimulation de sa prostate, et regardez bien la tête qu'ils feront. C'est à se plier de rire.

Enfin, perso, je ne pourrai pas vraiment témoigner...

Non, je ne sais pas ce que ça fait. Je ne suis plus puceau, mais croyez-le ou non : tous les gays n'aiment pas se faire péter la rondelle. Ça fait un choc, pas vrai ?

Mais c'est quoi cette obsession pour les gays ? On est des gens normaux – ou presque. Pourquoi suscitent-ont autant d'interrogations ? Homophobes, gay-friendly ou indifférents, tous semblent fascinés par cette capacité que nous avons, nous autre les gays, à s'enfiler des bites par tous les trous et à y prendre du plaisir.

Eh ben non, pas tous. Pourtant, j'ai déjà essayé, pour faire plaisir à mon copain, mais j'en garde pas nécessairement un bon souvenir. Oui je suis gay, oui j'aime les gars, mais ça ne m'empêche pas de vouloir préserver mon fondement.

Est-ce que c'est bizarre ?

Peut-être. Mais je suis ce que je suis, que ça plaise ou non. Croyez-moi, je suis pas du genre à me laisser conformer par le regard des autres. Je crois que la plupart de ceux qui me connaissent le savent.

J'étais en troisième quand j'ai compris que ce n'était pas juste pour le sport que j'aimais autant regarder le hockey ou le rugby masculin la télé. Ni que j'achetais le calendrier des dieux du stade en cachette.

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