Chapitre 8 : Les origines

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Dès que les premiers rayons du soleil inondèrent sa chambre, il se réveilla. Le rendez-vous du roi Médéril lui trottait dans la tête. Il s'habilla et grignota quelques fruits avant de se passer de l'eau sur le visage pour se réveiller définitivement. L'eau froide le galvanisa et il s'efforça de peigner son épaisse chevelure de jais : un effort inutile. Il enfila son manteau mais laissa l'épée de côté. Autant être officiel sans en faire trop car il ignorait à propos de quoi le souverain du royaume des dragons tenait tant à le voir de si bonne heure. En cette matinée d'été déjà lumineuse, personne n'arpentait les couloirs hormis quelques servants que le jeune homme salua d'un signe de la tête.
En arrivant à l'étage qu'occupaient les négociateurs et les dix généraux du roi, il devint brusquement nerveux et son instinct lui souffla qu'il allait se produire une chose importante. Ce n'était pas une sensation de danger qui l'habitait, juste une anxiété qui s'accroissait alors qu'il approchait de la chambre du roi. Il prit une grande inspiration pour s'apaiser et frappa trois coups vigoureux contre la porte des appartements du souverain. Il sursauta presque quand la porte s'ouvrit instantanément. Médéril attendait derrière, habillé et bien réveillé. De légères cernes soulignaient ses yeux bleu foncé et Aymeric perçut sa nervosité avant même qu'il ouvre la bouche pour dire :
- Je ne t'attendais pas si tôt. Entre.
Il obéit et entra dans une chambre similaire à celle qu'il occupait, quoique plus luxueuse.
- Tu veux t'asseoir ? demanda le souverain en désignant une chaise.
- Non merci, je préfère rester debout.
Le roi hocha la tête et inspira en plaçant ses mains dans le dos. Quelque chose le tracassait, ça crevait les yeux. Aymeric demeura silencieux pour ne pas le brusquer mais au fond de lui, il bouillonnait. Il pressentait que c'était important, que ce que le roi allait dire était loin d'être anodin. Médéril s'humecta les lèvres et murmura d'une voix si basse qu'Aymeric eut besoin de tendre l'oreille pour comprendre :
- C'est moins facile que ce que j'imaginais...
Le roi passa une main dans ses cheveux sombres et soupira.
- Très bien,allons droit au but : tu es mon fils.
Cette révélation lâcha un grand froid dans la pièce. Aymeric cessa de penser le temps d'une minute, sous le choc. Était-ce une plaisanterie ? Si c'était le cas elle n'avait rien de drôle. Sa consternation ne passa pas inaperçue et le souverain du royaume des dragons s'empressa d'ajouter :
- Je sais que c'est très soudain mais je t'assure que c'est vrai. Laisse-moi juste t'expli...
Aymeric le coupa :
- Je n'ai pas de famille de sang en dehors d'Hydronoé. Celle dont je me souviens était pauvre et me maltraitait. Ce n'est pas parce que vous êtes roi que vous pouvez vous permettre d'élaborer des blagues aussi cruelles.
- Je t'en prie, écoute-moi ! supplia le monarque.
- Non. Vous mentez et j'ai autre chose à faire que d'entendre de telles idioties.
- Aymeric ! Au dos de ton pendentif, celui en forme de dragon, il y avait des initiales ! Un A et un P ! Est-ce que j'ai tort ?
Ce renseignement précis troubla une seconde le chevalier dragon puis il se remémora l'avoir dit à Ezimaël.
- Le prince vous l'a certainement raconté. Vous savez, Ezimaël du dragon, votre vrai fils!
Le roi poussa un cri exaspéré en se frappant le front et s'écria :
- C'est bien plus compliqué que ça ! Sais-tu ce que signifient ces lettres au moins ?
- Le A doit être pour Aymeric et le P la première lettre de mon vrai nom de famille, raisonna t-il en haussant les épaules. Je n'ai pas besoin d'en savoir plus.
- C'est sans doute très perturbant pour toi, je peux le comprendre. Mais je t'assure que je ne mens pas, que je ne me moque pas. Pour preuve, je sais que le P n'est pas la première lettre de ton nom de famille mais celle du prénom de ta mère.
Aymeric émit un ricanement sceptique mais Médéril venait de capter son intérêt. Qu'allait-il dire à propos de sa mère ? Y avait-il une chance qu'il dise vrai ? Non, songea le jeune homme, il y a trop d'incohérences. Pour commencer, que faisait-il si loin du royaume des dragons lors de son enfance ? Pourquoi ne conservait-il aucun souvenir de son «père» ? Il demanda, à la fois avide de savoir et dubitatif :
- Qui est-elle ?
Le souverain hésita fortement et lâcha dans un souffle :
- Praeslia.
C'en était trop pour Aymeric. Il fit demi-tour et ouvrit la porte d'un geste brusque. Médéril essaya de le retenir mais le chevalier dragon le repoussa durement.
- Je ne supporte pas qu'on se paye ma tête et surtout pas à propos d'un sujet aussi sérieux, cracha t-il. Vous êtes complètement fou ! Vous imaginiez vraiment que j'allais vous croire ? Je ne suis pas un pauvre orphelin de cinq ans à qui on peut faire miroiter des illusions dorés. Gardez vos mensonges pour vous et ne vous avisez plus de m'adresser la parole ! Je ne sais pas ce que vous attendiez de moi avec vos révélations mais vous n'obtiendrez rien.
- S'il te plaît Aymeric, laisse-moi t'expli...
Il ne lui laissa pas le temps de finir et lui claqua la porte au nez avant de descendre dans la cour, furieux. Le monarque n'essaya pas de le rattraper et c'était tant mieux. Aymeric comprenait mieux pourquoi cet homme avait cherché à se rapprocher de lui. Discuter, se battre à l'épée...Tout ceci n'était donc que de la manipulation ? Dans quel but ? En réfléchissant bien, ils avaient des traits similaires mais leur ressemblance s'arrêtait là.
Il s'arrêta au milieu de la cour en se rappelant la petite santé du prince Ezimaël et sa crise lors du dîner. Et si le roi tentait de trouver une sorte de fils de remplacement au cas où son héritier mourrait de maladie ? Cette idée le révulsa et il serra les poings. Lui qui imaginait Médéril comme un roi juste et bienveillant ! S'était-il trompé sur toute la ligne ? Était-ce un simple manipulateur qui tirait profil des autres ? Il avait du mal à le croire et pourtant les faits parlaient d'eux-mêmes. Essayer de lui faire avaler qu'il était son fils et celui de la déesse Praeslia ? Ridicule.
Fou de rage, il s'enfonça dans la forêt sans faire l'effort d'être discret. Il s'arrêta après une demi-heure de marche et retira son manteau. Il remonta les manches de son pull puis ramassa une branche morte qu'il soupesa. Ni trop frêle, ni trop épaisse, avec le poids idéal. Il la tint fermement à deux mains, se positionna face à un arbre et frappa sur le tronc avec son arme de fortune de toutes ses forces et de toute sa colère. La branche vola en éclats, qui s'éparpillèrent dans les alentours en vrombissant. Il continua jusqu'à ce qu'il ne reste rien de la branche puis s'empara d'une seconde. Il recommença, encore et encore. Les vibrations des coups se répandirent dans ses mains et ses bras, si puissants qu'ils en étaient douloureux. La souffrance éclipsait la rage d'Aymeric mais cette dernière revenait à l'assaut à la vitesse de l'éclair et continua de se défouler de longues minutes.
Les coups de la branche se brisant contre le tronc se répercutaient dans la forêt. Il finit avec les mains en sang et une dizaine d'échardes dans les doigts. Une griffure balafrait aussi sa joue droite, résultat de la malencontreuse rencontre entre son visage et un morceau de bois. Essoufflé, il essuya ses mains blessées contre son pantalon. Des applaudissements s'élevèrent derrière lui. Il leva les yeux au ciel, contrarié qu'on l'ait vu dans cet état. Il se retourna, prêt à foudroyer l'intrus du regard. Il s'attendait à voir tout le monde, sauf la personne qui était adossé à un arbre à moins d'un mètre de lui. Il fronça les sourcils, stupéfait et contrarié. Premièrement car la femme était venu tout près de lui sans faire le moindre bruit et deuxièmement car son physique était atypique.
Grande et fine, elle paraissait musclée. Difficile d'en juger avec la cape ample et noir qu'elle portait. Mais le plus étonnant demeurait son visage étroit aux traits fins. Ses lèvres épaisses s'étiraient dans un léger sourire et ses yeux glacés et attentifs comme ceux d'un chat le fixaient avec insistance. La femme passa une main dans sa chevelure noire méchée de rouge avant de déclarer d'une voix suave et profonde :
- Par moment tu es aussi colérique que moi.
- Qui êtes-vous ? demanda Aymeric.
Elle avança d'un pas et il recula, par réflexe. Elle se mouvait comme un prédateur, avec une démarche souple et silencieuse. Son instinct lui cria de se méfier et de ne surtout pas lui tourner le dos.
- Tu n'as pas une petite idée ? l'interrogea t-elle avec un sourire en coin.
- Il y a une raison pour que je vous pose la question.
Un frisson parcourut l'inconnue et son front s'orna d'une paire de cornes rouge sanglant tandis que de gigantesques ailes à la membrane noire et à l'ossature carmin se déployaient dans son dos. Ses pupilles se réduisirent à deux fentes et elle sourit de toutes ses dents.
- Et maintenant ? Sais-tu qui je suis ?
Aymeric avait bien une idée mais elle était si stupide, si improbable, qu'il refusa de la formuler. Il ne quitta pas l'intruse des yeux alors que celle-ci attendait sa réponse. Comme il n'ouvrait pas la bouche, elle le fit pour lui :
- Je suis Praeslia, déesse de la guerre. Je pensais que tu me reconnaîtrais au premier coup d'œil, surtout toi, mon fils.
Abasourdi, il trouva le courage de répliquer :
- Non, vous mentez. Ceci n'est qu'une vaste supercherie. Vous n'êtes rien de plus qu'une dragonne vivant sur les terres du roi Médéril et engagée pour rendre son mensonge crédible. Rien de plus. Je n'ai pas de parents et encore moins parmi le panthéon. Partez.
- J'avoue que je suis violente, impulsive, impatiente et un brin directive mais je n'ai rien d'une menteuse. Et je ne veux surtout pas être malhonnête avec toi. Laisse-moi te donner une preuve avant de partir piquer une seconde colère dans ton coin.
Elle tendit les mains face à elle. L'air ondula autour de ses paumes et une épée s'y matérialisa comme par magie. Et quelle épée ! Longue et fine, forgée dans un acier sombre et affûtée. La garde argentée était finement ouvragée et incrustée d'un rubis veiné de noir qui semblait pulser. Une vraie merveille qui avait sans doute nécessité des mois de travail pour obtenir un résultat de cette qualité.
- Je l'ai forgé pour toi. Pour te l'offrir le jour de nos retrouvailles. Je t'en prie, accepte-la.
Il secoua négativement la tête, en proie au doute. Tout ceci semblait réel mais il continuait de se méfier. Après toutes ces années et de ce qu'il savait de son enfance, comment pouvait-il croire à cette histoire ?
- Fais-moi confiance, assura la prétendue Praeslia. Laisse-moi te montrer...
Elle vint vers lui lentement, comme pour approcher un animal sauvage. Aymeric hésita puis décida de ne pas fuir. Il ignorait ce qu'elle voulait faire mais lui ne rêvait que d'une chose : avoir le fin mot de l'histoire. Elle lui toucha le front de ses doigts fins terminés par des ongles noirs. Une une vague d'image le submergea.
Il vit un petit garçon aux yeux bleu glace et à la tignasse noire faire ses premiers pas dans une grotte puis être tenu par un Médéril plus jeune d'une vingtaine d'années. D'autres souvenirs affluèrent et lui racontèrent son enfance, depuis sa naissance jusqu'à son arrivée à Ondre. Il comprit tout et la lumière se fit dans son esprit à mesure que l'histoire de sa vie défilait sous ses yeux, à travers ceux de Praeslia. Ceux de sa mère. Il la vit le confier à Médéril, il vit les deux tentatives de meurtres dont il avait été victime dans l'enceinte du château, le plan de son père pour le protéger d'une mort certaine essayant de le cacher dans un lieu secret sous la tutelle d'un chevalier, la mort de ce dernier à cause d'une blessure et son ultime acte pour le protéger en le remettant à un paysan dont le visage n'était pas inconnu à Aymeric. Les visions se dissipèrent quand elle cessa de le toucher et il s'aperçut que des larmes coulaient sur ses joues. Elle les essuya tendrement et demanda:
- Est-ce que tu nous crois désormais ?
Comment pouvait-il faire autrement ? Elle venait de lui offrir tous les chaînons manquants, les pièces qui complétaient le puzzle de son existence.
- Tu n'es pas obligé de m'accepter comme mère. Je sais que ce n'est pas très valorisant d'être un de mes enfants et je ne t'en voudrais pas si tu me rejettes. Mais ne fais pas ça à ton père. Il a attendu de te retrouver si longtemps, il a espéré de nombreuses années en se fiant uniquement à ce que je lui disais : que tu étais en vie, en bonne santé et que vos routes finiraient par se croiser dans un futur proche. Tu n'as jamais cessé d'être précieux à ses yeux et même si tu n'étais pas là, il t'aimait et songeait souvent à toi. Ne le repousse pas.
Aymeric essaya de trouver les mots justes mais au milieu du mélange d'émotions violentes qui se fracassaient en lui il bafouilla et préféra se taire, trop bouleversé pour aligner trois mots. Cette femme face à lui était sa mère et aussi la déesse qu'il honorait depuis sa plus tendre enfance. Et son père le roi d'un royaume peuplé de dragons. C'était fou. Il dévisagea Praeslia qui lui tendit son épée.
- Prend la. Et va rejoindre ton père avant qu'il fasse quelque chose de stupide. Les années n'ont pas eu raison de sa sensiblerie.
Il accepta le présent de sa mère et dit :
- Merci. Elle est vraiment très belle. Comme tous les cadeaux que tu m'as offert, n'est-ce pas ?
Elle sourit de plus belle et s'écria :
- Je suis démasquée ! C'est bien moi qui t'offrais les présents dont tu ignorais l'expéditeur depuis toutes ces années.
- Ils sont toujours fantastiques, assura Aymeric. Je suis content que tu ais pensé à moi. Et...Comment dire...Ce n'est pas grave ce qu'on dit à propos de tes enfants dans les légendes. Ça m'importe peu. Je suis content d'être ton fils et je continuerais de te prier.
Elle lui ébouriffa les cheveux comme s'il n'était qu'un petit garçon et murmura :
- Tu es généreux et bienveillant comme ton père. File vite. Nous nous reverrons, je te le promets.
Le jeune homme aurait aimé déguerpir à toute allure mais il demeura planté face à sa mère, incapable de la quitter une seconde fois. Elle prit la décision pour lui et se volatilisa en un battement de cil.  

Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant