Chapitre 19 : Ronto

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Bonne chance pour le nord, bonne chance pour le nord ! Il en avait de bonnes Aymeric ! Non seulement se rendre dans cette maudite partie du continent l'agaçait mais en plus il devait faire le voyage avec Lisbeth et Brazidas. Le pire duo de toute l'histoire des chevaliers dragons ! Alaman ne pouvait pas voir la princesse, même en peinture. Cette petite peste égoïste et superficielle née avec une cuillère en argent dans la bouche !
Dès le premier jour elle l'avait détesté, sans raisons apparentes. Depuis elle prenait un malin plaisir à le provoquer et l'insulter. Jusque-là il s'était montré galant et compréhensif. C'était une jeune femme de la haute noblesse élevée dans une tour d'ivoire, pas étonnant qu'elle ait quelques préjugés. Elle n'était pas la seule à prétendre que les nordiques n'étaient que des barbares rustres, violents et sans aucun savoir vivre, pire que des animaux. Mais ce qu'elle avait fait lors de l'attaque des poissons géants...Ça, il ne le supportait pas. Il ne le supportait pas car Firenza avait été blessée à cause de la princesse et de son dragon.
Quand Aymeric lui avait annoncé qu'il devait partir en mission avec, ça avait été le coup de grâce. Il n'en voulait pas à son ami et meneur, bien entendu. Il en voulait à cette peste. C'est pour cela qu'il ne lui adressa pas un mot durant le voyage. Ni durant le vol, ni alors qu'ils se reposaient au sol. Et pourtant les dieux savaient qu'il adorait parler ! Il préféra discuter avec sa jumelle ou chantonner pour eux deux. Un matin, alors qu'ils atterrissaient à la sortie de la forêt de pins délimitant la frontière entre Talenza et Notterey, la princesse demanda :
- Combien de soirs de vol nous reste t-il ?
Pour ne pas avoir à lui répondre, Alaman tira une carte de son sac et la fourra dans les mains de Lisbeth. Cette dernière portait déjà un épais manteau en fourrure, un pantalon rembourré et des chaussures de cuir avec intérieur laine. Le rouquin ricana en lui-même. Si elle ne supportait pas la température à la frontière, alors qu'est-ce que ça serait une fois dans les terres et surtout non loin de l'océan de glace ? Avec de la chance elle finirait gelée.
- Où sommes-nous ? demanda t-elle.
Il pointa leur emplacement sur la carte pour ne pas avoir à répondre. Elle leva les yeux au ciel, supportant de moins en moins bien l'attitude distante du rouquin. Bien fait pour elle, songea Alaman. Voilà ce qu'on ressentait en étant méprisé !
Il retourna à la préparation du dîner sans rien ajouter et pela des carottes qu'il ajouta avec les autres légumes qui mijotaient déjà dans la casserole sur le feu. Ils devaient les manger avant que le froid les fassent geler et les rendent inconsommables. Il remua sa préparation et ajouta quelques aromates. Il aimait bien cuisiner. Quand il vivait dans sa tribu, il se contentait des restes ou de viande séchée. On forçait les hommes à cuisiner et les femmes mangeaient en priorité. Il s'agissait surtout de viande et de racines, parfois un peu de légumes, conservés dans du sel.
Il avait découvert la vraie cuisine en voyageant avec les marchands puis au château des gardes. Les différentes saveurs qu'on pouvait obtenir en mélangeant des aliments le fascinait et s'il n'avait pas décidé de devenir chevalier dragon, il aurait aimé travailler dans les cuisines du château. D'ailleurs il y passait son temps libre quand il n'était pas en mission ou avec ses amis. Le chef lui prodiguait des conseils et l'entraînait.
Grâce à cela, il était capable de préparer de bons dîners lors des missions. Un plat savoureux et un ventre plein étaient les clés du succès pour conserver le moral des troupes ! En plus mitonner des petits plats l'aidait à se vider la tête et à rester calme. L'activité parfaite pour lui, vu qu'il avait la princesse dans les pattes et que la simple vision de cette pimbêche le remplissait de fureur.
- Nous atteindrons la capitale de Notterey avec les premiers rayons du soleil, calcula Lisbeth. Il est vraiment nécessaire de prévenir le roi ? Je ne l'aime pas. C'est un gros rustre.
- Comme tous les gens du Nord selon ta logique, grommela Alaman.
- Tu as dit quelque chose ?
Le jeune homme secoua la tête en dissimulant son sourire moqueur. Qu'est-ce qu'elle croyait ? Qu'ils allaient éviter tous ceux que mademoiselle n'aimait pas ? Leur mission consistait à prévenir tout le monde. Le roi de Notterey était déjà partiellement au courant grâce à celui d'Alembras mais ils étaient de leur devoir de lui annoncer le danger de vive voix. De plus, voir que le souverain d'Alembras se souciait de son royaume renforcerait le lien d'amitié diplomatique entre les deux territoires. Double bénéfice.
Ils mangèrent en silence puis les dragons s'endormirent et Alaman monta la garde le premier pendant que Lisbeth faisait une sieste. Lui se sentait parfaitement reposé. Il faut dire que voler sur le dos de Firenza la nuit finissait tout le temps par l'endormir, surtout s'il ne parlait pas. Il veilla donc jusqu'à la nuit tombée et réveilla ses compagnons en leur présentant les restants du ragoût de midi réchauffé. Firenza et Brazidas dévorèrent le contenu de leur bol alors que Lisbeth mangeait à une vitesse d'escargot. Ce n'était sans doute pas assez fin pour son palais princier !
Comme prévu par la princesse, ils arrivèrent face à la capitale de Notterey avec le lever du soleil. Ils dissimulèrent leur matériel et les selles de Brazidas et Firenza, trop lourds pour être portés par des humains. Nichée au pied de la montagne du nord, Ronto paraissait minuscule, écrasée par la masse imposante de la crête du dragon. En réalité sa taille n'avait rien à envier à celle d'Ondre. Alaman l'avait déjà visité en compagnie des marchands avant sa rencontre avec, puis de nouveau avec Venerika. Rien n'avait changé dans cette ville où la pierre dominait.
Les maisons et les rues : tout était en pierre grise, extraite des carrières dans les montagnes. Il y avait aussi une abondance de statues en métal sur les places, rappelant que le royaume vivait aussi grâce aux métaux qu'il extirpait des tréfonds de la montagne. Alaman leva le nez sur cette dernière. Sa mentore se trouvait quelque part dans les hauteurs, proche d'une des nombreuses mines qui perforaient le flanc de la géante de roche. Il arrivait à percevoir l'entrée noire et béante comme une gueule grande ouverte de celle situées le plus en bas.
Ils progressèrent jusqu'au palais. Les gens s'écartaient sur leur passage, à la fois respectueux et craintifs. Firenza et Brazidas avaient évidemment revêtus leur apparence humaine mais les habitants savaient reconnaître l'uniforme de cette garde puissante mais mal connue. Pour eux ils n'étaient que des soldats d'élite d'Alembras, triés sur le volet et entraînés à la guerre. Les gens ordinaires ne savaient rien des dragons. Il n'y avait que les rois et une poignée de chanceux dans la confidence.
Ils arrivèrent aux portes du palais, une construction étonnante creusée à l'intérieur de la montagne et titanesque. Elle comportait des centaines de pièces et de couloirs, un véritable labyrinthe. Tout ça dans le but d'accueillir les habitants si une tempête en provenance de la mer de glace déferlait jusqu'à la capitale ou si l'hiver devenait trop rude. Alaman se présenta aux gardes avec un sourire avenant et leur exposa le motif de leur venue tout en leur montra la lettre officielle signée par le roi Alaric.
Ils entrèrent dans le palais sans aucun problème. On les dirigea à travers les couloirs creusés dans la roche jusqu'à la salle du trône. Les galeries étaient parfaitement polies, du sol au plafond. Leur grande hauteur empêchait qu'on se sente oppressé. Des fenêtres s'ouvraient de temps à autre dans les parois et donnaient sur l'extérieur, pour laisser entrer l'air. Le reste du temps, des niches creusées dans les murs contenaient de l'huile qui brûlait et diffusait un peu de lumière dans les couloirs. En regardant par les fenêtres, Alaman comprit qu'ils grimpaient vers le sommet du château.
Contrairement à ce à quoi il s'attendait, ils ne furent pas introduit dans la salle du trône mais dans un grand bureau aussi désordonné que la chambre du jeune homme. La table de travail en bois massif disparaissait sous les piles de papiers et les étagères poussées contre les murs croulaient sous les livres rangés plus au moins pèle-mêle, dans un ordre aléatoire. Le riche tapis sur lequel ils mirent les pieds était caché par une quantité d'objets hétéroclites qui n'avait rien à faire sur un tapis, ni même dans un cabinet de travail. Une balance ? Des bougies à moitié fondues ? Et là dans le coin s'agissait-il vraiment d'une épée cassée à côté d'une...Robe ?
Alaman se garda bien de faire le moindre commentaire mais se promit de raconter cet épisode à Venerika. Son ancienne professeure lui reprochait sa désorganisation et surtout l'état pitoyable de sa chambre qu'il ne savait pas garder rangée plus d'une demi-journée mais là, il se retrouvait battu à plate couture ! Et par un roi qui plus est ! Car l'homme qui surgit de derrière le bureau encombré était assurément le monarque des terres de Notterey.
Il était petit, une tête et demie de moins qu'Alaman, et extrêmement ventripotent. Son visage rond et rouge exprimait une grande sympathie, impression renforcée par son large sourire surmontée d'une moustache grise. Il devait arriver à la soixantaine mais ses yeux marrons pétillaient de bonne humeur sous ses sourcils broussailleux. Une couronne en or massif sertie de toutes les pierres précieuses pouvant exister ceignait son front et ses cheveux ondulés et grisonnants. Le roi leur tendit une main baguée qui aurait pu nourrir une famille de quinze pour une année et s'exclama avec bonne humeur :
- Bienvenue à vous, ambassadeurs d'Alembras ! Le voyage a été bon ?
Alaman s'empara de la main du roi qu'il serra fermement dans la sienne. Selon ses estimations, le monarque était un homme bon et soucieux de ses sujets mais possédait aussi un côté vaniteux qui transparaissait dans son accoutrement. C'était un homme fier de son pays et de ses richesses, un peu trop même. S'il fallait gagner ses bonnes grâces, Alaman devrait le flatter dans ce sens. Il n'aurait pas besoin d'en arriver là car ils ne venaient que délivrer une nouvelle.
- Bonjour sire, je suis enchanté de vous rencontrer ! Votre royaume est magnifique, je ne me lasse jamais de le visiter.
Le roi se gaussa en relevant la tête, fier comme un paon.
- Sachez que je fais de mon mieux pour l'embellir tout en améliorant le confort du peuple. C'est ce qu'un roi digne de ce nom ce doit de faire. Mais cela vous le savez puisque le vôtre applique la même politique. Alors, quelle nouvelle deviez-vous me transmettre ? C'est à propos de cette étrange affaire concernant des ambassadeurs de votre nation qui ne seraient pas vraiment des ambassadeurs mais plutôt des...démons du désert ? demanda le souverain en parcourant une feuille des yeux.
- C'est cela même messire, intervint Lisbeth.
Alaman leva les yeux au ciel. Elle ne pouvait pas le laisser parler ? C'était trop compliqué pour elle de se tenir sagement dans un coin sans l'ouvrir plus de cinq minutes ? Le roi de Notterey remarqua la princesse et son visage s'illumina.
- Ma petite Lisbeth ! s'écria t-il en ouvrant les bras. Je ne t'avais pas reconnu ! Comme tu as grandi ! Viens donc me voir !
La princesse sembla soudain regretter d'avoir ouvert la bouche et laissa de mauvaise grâce le souverain du royaume du nord la prendre dans ses bras. Ce dernier lui donna deux grands claques sonores dans le dos en s'exclamant :
- Mais quelle grande fille ! Dire que je t'ai connu quand tu étais bébé ! Et quel bébé ! Elle criait si fort qu'on l'entendait jusqu'à l'entrée de la ville !
Il pinça la joue de Lisbeth tandis qu'Alaman, Firenza et Brazidas se retenaient de rire avec peine. Le rouquin comprenait pourquoi la princesse trouvait le dirigeant de Notterey rustre. Il conserva son sérieux et dit d'un ton aussi jovial que possible :
- Je n'en doute pas mon roi mais revenons-en à la mission, c'est très important.
Le vieil homme couronnée reprit contenance et bomba le torse pour se donner plus de carrure. Profitant d'avoir son attention, Alaman lui expliqua l'affaire en détail. Le monarque écouta et nota le moindre de ses mots. Le rouquin conclut par un :
- Votre peuple ne court pas de risques pour l'instant mais nous préférons vous prévenir.
- C'est très aimable à vous. Pour vous remercier laissez-moi vous inviter à ma table cet après-midi !
Pour ne pas froisser le roi et aussi parce que les dragons avaient besoin de repos, Alaman accepta au plus grand désespoir de Lisbeth. En attendant l'heure du dîner, le rouquin explora le château en compagnie de sa jumelle. Malheureusement sa dragonne trouva rapidement la pièce qu'elle préférait le plus, qui s'avérait être le pire cauchemar pour le jeune homme : une bibliothèque.
Il observa les hautes étagères chargées de livres à la couverture en cuir épais avec une certaine tristesse. Dire qu'il ne comprendrait jamais les mots calligraphiés sur les pages, les histories écrites à l'encre noire...Il avait essayé d'apprendre à lire, de toutes ses forces. Sans succès. Dès qu'il posait les yeux sur un mot, les lettres se mettaient à danser devant lui. Elles s'amusaient à s'embrouiller pour l'empêcher de les décrypter. Venerika ne l'avait pas cru pendant longtemps. Jusqu'à ce jour où il avait imaginé une combine intelligente : apprendre par cœur les passages qu'elle lui demandait de lire pour le lendemain.
Cela avait fonctionné moins de trois jours. Car une fois son passage récité à la perfection en faisant mine de suivre les lignes du doigt, Alaman devait lire un autre passage totalement inconnu. Et, bien entendu, il en était incapable. Le troisième jour, alors que Venerika le grondait en s'interrogeant sur son incapacité à lire une page au hasard alors qu'il se débrouillait à la perfection avec celle qu'il préparait la veille, il s'était mis à pleurer de frustration.
Sa mentore s'était affolée, craignant d'être allée trop loin et qu'il fugue encore. Mais Alaman n'en avait rien fait. Il s'était contenté de pleurer toutes les larmes de son corps d'enfant pour évacuer enfin toute la déception et la colère provoquée par son incapacité à lire. Venerika s'était efforcée de le consoler et c'est ce jour-là qu'elle avait définitivement accepté le fait qu'il ne jouait pas la comédie.
Depuis, Alaman essayait parfois secrètement d'apprendre l'alphabet ou des mots simples. C'était voué à l'échec. Les années ne l'avait pas aidé et il était toujours aussi illettré. Une honte pour un chevalier dragon même si personne n'en parlait. Tant mieux. Il ne voulait pas donner à Lisbeth une raison supplémentaire de se moquer de lui.
Il observa donc les ouvrages avant de s'en détourner, laissant sa sœur dans son élément. Il l'enviait pour ça. Quand elle était plongé dans un livre, il était capable de voir sur son visage toutes les émotions par lesquelles elle passait. Joie, tristesse, peur, colère, amusement...Tout cela provoqué par des mots. Une expérience qu'il ne vivait jamais, sauf quand sa jumelle lui faisait la lecture. Ce qui devenait de plus en plus rare avec les années.
Il quitta la bibliothèque et déambula dans les couloirs jusqu'à ce que ses yeux noirs rencontrent le regard bleuté d'une servante blonde. Il s'arrêta brutalement au milieu du couloir et lui adressa un sourire charmant auquel elle répondit en rougissant. Là, il avait trouvé un bon moyen d'occuper son temps ! Elle portait une panière débordante de linge et le rouquin s'empressa de venir lui proposer de l'aide :
- Est-ce que je peux la porter pour vous ? Elle semble lourde.
Le sourire de la jeune femme s'élargit et elle dit d'une voix fluette :
- Vous êtes bien aimable mais je ne peux pas laisser un noble chevalier dragon effectuer ce genre de tâches...
- Ce genre de tâches ? répéta Alaman avec amusement. A vous entendre on dirait que porter du linge sale pour le laver est quelque chose de dégradant. Il n'y a pas de petites tâches, elles sont toutes importantes pour garantir le bon fonctionnement de la société.
- Vous dites ça pour être gentil.
- Possible. Et aussi pour que vous me laissiez porter cette panière.
- Et que voulez-vous en échange ? demanda t-elle, loin d'être bête.
- Un brin de conversation en charmante compagnie, déclara Alaman avec un sourire galant.
- Rien de plus ? insista t-elle avec une moue dubitative.
- Seulement ce que vous voudrez m'accorder, lui promit Alaman.
La proposition du jeune homme sembla la satisfaire car lui confia sa panière. Il accepta le fardeau et se plaça à côté d'elle. Elle sentait bon le savon, signe qu'elle devait travailler à la blanchisserie. Elle était menue mais non dénuée de formes. Elle possédait un charme discret sans être d'une beauté époustouflante et cela plût au rouquin. Il aimait les femmes mais ce qu'il aimait encore plus, c'était les séduire.
Et surtout séduire celles qu'il désirait. Être pleinement libre du choix de ses conquêtes, du lieu, de l'heure, de la façon de le faire. Il respectait cependant une règle : il s'arrangeait toujours pour faire comprendre aux femmes qui tombaient sous son charme que ce n'était que l'affaire d'une fois. Une seule et unique fois. Il ne voulait surtout pas d'une relation dans la durée. Il appréciait l'éphémère, la brièveté. Quelques heures, le temps d'une étreinte, et puis plus rien. En échange il offrait toujours à ses conquêtes ce qu'elles désiraient. Il se pliait à leur volonté et si elles exprimaient un besoin précis, il se faisait une joie de les combler. C'était le moins qu'il pouvait faire.
Il aida la servante qui se prénommait Amaria à porter le linge jusqu'à la buanderie du château. En chemin ils parlèrent de tout et de rien. Alaman s'employa surtout à la faire rire. Il se délectait des rires féminins et de la lumière qui éclairait le visage des femmes quand elles souriaient. Dans la buanderie, il lança les vêtements sales sur une pile haute qui attendait d'être triée. L'atmosphère dans la pièce était lourde et sentait le savon.
- Et voilà, une bonne chose de faite ! Merci de m'avoir accorder un peu de votre précieux temps, la remercia Alaman.
- Non, merci à vous. C'était très galant de votre part.
Amaria se mit sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur la joue mal rasée du chevalier dragon. Ce tout petit rien réchauffa le cœur d'Alaman qui la salua d'un signe de la main avant de retourner errer dans le château. Il appréciait sa récompense, peu importe si ce n'était pas grand-chose. Il ne forçait pas les femmes qu'il séduisait à lui accorder des faveurs.
Il ne prenait que ce qu'elles acceptaient de lui offrir et cela suffisait à son bonheur. Il aurait l'impression de ressembler aux femmes de sa tribu en tentant de le leur arracher par la force. Aux yeux des autres et même de ses amis il n'était qu'un coureur de jupons, un homme inconstant. Et il en était fier. Personne ne comprenait son mode de fonctionnement, exceptée Firenza.
Sa jumelle connaissait son passé et savait qu'il agissait comme il le faisait pour ne jamais tomber dans une vie de couple, une vie de servitude. D'ailleurs sa sœur était l'une des seules femmes à qui il accordait toute sa confiance. Avec Ourania et Lysange, bien entendu.Elles étaient de sa famille, les meilleures sœurs qui puissent exister.
En explorant les couloirs, il finit par découvrir un balcon qui offrait une vue panoramique sur la capitale. Il admira la cité de pierre qui s'étendait sous ses yeux et les gens, pas plus gros que des points noirs, qui déambulaient dans les ruelles. Si Aymeric avait été là, il se serait installé ici avec son carnet de voyage pour croquer le paysage. Alaman se contenta de le graver dans sa mémoire. Il n'était pas doué avec un fusain entre les doigts.
L'air frais agita sa tresse rousse qui lui arrivait aux omoplates. Son regard sombre se porta sur l'horizon, sur les terres gelées. C'est là-bas que les attendaient le plus grand défi de Notterey : les tribus de l'extrême nord.
Alaman en connaissait cinq qui se disputaient les terres gelées en permanence, donnant lieu à des combats sanglants. Les plus civilisés étaient les Kerks. Plus marchands que guerriers, ils commerçaient avec Ronto, échangeant des fourrures, de la graisse, de la viande et des plantes rares contre des métaux, des médicaments ou des légumes. Ils en revendaient ensuite aux autres tribus en échange de la paix. Une bonne manière pour eux de demeurer loin des conflits.
Il y avait ensuite les Yuls, dont le nombre s'était drastiquement réduit après une violente attaque de l'ancien clan d'Alaman. C'était une vengeance pour punir les Yuls d'avoir ravagé leur territoire et, par dessus tout, d'avoir tué des jumeaux. Un crime impardonnable aux yeux des femmes de son ex-tribu. Les Yuls avaient de la chance qu'il y ait eu des survivants.
Encore plus au nord s'affrontaient deux clans biens distincts : d'un côté les Istars, guerriers plus violents que réfléchis, et de l'autre les Polvars, habiles stratèges. Ils essayaient de se détruire depuis des lustres, sans grand vainqueur.
Et enfin, le dernier et le plus sanguinaires des cinq clans était celui où il avait passé la majeure partie de son enfance : les Valseryes, les chasseuses des glaces. Un clan majoritairement composé de femmes redoutables, formées à l'art de la guerre et prêtes à tout pour défendre leur territoire. La plupart du temps elles demeuraient calmes, sauf si un voisin avait le malheur de les attaquer ou qu'elles désiraient s'approprier quelques hommes. Dire qu'il lui faudrait bientôt retourner là-bas...Malgré son calme affecté face à Aymeric et durant le voyage, il tremblait au fond de lui.
Il restait le petit garçon rebelle mais effrayé qui avait fugué des années plus tôt pour se soustraire à son sort d'esclave. Il toucha ses joues, songeur. Tout ne se passerait pas bien, il le savait. Sa plus grande appréhension était de rester prisonnier et de ne jamais revoir Ondre. Il ferrait tout pour que ça ne se produise pas. Il se détourna de ce panorama splendide et replongea dans les entrailles du château, où il se sentait encore un peu en sûreté.

Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant