- Lisbeth, couvre Lysange ! Tu la laisses exposé aux dangers !
- Elle n'a qu'à rester près de moi ! protesta la princesse.
- Ce n'est pas ainsi que ça fonctionne ! la réprimanda Aymeric.
- Pour moi si !
Le jeune homme leva le poing pour mettre fin à l'entraînement. Les dix combattants baissèrent leur bouclier et leur épée en bois. Aymeric se piqua face à Lisbeth, qu'il dominait d'une bonne tête et demie. La jeune femme ne se démonta pas et l'affronta du regard.
- C'est un entraînement qui nécessite que vous veillez les uns sur les autres.
- J'ai fait de mon mieux ! C'était juste un petit manque de vigilance, cesse de t'en prendre à moi !
- Je serais moins rude si tu avais suivi mon conseil en reprenant une position correcte de manière à protéger ta partenaire ! insista le jeune homme.
- Toute une histoire pour une si petite faute ! s'exclama t-elle. Apprend à te détendre un peu !
- Ce n'est pas la faute qui me gêne mais ton comportement ! Tu n'écoutes rien et tu te fiches éperdument du sort de tes coéquipiers ! Hier tu as laissé Alaman seul face à trois adversaires pour aller faire je-ne-sais-quoi de ton côté !
- Et alors ? Il s'en est bien tiré, non ?
Aymeric serra les dents. Peu importe l'argument logique qu'il opposait à la princesse, elle tentait toujours d'avoir le dernier mot. Brazidas aussi. Chaque entraînement devenait un calvaire car elle n'avait aucun esprit d'équipe. Elle maniait bien l'épée, possédait une bonne endurance et ses techniques de combat au corps à corps étaient au point mais elle n'obéissait qu'à elle-même. Le jeune homme ne savait pas comment lui faire comprendre qu'elle se fourvoyait et adoptait le mauvais comportement. Il fut sauvé par un messager qui arrêta sa monture face à eux. Il tendit une lettre portant le sceau officiel d'Ondre à Aymeric en déclarant :
- Une missive importante du roi.
Aymeric le remercia en la prenant et l'ouvrit sans perdre une seconde. Lorsque le roi lui envoyait un courrier ordinaire il ne prenait plus la peine d'apposer le sceau de la famille royale et la missive atterrissait dans la chambre d'Aymeric. Le monarque ne s'adressait donc pas personnellement à lui.Chevaliers-dragons de la nouvelle génération,
le temps de votre apprentissage est derrière vous et l'heure est venue de prendre des responsabilités. Voici donc votre première mission : vous allez rendre une visite diplomatique au roi Médéril du Dragon. La tradition entre nos deux royaumes veut que tout les nouveaux chevaliers de votre garde se présentent au souverain qui en retour nous aide en nous faisant parvenir des œufs. Maintenir la bonne entente entre nous est donc primordial. Je déclare Aymeric Clarence meneur de cette mission qui,j'en suis sûr, sera menée à bien. Préparez-vous à partir dans la soirée suivant la réception de cette lettre.Alaric, roi d'Alembras.
Aymeric lut le courrier à l'intention de ses compagnons et un frisson d'excitation traversa la petite assemblée.
- Notre première vraie mission ! s'exclama Ourania.
- Dommage qu'elle soit simplement diplomatique, soupira Brazidas.
- Il ne faut pas sous-estimer l'importance des relations entre les royaumes, dit Lysange. Il faut maintenir une bonne entente pour que la paix perdure.
- Je suis d'accord, approuva Zacharie. C'est aussi important que de combattre un ennemi.
- Plutôt que de bavarder, nous devrions commencer les préparatifs. Alaman tu t'occuperas de rassembler des vivres, Zacharie tu prépareras un sac de soin en cas de problème durant le voyage, Lysange tu définiras la route que tu suivras par voie de terre avec Ourania, Lisbeth tu rassembleras l'équipement nécessaire au vol et tu le vérifieras. Je ne veux pas que quelqu'un chute en plein vol. Une fois que vous aurez terminé tout ça, vous pourrez faire votre sac. N'oubliez pas de prendre une tenue distinguée. Je pense que le roi voudra nous avoir à sa table. Quant à Hydronoé, Firenza, Ourania, Brazidas et Gébald, vous vous reposerez. Le vol de ce soir sera long et vous aurez besoin de toutes vos forces. C'est compris pour tout le monde ?
Ils hochèrent la tête et se dispersèrent sans protester, à l'exception de la princesse et de son jumeau dragon.
- Et toi, qu'est-ce que tu va faire ? Te tourner les pouces ? demanda t-elle avec dédain.
- Non. Je vais me renseigner plus en détails sur l'histoire du royaume dans lequel nous nous rendons et sur le protocole à respecter dans celui-ci afin que nous ne commettions aucune erreur, expliqua Aymeric.
- Mon père aurait dû me laisser diriger cette mission. Je connais ce territoire mieux que personne, se vanta la jeune femme.
- Vraiment ? demanda Aymeric avec une pointe de doute.
- Bien entendu : je suis fiancée avec le prince héritier.
Pauvre bougre ! Le jeune homme lui souhaita mentalement bonne chance. Avec une reine comme Lisbeth à ses côtés, ce prince ne tarderait pas à perdre la tête.
- Peu importe. C'est à moi qu'il incombe de diriger la mission. Allez donc vous occupez de vérifier l'équipement au lieu de contester mes directives.
Le duo s'exécuta en ronchonnant. Aymeric prit quant à lui le chemin de la bibliothèque alors qu'Hydronoé regagnait sa chambre. Il sortit les livres relatant l'histoire du royaume du roi Médéril. Le jeune chevalier-dragon savait déjà qu'il se nommait sobrement le royaume des dragons car il accueillait les gigantesques reptiles ailés depuis la nuit des temps. Il se situait au sommet de la montagne du nord, plus communément appelée la crête du dragon, et s'était construit autour d'un gigantesque lac dont découlait trois fleuves irriguant la majeure partie du territoire.
Par voie de terre ce territoire était difficilement accessible à cause de ses pentes raides et de la neige à son sommet. Par conséquent, le royaume s'était ouvert aux autres récemment et effectuait encore peu d'importations et d'exportations mais ce qu'il vendait était très recherché car luxueux. Il s'agissait souvent de bijoux, d'étoffes, de parfums, d'armes et même de livres rares. Aymeric savait peu de choses du couple royal hormis le nom du roi et de la reine, ainsi que celui du prince héritier. En se renseignant dans les livres, il apprit qu'une partie de la famille royale était morte dans un incendie criminel, le soir d'une grande réception, il y a un peu plus de vingt ans. Sur trois des princes de l'époque un seul s'en était sortit indemne : l'actuel roi, Médéril. Son frère aîné avait été calciné et le plus jeune était plongé dans le coma depuis ce jour. Lors de cette tragédie le précédent monarque était mort de ses blessures et il ne restait que sa femme. Aymeric compatissait à leur douleur : il savait très bien ce que c'était que de perdre des proches, surtout par le feu. Il n'y avait qu'un seul prince héritier et le paragraphe l'évoquant mentionnait surtout ses problèmes de santé et sa fragilité physique.
Il s'intéressa vaguement à l'histoire du pays qu'il connaissait mieux que celle de la lignée royale. Il nota qu'il devrait garder un œil sur Lysange pour la protéger car le royaume des dragons et celui des sylphes s'étaient longuement fait la guerre suite aux invasions destructrices et répétitives de ces derniers. C'était du passé mais qui sait si les habitants de ce territoire penseraient comme Aymeric ? Mieux valait prévenir que guérir et il ne se le pardonnerait pas si la femme qu'il aimait se retrouvait blessée à cause de sa négligence. Du côté du protocole et de l'étiquette, tout était semblable à ceux du territoire d'Alembras. Aymeric fut soulagé : il n'était pas très doué pour les courbettes et les manières délicates alors ne rien apprendre en plus et simplement garder en tête ce que Gordon lui avait inculquer sur la façon dont se comporter avec la haute société le tranquillisait. Il chercha dans un ouvrage illustré sur les lignées royales celle du royaume des dragons afin de mémoriser les visages du roi, de la reine et du prince héritier.
Les traits du monarque étaient anguleux et durs. Il possédait une mâchoire carrée, un nez droit, des lèvres fines et des cheveux noirs de jais soigneusement coiffés vers l'arrière. Au milieu de ce visage d'apparence stricte brillaient deux yeux bleu océan qui transmettaient une impression de tranquillité. Le front du monarque était ceint par une couronne en or avec une pierre verte émeraude au milieu. Vert et or, les couleurs du royaume des dragons.
La reine avait un visage plus rond, pâle avec des traits fins. Ses immenses yeux bleu clair bordés de fins cils blonds, son nez en trompette, ses joues rosées, sa bouche en forme de cœur et sa longue chevelure blonde comme les blés lui conféraient un air jeune et presque candide. Était-ce une volonté du peintre ou la réalité ? Aymeric ne tarderait pas à le découvrir.
Enfin venait le prince héritier, qui tenait autant de sa mère que de son père. De cette dernière il avait hérité du visage, des traits et de la bouche ce qui lui conférait un côté assez féminin. En revanche il avait pris du roi le nez droit, les épais cheveux sombres et l'intensité bleue apaisante du regard. Rien dans la peinture ne laissait présager une santé fragile, exceptée peut-être la peau blanche du prince. Une fois les renseignements importants obtenus, Aymeric rangea les livres et entreprit de faire son bagage. Le jeune homme plia soigneusement sa plus belle tenue, cadeau de Gordon pour son dix-huitième anniversaire. Elle avait la même coupe et couleur que celle qu'il avait reçu de la part de son bienfaiteur mystère durant son enfance. Son maître avait remarqué qu'il était déçu de ne plus pouvoir la porter et en avait fait fabriquer une réplique identique, adaptée à sa nouvelle carrure. Il l'avait remercié une bonne dizaine de fois.
La nuit tombait quand ils se réunirent tous dans la cour, en tenue de vol. Leurs anciens maîtres se trouvaient là aussi et leur souhaitèrent bonne chance pour leur première mission tout en leur donnant des conseils de dernière minute. Gordon serra Aymeric dans ses bras et lui glissa:
- Tu verras, ce n'est qu'une visite de routine. Quand j'y suis allé pour la première fois, je m'attendais à tout un baratin pompeux mais finalement le roi n'en a pas trop fait et nous avons passé un excellent séjour. L'essentiel est de rester souriant et de faire la conversation de temps à autre.
- Je vais faire de mon mieux.
Gordon lui donna une tape dans l'épaule et s'écria :
- Tu vas leur faire bonne impression mon garçon, en selle !
Aymeric sourit puis s'éloigna après un ultime signe de la main. Lui et le groupe s'enfoncèrent dans la forêt, leur matériel sur le dos. Les dragons se séparèrent d'eux le temps de changer de forme puis il s installèrent les selles sur le dos de leur jumeau. Ces derniers cachèrent mal leur mécontentement : ils détestaient être traités comme des chevaux mais c'était un mal nécessaire pour éviter les chutes.
- Zacharie et Gébald, vous accompagnerez Lysange et Ourania au sol. D'accord ?
Le duo approuva son idée et ils se mirent aussitôt en route. Quand Hydronoé décolla, un sentiment de légèreté envahi Aymeric. Le vent lui rabattit les cheveux vers l'arrière et hurla à ses oreilles. Hydronoé accéléra en battant des ailes plus fort et gagna en altitude. Son frère et sa sœur l'encadraient. Brazidas était le moins rapide des trois, contrairement à Firenza qui prit la tête du trio. Alaman poussa un hurlement de joie en brandissant le poing dans le ciel nocturne. Désormais ils n'étaient éclairés que par la lune et les étoiles. L'air glacial se déposa sur la peau d'Aymeric et l'oxygène commença à se raréfier avec l'altitude. Grâce aux nombreux entraînements en plein ciel, il avait l'habitude et l'oppression qu'il ressentait en respirant n'était qu'une gêne mineure comparée au bien-être que lui procurait cette soirée dans les airs. Il ne s'endormit pas du trajet, profitant de l'immensité qui s'étalait devant lui et de la beauté de la voie lactée. Il remarqua qu'en revanche Alaman était affalé sur le cou de Firenza où il ronflait comme un bienheureux et que Lisbeth tanguait dangereusement sur sa selle. Heureusement qu'ils étaient solidement harnachés à celle-ci pour ne pas risquer de tomber ! Aymeric espéra que tout se passait bien pour le quatuor au sol. Ourania et Gébald seraient plus fatigués en arrivant au royaume des dragons car ils devaient courir pour couvrir autant de distance que leurs camarades volants. Le jeune homme songea qu'il fallait trouver une solution au vertige de Lysange sinon les longs voyages d'un bout à l'autre du continent allaient prendre plus de temps.
Quand le soleil se leva et colora l'horizon de couleurs flamboyantes, la masse noire et imposante de la montagne du nord se précisa et se détacha du bleu sombre de la nuit. A cette distance, Aymeric voyait déjà les pentes couvertes de neige mais pas le royaume.
- Prend de l'altitude, demanda t-il à Hydronoé.
Son dragons'exécuta en progressant lentement pour que la pression n'assomme pas son frère. Les oreilles du chevalier-dragon sifflaient et il se força à respirer lentement à cause du manque d'oxygène. Ils traversèrent un nuage qui les humidifia et Aymeric eut pour la première fois un aperçu de la cité royale. Dans la lumière du soleil levant, il vit un lac aux proportions gigantesques scintiller de mille feux. Une île se trouvait en son centre, reliée à la terre par un pont de pierre. Des silhouettes sinueuses et ailées évoluaient autour de cette portion de terre perdue au milieu de l'eau. Aymeric reconnu des dragons, par dizaines. Sur les berges du lac se dressait la ville. Elle possédait une architecture différente de toutes celles qu'il avait observé en sillonnant Amaris. Ici, des habitations en pierres s'élevaient sur plusieurs étages. Elles étaient souvent reliées à leur voisine par des ponts en pierre et entourées de jardins bien entretenus et parfaitement symétriques. Les maisons les plus proches du lac se révélaient être les plus luxueuses et les plus étendues.
Le jeune homme remarqua une étrange structure tout en marbre blanc, isolée au bord d'une rive et encerclée par un petit bois. Sans doute un édifice religieux. Ses yeux rencontrèrent aussi ce qui devait être le palais royal : contrairement aux autres bâtiments, celui-ci était en hauteur et surplombait la ville. Après un escalier titanesque il s'élevait vers le ciel sur trois étages. La construction demeurait très carré, assez sobre. Pas de douves, de créneaux, de façades taillées. Firenza et Brazidas rejoignirent Hydronoé. Depuis quelques heures ils volaient moins vite et le chef de l'équipe comprit que quelques heures de repos seraient les bienvenues.
- Nous allons nous poser en périphérie de la ville, décida t-il. Nous monterons rapidement le camp et vous pourrez dormir.
Cette annonce galvanisa les dragons qui donnèrent leurs dernières forces pour atterrir en douceur au milieu d'une plaine herbeuse et caillouteuse assez plane. Aymeric regagna le sol et s'étira un instant avant de réveiller Alaman et Lisbeth. Encore dans les vapes, ses deux compagnons l'aidèrent néanmoins à planter tant bien que mal une tente pendant que leurs jumeaux dragons allaient reprendre forme humaine à l'abri des regards indiscrets. Hydronoé revint le premier en traînant des pieds et bailla. Il se glissa dans la tente, s'enroula dans sa cape de voyage et s'endormit aussitôt. Firenza et Brazidas ne tardèrent pas à le rejoindre. Pendant ce temps, Alaman alluma un feu et entreprit de préparer un petit-déjeuner avec les moyens du bord. Lisbeth massait ses muscles douloureux en se plaignant et Aymeric gardait les yeux fixés sur l'horizon, à l'endroit où il s'attendait à voir surgir les derniers membres de l'équipe. Ils arrivèrent trois heures après eux et le jeune homme fut soulagé de les voir fatigués mais en un seul morceau. Il alla à leur rencontre et demanda à Zacharie car Lysange dormait:
- Tout s'est bien passé ?
- Oui. Aucun obstacle sur la route si ce n'est un éboulis un peu plus bas. Nous l'avons évité de peu grâce à l'instinct de Gébald.
Le dragon épuisé hocha humblement la tête et son cavalier quitta son dos et lui retira sa selle pour qu'il puisse se métamorphoser sans qu'elle l'encombre et reprendre des forces avec quelques heures de repos bien méritées. Ourania était dans un état pire que celui du dragon de terre. Elle peinait à tenir debout et tirait la langue. En tant que dragon d'air, elle n'était pas faite pour les efforts physiques au sol. Aymeric s'empressa de réveiller Lysange et libéra la dragonne de sa selle. Ourania ne prit pas la peine de revêtir sa forme humaine et se roula en boule près de la tente, à bout de forces. Sa sœur se mordilla la lèvre inférieure et murmura :
- Je m'en veux tellement de la forcer à rester à terre. Elle serait bien plus heureuse dans les airs...
- En rentrant nous trouverons une solution pour combattre ta peur, lui assura Aymeric.
- Mon maître a déjà essayé : sans succès.
- Nous devons persévérer. Pour le bien d'Ourania et l'efficacité du groupe. Mais nous en reparlerons plus tard. Allons manger pour le moment.
Ils dégustèrent un plat de la composition d'Alaman qui les réchauffa. Même si le soleil montait dans le ciel, un vent froid soufflait sur la plaine où ils campaient. Aymeric était heureux de porter sa tenue de vol même s'il devrait bientôt la troquer contre son uniforme de la garde.
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Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du monde
FantasíaAymeric est à présent un chevalier dragon. Lui et ses compagnons doivent endosser leurs responsabilités et effectuer leur première mission : une visite diplomatique au royaume des dragons. Mais la mission prend une tournure inattendue et une suite d...