Chapitre 36 : Un cœur amoureux

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La stupeur passée, Reydan reprit contenance et se remit sur ses jambes en toisant Gébald d'un regard noir chargé de dédain.
- Ne crois pas que je vais en rester là, dit-il. Maintenant que je sais que Zacharie est en vie, je ferais tout pour qu'il me revienne.
- Génial, grogna le dragon de terre. Commence par apprendre le respect et la délicatesse si tu veux avoir une chance de lui parler. Quant à le faire retomber amoureux de toi, tu peux rêver. Je devrais t'arracher la tête pour lui avoir fait tant de mal...
Gébald ferma rageusement le pan de tente que Zacharie avait laissé ouvert une fois que Reydan se fut éloigné. Le dragon de terre posa sa jarre d'eau qu'il avait réussi à ramener malgré sa cavalcade sur la table et cria :
- Tu ne pouvais pas m'appeler au lieu d'essayer de gérer le problème par toi-même ? Cet homme aurait pu te faire du mal, il s'apprêtait à...à t'agresser ! Tu avais envie de souffrir une fois de plus ? Tu aimes qu'on te fasse du mal ? Imbécile ! Je fais de mon mieux pour veiller sur toi mais on dirait que tu cherches à ruiner mes efforts !
Zacharie dit d'un ton doux, une fois que son frère eut déversé toute la colère née de son inquiétude sur sa personne :
- Je n'avais pas besoin de t'appeler car je savais déjà que tu venais. J'ai retardé le plus catastrophique en attendant ta venue.
- Le plus catastrophique ?! Tu es trop gentil ! Mais pourquoi est-ce que tu ne l'a pas maîtrisé ? Tu sais le faire aussi bien qu'Aymeric pourtant !
- Le blesser aurait risqué de compromettre notre mission, expliqua Zacharie.
Son jumeau le scruta un instant de ses yeux ambrés puis chuchota tout bas, comme s'il révélait un secret :
- Tu as eu peur. Peur d'être sanctionné à nouveau.
Zacharie ne put s'empêcher de baisser la tête comme un enfant prit en faute. C'était odieux à avouer mais son frère avait raison. Il avait craint qu'en s'opposant à Reydan ce dernier invente encore un prétexte pour le faire châtier et il avait affaibli sa résistance. Le jeune homme serra les poings en constatant à quel point il était faible et peureux.
- Ce n'est pas une honte Zach, essaya de le réconforter son frère. Tu ne dois pas t'en vouloir, c'est fini maintenant. Il n'est plus là.
Zacharie essaya de s'en convaincre mais il sentait toujours la pression des doigts de Reydan autour de ses poignets, ses lèvres dans son cou, son corps pressé contre le sien. Un frisson de répulsion le hérissa et son ventre se retourna.
Il quitta rapidement la tente et rendit le contenu de son estomac dans le sable, à deux mètres de celle-ci. Il lutta contre la nausée et chercha à reprendre son souffle. Gébald vint veiller sur lui en scrutant attentivement les alentours.
Zacharie essaya de se sortir l'image de Reydan de l'esprit. Son ventre se tordit une nouvelle fois et il rendit de la bile mêlée au peu qu'il restait de son repas. Son jumeau passa une main apaisante dans son dos et dit :
- C'est terminé. Il ne reviendra pas, j'y veillerais.
Le jeune homme à la peau noire hocha la tête et essuya sa bouche d'un revers de la main. Il regagna la tente en titubant, encore sous le choc. Il avisa la cruche d'eau apportée par son jumeau et une envie fulgurante se saisit de lui.
Il tira un morceau de bandage de son sac et le trempa dans le liquide avant de se mettre à se frotter frénétiquement. Il insista sur toute les zones touchées par cet homme détestable à s'en arracher la peau. Constatant qu'il allait se faire du mal, Gébald intervint en saisissant la main de son jumeau qui tenait le tissu imbibé d'eau.
- Arrête Zach. Calme-toi.
Zacharie se rendit compte qu'il tremblait et que des larmes roulaient sur ses joues. Il renifla et les retira du bout des doigts tandis que son jumeau le forçait à s'asseoir sur leur lit de fortune.
- Tu n'as pas menti quand tu me racontais que ce Reydan était une enflure. En revanche tu m'as caché que tout cela t'avais autant affecté. Regarde ce que ça donne maintenant.
Zacharie essaya de sourire mais un sanglot s'échappa de sa bouche et il se mit à pleurer sans pouvoir s'arrêter. Son jumeau lui murmura des paroles rassurantes tandis qu'il épanchait la peine sous laquelle croulait son cœur depuis trop longtemps. Il se calma après une longue heure et Gébald lui demanda :
- Ça va mieux ? Tu veux boire un peu d'eau ?
- Je suis encore barbouillé mais je me sens mieux.
Zacharie s'allongea sur sa couverture en fixant le sommet de la tente. Gébald s'installa à ses côtés et la présence de son jumeau tranquillisa un peu le jeune homme. Alors que le feu mourrait lentement en plongeant la tente dans le noir, il se surprit à craindre de fermer l'œil. Il avait peur que Reydan revienne à la faveur de l'obscurité et s'en prenne à lui. Gébald chuchota :
- Ne crains rien, je vais veiller sur toi. Dors.
- Il faut aussi que tu te reposes. Nous allons voler demain, tu as besoin de toutes tes forces.
- Ça va aller. Ferme les yeux et arrête de penser, lui conseilla son jumeau.
Zacharie essaya, en vain. Chaque fois qu'il s'apprêtait à sombrer dans le sommeil, le visage pervers de Reydan surgissait et le ramenait à la réalité. Alors qu'il se tournait pour la vingtième fois en peu de temps, Gébald soupira et murmura :
- Puisque tu n'es pas décidé à fermer l'œil, est-ce que je peux te poser une question indiscrète ?
- Je t'écoute.
- Quand j'ai regardé par tes yeux pour voir ce qui te mettait tellement en colère et que tu parlais avec Reydan, j'ai entendu un bout de votre conversation qui a titillé ma curiosité et plus particulièrement quelque chose que tu lui as dit. Donc j'aimerais savoir...De qui est-ce que tu es amoureux ?
Zacharie se sentit rougir et déclara en tournant le dos à son jumeau :
- Je passe la question.
- Allez Zach ! Ne fais pas ton timide ! Je suis ton frère, tu peux tout me dire ! Est-ce que tu as encore des sentiments pour Alaman ?
Le jeune homme à la peau sombre secoua la tête et répondit :
- Plus depuis longtemps, comme je te l'ai expliqué.
Il avait en effet succombé au charme du rouquin durant son enfance et cette attirance avait duré jusqu'au début de son adolescence. Il n'en avait jamais parlé à quiconque, excepté à Gébald lors de leur séjour chez les Lankis.
Pendant des années, il avait secrètement aimé son compagnon d'arme même en sachant que ce n'était pas réciproque. Et quand l'attirance d'Alaman pour la gente féminine s'était confirmée, Zacharie en avait souffert mais n'en avait pas voulu au tatoué.
Peu à peu, son amour s'était mué en amitié sincère faute de retour et il avait pensé ne jamais pouvoir accorder son cœur à un autre de crainte d'être à nouveau blessé. Du moins jusqu'à il y a peu. Gébald insista :
- Allez, dis-moi ! J'ai envie de savoir, fini les cachotteries !
- Cesse de te comporter comme une jeune adolescente, le réprimanda Zacharie sans pouvoir dissimuler son amusement.
- Et toi ne joue pas au coincé avec moi ! Puisque tu le prends comme ça, je vais essayer de deviner. Alors...Est-ce qu'il a notre âge ?
Zacharie leva les yeux au ciel mais se prêta tout de même au jeu de son jumeau :
- Oui, à quelques mois près.
- Inutile de te demander s'il est beau donc...Il fait partie de notre entourage ?
- Non.
- Ah bon ? Dans ce cas il vit loin ? Est-ce que je l'ai déjà vu ?
- Ça fait deux questions mais oui et oui.
Son jumeau se tut un instant pour réfléchir et dit :
- C'est compliqué, nous avons déjà croisé beaucoup de jeunes gens charmants au cours de nos voyages. Tu peux me donner un indice ?
- Et pourquoi pas son nom directement, tant qu'on y est ? ironisa Zacharie.
- Allez, juste un petit indice de rien du tout !
- Très bien, se résigna le jeune homme. Nous l'avons rencontré lors d'une mission où il s'est produit un événement très grave que nous ne sommes pas prêts d'oublier.
Gébald réfléchit un instant puis se redressa en position assise à la vitesse de l'éclair, comme si un insecte venait de le piquer.
- Non, marmonna t-il. Dis-moi que ce n'est pas la personne à laquelle je pense !
- Et à qui est-ce que tu penses ? demanda Zacharie en pressentant que son jumeau avait mis le doigt dessus.
- Un jeune homme brun aux yeux bleus, issu d'une famille royale et avec une santé fragile ?
- Gagné, confirma Zacharie avec un léger sourire.
- Le prince Ezimaël ?! Sérieusement ?!
Oui, sérieusement. Zacharie n'y pouvait rien, c'était comme ça. Lors de leur première rencontre devant le palais au royaume des dragons, il l'avait trouvé bel homme avec un charme à la fois délicat et viril. Son intérêt aurait pu s'arrêter là mais il avait souvent surpris le regard d'Ezimaël sur lui durant le banquet organisé en l'honneur des chevaliers dragons.
Normalement il n'aurait pas du être dérangé par cette inspection insistante. Le reste des convives faisaient de même, avec des gloussements en prime, et cela ne le dérangeait pas. Mais l'attention que le prince lui portait le perturbait.
Il n'arrivait pas à déterminer si ce dernier était intimidé par sa présence ou la couleur de sa peau. C'est en constatant qu'il s'intéressait de trop près à ce que le prince pensait de lui qu'il avait compris qu'Ezimaël du Dragon lui plaisait.
Plusieurs fois au cours de la soirée, il avait eu la chance de l'approcher de plus près mais au moindre contact, Ezimaël le fuyait. Le prince s'esquivait vivement comme s'il ne voulait pas être touché ou regardé par quelqu'un comme Zacharie.
C'était un comportement étrangement blessant et le chevalier dragon avait conclu que le prince le détestait à cause de la couleur de sa peau, comme cela arrivait parfois, et qu'il n'avait aucune chance, une fois encore.
Il avait tenté de se convaincre de renoncer mais plus il l'avait regardé, plus son attraction s'était renforcée. Ezimaël dégageait une douceur qu'il dispensait volontiers à son entourage pour lequel il s'inquiétait et prenait soin en mettant en péril sa propre santé.
Zacharie l'avait constaté lors de la recherche de la reine qui était partie en plein dîner. Ezimaël l'avait recherché activement en sa compagnie et s'était épuisé au point d'avoir une crise.
Il avait suffi de moins d'une soirée à Zacharie pour tomber sous le charme et avoir envie de le connaître. Sauf que, comme pour Alaman, il avait pensé que le prince n'était certainement pas attiré par les hommes.
Sans compter qu'il semblait le fuir à tout prix, comme si Zacharie le répugnait. Du moins c'est ce que le chevalier dragon croyait, à tort.
Le prince n'avait eu à prononcer qu'une phrase pour semer le trouble en lui. Il s'en souvenait avec précision. C'était durant l'après-midi qui avait suivi la mort d'Aymeric, alors qu'il allait au chevet du prince Liwen, cet homme plongé dans le coma depuis des années et qui demeurait miraculeusement en vie sans pour autant se réveiller. Il avait obtenu l'autorisation de la reine et du roi pour tester un nouveau remède susceptible de le faire sortir du sommeil.
En entrant dans la chambre du malade, il avait trouvé Ezimaël assoupi sur une chaise aux côtés de celui-ci. Le prince semblait adorer son oncle. Bien entendu, le jeune homme s'était réveillé et avait tout mis en œuvre pour ne pas regarder Zacharie en face.
Comme ce comportement agaçait de plus en plus le chevalier dragon, il avait très clairement demandé au prince si c'était sa couleur de peau qui lui posait problème. Et la réponse de celui-ci n'était celle à laquelle il s'attendait. Ezimaël avait déclaré d'un ton presque indigné :
- Je ne vous déteste pas ! Votre couleur de peau ne me pose aucun problème, contrairement à ce que vous croyez. Et oui, votre présence me gêne mais pas pour la raison que vous imaginez !
Le prince avait semblé regretter ses derniers mots et c'était empressé de baragouiner une excuse avant de quitter la pièce tandis que les morceaux du puzzle s'assemblaient dans l'esprit de Zacharie. Ce qu'il prenait pour de la haine ou du racisme n'en était pas, bien au contraire !
A partir de ce moment-là, il avait commencé à croire que le prince Ezimaël ressentait peut-être la même chose que lui. Ce constat l'avait enchanté mais malheureusement, ils étaient repartis le lendemain et il n'avait pas eu l'occasion de revoir Ezimaël pour lui poser la question.
Au moment du départ le prince et le roi du royaume des dragons étaient venus les saluer. Il avait remarqué qu'Ezimaël croulait sous l'embarra et la honte. Pas une fois il ne l'avait regardé alors qu'il ne souhaitait que ça. Il avait réussi à capter son regard en se retournant une dernière fois avant d'entamer la descente des escaliers.
Les yeux bleus d'Ezimaël brillaient de doutes et de tristesse et Zacharie avait chargé les siens de toute la tendresse qu'il éprouvait pour le prince, afin de l'apaiser. En voyant les prunelles du prince retrouver leur douceur, son cœur s'était gonflé de joie.
Après cette mission, il s'était attendu à devoir attendre de longs mois, voir des années, pour avoir la chance de le rencontrer à nouveau. Mais le destin, ou les dieux, avait précipité les choses.
Alors qu'il cueillait des herbes aquatiques très utiles en cataplasmes pour soigner le mal de dos dans la rivière, il avait commencé à songer à Ezimaël. Une fois de plus. C'était de plus en plus fréquent depuis leur retour du royaume des dragons, comme si le prince l'accompagnait toujours en pensée. Et en relevant la tête il l'avait vu, juste là sur la rive.
Il avait cru à un mirage mais il n'était pas dans le désert. Le prince était bel et bien là, pour un voyage diplomatique. Ils avaient discuté et cette fois Ezimaël n'était pas distant. Toujours gêné, certes, mais il parlait plus librement.
Il avait proposé son aide à Zacharie pour ramasser des herbes et, mêmes'il avait jugé que ce n'était pas une activité digne d'un futur souverain, il l'avait laissé l'aider juste pour le plaisir de passer du temps en sa compagnie.
Le prince avait même commis une maladresse en glissant sur une pierre, se retrouvant les fesses dans l'eau. Ils avaient éclatés de rire juste avant d'échanger un regard intense.Qui sait à quoi il aurait donné lieu si Ezimaël n'avait pas eu une crise.
Le prince n'avait pas voulu de son aide pour se relever et s'était débrouillé de lui-même pour s'installer sous un arbre et reprendre son souffle, le pire derrière lui. Zacharie avait admiré sa force de caractère, le fait qu'il veuille faire les choses par lui-même alors qu'il était au plus mal. Comme le prince avait besoin de dormir un peu pour retrouver des forces, il avait osé lui prêter son manteau et ce dernier ne l'avait pas refusé.
Zacharie l'avait même surpris à le humer discrètement. Autant d'indices qui laissaient penser qu'Ezimaël l'appréciait plus qu'il ne voulait bien l'avouer.
Sa journée idyllique s'était achevée durant le banquet le soir-même, quand le roi d'Alembras avait annoncé l'union prochaine de Lisbeth et Ezimaël. La réalité lui était revenue en pleine tête et il n'avait pas apprécié. Ezimaël non plus d'ailleurs.
Il l'avait découvert songeur, et un peu trop enivré, près de la forêt alors qu'il sortait faire une marche nocturne pour se remettre les idées en place et calmer son cœur attristé.
Le prince ne semblait pas heureux pour son futur mariage. N'importe quel homme intelligent et connaissant un tant soit peu Lisbeth l'aurait été. Ils avaient marché côte à côte en lisière des bois tout en parlant.
Ezimaël lui avait raconté son désaccord vis-à-vis de son union avec la princesse d'Alembras. Zacharie avait essayé de tâter le terrain pour savoir ce qui le rebutait à ce point et s'il avait quelqu'un dans sa vie. Le silence et les œillades en coin du prince étaient éloquents.
Alors Zacharie avait tenté un geste un peu fou qui aurait pu tout compromettre : il avait pris la main d'Ezimaël. Et celui-ci ne s'était pas soustrait à ce contact.
Pour la première fois de son existence, il avait senti qu'il n'était plus seul et que quelqu'un d'autre partageait ses sentiments. Cette fois ce n'était pas à sens unique, pas voué à l'échec. Il n'avait pas osé en faire plus car le moment lui paraissait mal choisi et qu'il ne voulait pas profiter de la faiblesse du prince, éprouvé par la nouvelle de son futur mariage.
C'est cette nuit là qu'il avait compris qu'il aimait Ezimaël et que cet amour était réciproque. Depuis il ne rêvait que d'une chose : le revoir. Bien entendu ils devraient se cacher, faire comme si de rien n'était, rester sur leur garde. Mais ça en valait la peine.
- Je l'aime, dit-il distinctement dans l'obscurité de la tente.
- Et lui ? l'interrogea Gébald.
- Je pense aussi. Il me manque.
- J'espère que tu le reverras bientôt.
- Oui : pour son mariage, répondit amèrement Zacharie.
Il soupira en se demandant pour la énième fois ce qu'il avait fait pour mériter de vivre autant d'épreuves qui meurtrissaient si profondément son cœur. Son jumeau posa une main sur son bras.
- Je suis désolé Zach. Je ne voulais pas te faire de peine...
- Ce n'est pas ta faute. Ce n'est celle de personne sinon du roi d'Alembras et du royaume des dragons. Dormons maintenant. Nous avons assez bavardé pour ce soir.
Gébald ne protesta pas. Cette conversation avait détourné l'attention de Zacharie de Reydan et il s'endormit en songeant paisiblement à Ezimaël. Il se leva avant son jumeau et constata que celui-ci dormait comme un bienheureux. Bravo pour la surveillance !
Il enfila une tenue propre et rangea ses quelques affaires. Il attendit que son frère se réveille, le ventre grondant. Gébald finit par émerger en grognant et observa autour de lui, les yeux mi-clos.
- C'est comme ça qu'on veille sur son frère ? se moqua Zacharie.
Le dragon de terre pinça les lèvres en écarquillant les yeux, confus. Il se leva précipitamment et s'habilla en quatrième vitesse pour se donner un peu de crédibilité, sans succès. Zacharie l'aida à préparer son sac et ils quittèrent la tente pour retrouver leurs compagnons.
Il était encore tôt mais les Hérances s'activaient déjà. Les jeunes guerriers s'entraînaient en compagnie des aînés et les deux chevaliers dragons les évitèrent soigneusement, de peur de tomber nez-à-nez avec Reydan.
Comme le jeune homme à la peau noire s'y attendait, Aymeric était déjà réveillé et discutait avec un guerrier. Il salua son interlocuteur et le laissa en voyant ses amis venir à lui.
- Il ne manque plus qu'Ourania et Lysange et nous serons prêts à faire le voyage de retour, déclara leur meneur sans cacher sa satisfaction.
- J'ai hâte de regagner notre bon vieux château ! s'exclama Gébald.
- Moi aussi il me manque un peu. On est jamais mieux que chez soi ! déclara Aymeric. Vous avez faim ? Il reste des dattes au miel et du lait de chèvre.
Zacharie ne se fit pas prier. Il mourrait de faim. Il dévora ses fruits enrobés de miel et but pour faire passer leur goût sucré. Gébald ne fit que grignoter, sans doute pour lui laisser une plus grosse portion. Ils terminaient leur déjeuner quand Lysange et Ourania sortirent d'une tente, déjà habillées et leurs sacs sur le dos.
Elles mangèrent en quelques minutes, le temps pour Aymeric de dire au revoir au chef des Hérances. Le doyen et lui se firent une accolade, comme c'était la coutume dans ce clan, puis le demi-dieu vint vers eux et dit :
- Nous allons être raccompagné à la lisière du camp puis nous nous débrouillerons par nous-mêmes.
Des guerriers vinrent les entourer à la manière d'une escorte, un honneur pour les chevaliers dragons car il s'agissait d'une marque de respect. Zacharie pâlit en avisant Reydan parmi eux. Son ancien amant lui envoya un regard qui signifiait qu'il n'avait pas renoncé à lui, malgré la scène de la veille.
Gébald se rapprocha instinctivement de son frère. Le jeune homme à la peau sombre essaya de se rassurer en se disant que Reydan ne tenterait rien avec autant de monde autour d'eux. Ils allèrent en bordure du campement et se séparèrent là, laissant les habitants du désert derrière eux.
Et surtout Reydan. Zacharie sentait ses yeux vert clair se poser sur lui et le suivre jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière une dune.
Il se sentit délivré d'un poids énorme et sa libération de l'emprise de son clan se concrétisa quand la nuit tomba, après une marche lente à l'ombre des montagnes sableuses. Gébald se transforma en dragon et ils prirent la voie des airs. Ils progressèrent lentement, car les selles étaient non loin du campement des Aterniens. Mais cela importait peu à Zacharie.
Dans le désert tout était calme et le sable défilait sous eux, s'étendant à perte de vue. Il y avait autant de grains de sable que d'étoiles dans le ciel et le spectacle était féerique, apaisant. Il porta son regard sur l'horizon et emplit ses poumons de l'air du désert, enfin tranquille.
Il regagnait son foyer en compagnie de ceux qui importaient vraiment, retournait là où il avait sa place plus que nulle part ailleurs.

Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant