Au pied de la tour des invités se trouvait Alaman, adossé contre le mur et les bras croisés. Il semblait les attendre et son air grave ne disait rien qui vaille.
- Vous en avez mis du temps. J'ai cru qu'on ne vous reverrait jamais.
- Comme tu le vois, nous sommes encore en un seul morceau. Du nouveau ?
- Rien de bien palpitant en dehors de l'ambiance étrange qui règne ici et de l'interdiction un peu trop marquée de pénétrer dans le palais. Un peu de plus et les gardes en faction devant les portes m'embrochaient ! Est-ce que c'était comme ça quand tu vivais ici Lysange ?
- Non, bien au contraire. Les portes étaient ouvertes en permanence durant la journée et une file d'habitants s'étendaient jusqu'aux nacelles pour avoir une audience avec la reine.
- Alors comme ça le palais nous cache un vilain petit secret, conclut Alaman. Reste à savoir lequel et si tout cela concerne la rupture des communications. Honnêtement, je n'ai pas cru son histoire d'épidémie chez les pigeons une seule seconde.
- Et tu as bien raison, lança une voix dans leur dos.
Ils se tournèrent vers Zacharie qui arrivait vers eux. Il s'arrêta face au trio et baissa la voix :
- J'ai trouvé la branche qui abrite le pigeonnier. Il est étroitement gardé mais les oiseaux sont bels et bien vivants et en bonne santé. La reine a menti.
Ils échangèrent un regard entendu.
- Ce soir prudence maximale, décida Aymeric. Ne laisser rien transparaître durant le dîner. Demeurons polis et faisons la conversation comme si de rien n'était tout en guettant la moindre anomalie chez la reine. Quelque chose ne tourne pas rond et nous devons découvrir quoi. Car si elle n'a pas dit la vérité concernant les oiseaux, elle a aussi pu mentir à propos des négociateurs.
- Selon toi ils seraient arrivés ici et elle les retiendrait prisonniers ? demanda Alaman.
- Ça ou autre chose. Nous devons justement le découvrir.
Ils retournèrent dans leurs appartements et Césaire, le vieux garde, vint les chercher quelques minutes plus tard. Ils étaient revenus juste à temps. Aymeric avait profité de ce bref répit pour transmettre les dernières nouvelles à Hydronoé. Du côte des dragons, tout allait bien. Ils demeuraient cachés et surveillaient l'évolution de la situation.
Le dîner qui les attendait dans le palais était gargantuesque et comportait surtout des légumes, des fruits et un peu de poissons. Quelques plats de gibiers mais aucune viande bovine ou de poulet. Des carafes en cristal remplies de vin étaient disposées tous les mètres sur la gigantesque table de bois. Ici pas de nappe en tissu précieux ou de chaises confortables. La décoration de la salle à manger, de taille modeste, demeurait sobre. Du parquet luisant, des murs peints avec des motifs floraux discrets, de hautes fenêtres en ogives dans le fond de la pièce et des moulures aux plafonds représentant un arbre. Aymeric et ses compagnons prirent place face à leur assiette, elle aussi en bois. Les couverts étaient en argent et le verre à pied gravé à l'or fin. Encore une fois le mélange de rustique et de modernisme des lieux frappa Aymeric.
La reine siégeait en bout de table, encadrée par ces deux filles. Elle avait échangé sa robe argentée contre une autre, vert émeraude. Des pierres précieuses de la même couleur sertissaient le corset et attiraient le regard sur la taille fine de la régente. Les princesses portaient des répliques exactes de cette robe dans une teinte plus claire. La reine des sylphes désigna le repas d'un large mouvement de bras et déclara :
- Mangez donc, les plats vont refroidir.
Les chevaliers dragons se servirent mais Aymeric préféra ne pas toucher à son assiette. Avec ce qu'ils avaient appris à propos des mensonges de la reine et de la disparition plus que mystérieuse des négociateurs il préférait ne pas faire trop confiance à la souveraine des sylphes. Il nota avec satisfaction que tous ses amis faisaient de même. Tous sauf Lisbeth, qui commença à manger avec appétit. Alaman leva les yeux au ciel et Zacharie eut une moue navrée. Quant à Lysange, elle faisait mine de touiller le contenu de son assiette avec sa fourchette. Aymeric se servit un peu de vin et fit mine d'y tremper les lèvres sans laisser une seule goutte se poser sur sa langue.
- Avez-vous visité les lieux ? s'enquit la reine.
- Oui, l'endroit est charmant. Votre société est vraiment bien organisée, la complimenta Alaman.
- C'est grâce à cela que nous arrivons à survivre sans avoir besoin de nous encombrer d'alliances et d'accords avec les autres royaumes, répondit la régente.
- C'est très admirable, déclara le rouquin pour continuer à la brosser dans le sens du poil.
- Je suis heureuse que notre système plaise à un étranger. D'ordinaire ils ne sont pas si ouverts d'esprit et adorent critiquer nos manières de vivre. C'est sans doute grâce à la présence bénéfique de l'une des nôtres parmi vous.
Elle désigna Lysange et demanda :
- Qui êtes-vous jeune fille ?
- Lysange Sturm majesté. Vous ne vous souvenez probablement pas de moi, j'étais très jeune lorsque je suis partie.
La reine et ses filles se perdirent quelques instants dans une profonde réflexion puis la souveraine déclara :
- Je me souviens en effet. Vous étiez partie ? J'ai le souvenir qu'on vous avait déclaré morte.
La jeune sylphe secoua la tête et dit avec un grand sourire qui camouflait parfaitement sa nervosité :
- Pas le moins du monde. Mes parents ont simplement décidé de m'envoyer à Alembras pour que je m'imprègne d'une culture différente. Ils m'ont confié au roi qui m'a fait découvrir sa garde personnelle. J'ai été si impressionnée que j'ai décidé de m'engager et mes parents ont cédé face à mon enthousiasme et ma détermination. Voilà comment je me suis retrouvé parmi la garde rapprochée du roi d'Alembras.
Son récit inventé de toute pièce sembla satisfaire la reine qui hocha la tête en prenant une fourchette de son assiette. Le reste du dîner se passa entre silences pesants et discussions orientées sur la politique du monde des sylphes. Aymeric essaya de se montrer curieux mais savoir que la reine ne jouait pas franc-jeu avec eux et risquait de leur tendre un piège d'une minute à l'autre ne l'aidait pas à avoir la tête à bavasser.
Contrairement à Alaman qui ne perdait pas une occasion de prendre la parole. La famille royale resta imperméable à ses interventions, le visage stoïque. Elles se contentèrent de répondre brièvement, augmentant le malaise régnant à la table.
Aymeric fut soulagé quand la reine déclara se retirer. La nuit régnait désormais sans égale dans le ciel et les chevaliers-dragons regagnèrent la tour des invités, escortés par Césaire.
- C'est moi où les sylphes sont parfois un peu lent d'esprit ? Ce n'est pas la première fois qu'ils prennent un bon moment avec de répondre à une question simple, fit remarquer Alaman. Sans vouloir te vexer Lysange.
- Ce n'est rien, lui assura la concernée. J'ai eu la même sensation. On dirait qu'ils ne sont pas complètement avec nous.
- Vous pensez que c'est en lien avec tout ce que nous avons découvert aujourd'hui ? les interrogea Zacharie.
- Peut-être. Pour l'instant le mieux est de rester sur nos gardes. S'ils veulent tenter quelque chose contre nous, c'est ce soir où jamais. Ne fermez pas l'œil et levez-vous au moindre bruit suspect. Gardez votre épée et votre sac à portée de main, nous devons être prêts à partir en urgence, décida Aymeric.
Personne ne contesta sa décision et ils s'enfermèrent dans leur chambre sans un mot. Le jeune homme fit une toilette sommaire à l'aide d'une cruche d'eau et d'un gant posé sur le bureau puis posa ses effets personnels à côté du lit. Il se coucha tout habillé avec son épée à ses côtés. Il ne ferma pas l'œil et contempla le plafond entendant l'oreille. Tout était calme, trop à son goût. Les heures passèrent, lentes et oppressantes. Rien ne bougeait et il pensa s'être trompé concernant l'attaque imminente des sylphes contre eux. C'est alors que son instinct tira la sonnette d'urgence.
Ni une ni deux, il se retrouva debout, son épée hors de son fourreau. Il ouvrit ses sens au monde. Il ne vit rien, n'entendit rien et ne sentit rien indiquant une menace. Étrange. Son instinct ne le prévenait jamais pour rien. Il comprit alors que le danger ne le concernait pas lui et l'image de Lysange s'afficha dans son esprit. Oubliant toute prudence, il ouvrit la porte à la volée et gravit les marches de l'escalier en colimaçon en direction de la cinquième chambre, celle de sa compagne. Il frappa sans discrétion. Pas de réponse. Son cœur s'affola et il pénétra dans les appartements de la sylphe. Il devint livide en découvrant le lit vide et les draps défaits. Pire encore : l'épée et le sac de Lysange étaient toujours là. Mais de sa compagne, aucune trace. Seule la fenêtre de sa chambre était ouverte, donnant sur la nuit noire. Le jeune homme toucha le lit du bout des doigts : il était encore tiède. Alerté, Aymeric contacta Hydronoé en faisant de son mieux pour conserver un semblant de calme.
Mon frère, demande à Ourania où se trouve Lysange !
La réponse lui parvint dans la minute mais pour lui c'était toute une éternité qui venait de s'écouler.
Elle semble dormir. Ourania ne voit que du noir.
Il faut qu'elle la localise avec le plus de précision possible, c'est important !
Elle est au sommet de l'arbre originel mais elle semble descendre...Directement à l'intérieur de celui-ci, lui apprit Hydronoé. Voulez-vous qu'on vous rejoigne ?
Pas encore Hydro. Mais tenez-vous prêts. Quelque chose me dit que nous n'allons pas tarder à devoir décoller et en vitesse.
Aymeric coupa la conversation ici et redescendit. En chemin il toqua violemment contre les portes de ses compagnons. Ils sortirent de leur chambre, surpris que leur chef fasse autant de bruit.
- Un souci ? demanda Zacharie tandis qu'Alaman baillait et que Lisbeth croisait les bras sur sa poitrine en signe de contrariété.
- Plutôt le début des problèmes : Lysange a disparu.
La nouvelle acheva de rendre ses compagnons alertes.
- Quand ? l'interrogea Alaman.
- A l'instant. D'après Ourania, elle s'enfoncerait dans l'arbre.
- Dans l'arbre ? répéta Lisbeth avec stupéfaction. Comment est-ce possible ?
- Je l'ignore mais nous avons intérêt à le découvrir avant qu'elle nous échappe.Prenez tous vos affaires.
Ils s'exécutèrent et furent parés à s'élancer à la rescousse de la jeune sylphe en quelques minutes. Alors qu'ils s'apprêtaient à quitter la tour, des pas légers provenant des escaliers leur firent lever la tête. Aymeric écarquilla les yeux en découvrant Lysange qui descendait vers eux en uniforme.
- Que se passe t-il ? s'enquit-elle.
Les autres chevaliers dragons échangèrent des regards surpris et Alaman s'écria :
- Lysange ! Tu nous as fait une belle peur ! Aymeric nous a dit que tu avais disparu !
- Désolée de vous avoir inquiété, ce n'était pas mon intention. Je voulais simplement vérifier quelque chose en haut de la tour.
- Comme quoi ? demanda Lisbeth avec mauvaise humeur.
- Il y a une cloche qui est sonnée chaque fois que des visiteurs viennent s'installer ici. Comme je ne l'ai pas entendu quand nous sommes arrivés ici, j'ai voulu vérifier qu'elle était toujours là.
Les regards des chevaliers dragons convergèrent vers Aymeric qui grimaça. Cette explication était logique mais elle se heurtait à une réalité à laquelle le jeune homme croyait d'avantage : le lien.
Hydro, est-ce que Lysange dort toujours ?
Oui, dit son frère dragon. Mais son déplacement a cessé. Elle se trouve au centre de l'arbre, dans le tronc.
Le jeune homme eut un sourire sans joie et leva son épée en direction de l'usurpatrice.
- Vous n'êtes pas Lysange.
Le double de sa compagne, tout comme ses amis, écarquilla les yeux et feignit l'étonnement. Elle dit d'un ton geignard :
- Mais enfin Aymeric, qu'est-ce qui te prend ? Tu vois bien que c'est moi !
- Vous lui ressemblez trait pour trait mais vous n'êtes pas elle. La vraie Lysange ne se trouve pas ici mais dans le tronc de l'arbre originel, à des mètres de nous.
La belle assurance du double fondit à ses mots et elle laissa tomber le masque. Un rictus contrarié déforma son visage et elle ouvrit la bouche pour pousser un cri strident. Sa puissance vocale était telle que les tympans d'Aymeric vibrèrent. Alaman, Zacharie et Lisbeth protégèrent leurs oreilles tandis que le jeune homme gravit les marches jusqu'à l'usurpatrice en resserrant sa poigne sur la garde de son arme. Trop occupée à hurler, elle ne le vit arriver qu'au dernier moment et reçut un coup de pommeau bien placé en plein crâne. La fausse Lysange s'effondra comme une poupée de chiffon et dévala les escaliers. Aymeric la regarda s'écraser en bas de ceux-ci sans la moindre compassion.
- En route, déclara t-il. Elle vient de donner l'alerte et nous devons retrouver Lysange avant que tous les sylphes se lancent à nos trousses.
- Nous devrions plutôt partir, intervint Lisbeth. Le roi a ordonné de ne pas prendre de risques inutiles.
Aymeric se planta face à elle, son visage à quelques centimètres de celui de la princesse. Il murmura d'une voix chargée de colère :
- Sauver un camarade n'est pas un risque inutile.
Alaman et Zacharie sur les talons, il se dirigea vers la sortie mais une mauvaise surprise les attendait en ouvrant les portes de la tour : une horde de gardes pointaient leurs lances sur eux. Césaire se détacha du groupe et déclara :
- Veuillez retourner dans vos chambres.
Le sang d'Aymeric bouillonna dans ses veines, réclamant le combat. Il répondit :
- Je n'ai pas à vous obéir. Je suis un invité, pas un prisonnier.
- Nous allons voir ça. Gardes, arrêtez-les. S'ils résistent, tuez-les.
Aymeric se mit en position d'attaque en jaugeant ses adversaires du regard. Ils étaient nombreux, plus d'une vingtaine. Vingt contre quatre. Le combat était en leur désavantage mais il n'oubliait pas qu'il était le fils de la déesse de la guerre et que cette situation n'était rien de plus qu'un défi qu'il fallait réussir pour atteindre Lysange. Et pour elle, il ferait n'importe quoi.
- Préparez-vous à combattre, ordonna t-il à ses amis.
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Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du monde
FantastikAymeric est à présent un chevalier dragon. Lui et ses compagnons doivent endosser leurs responsabilités et effectuer leur première mission : une visite diplomatique au royaume des dragons. Mais la mission prend une tournure inattendue et une suite d...