Chapitre 28 : Le désert du Souan

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Des jours plus tôt, dans le groupe en direction du désert...

Zacharie promena son regard noir sur les dunes de sable orangées qui s'étendaient à perte de vue en finissant par se confondre avec le ciel. Dans le sud de Talenza le soleil était fort mais le jeune homme ne craignait pas les rayons ardents. Il contempla longuement le désert vide où rien ne bougeait, comme si la vie n'existait pas en ce lieu.
Derrière lui, le reste de l'équipe cherchait le meilleur itinéraire à prendre en s'aidant des cartes dessinées par les explorateurs d'Alembras. Zacharie sourit doucement. Dans le désert suivre un chemin précis pouvait se révéler ardu. La chaleur, le manque d'eau, les tempêtes de sable, les brigands...Tant d'obstacles pouvaient se dresser sur leur chemin et les faire dévier. Ses amis le comprendraient bientôt.
Jusque là il s'était contenté de suivre le rythme imposé par Aymeric mais cette étendue de sable était radicalement différente du reste du territoire. De tous ses compagnons, il était celui qui la connaissait le plus.
- Qu'est-ce que tu en penses Zacharie ?
Le chevalier dragon à la peau sombre abandonna à regret son admiration du paysage désertique pour se pencher sur la carte. Il secoua la tête et expliqua :
- C'est un bon itinéraire mais trop de dangers nous attendent au sol, sans parler de la fatigue. Voler sera plus rapide pour nous déplacer d'un oasis à un autre et repérer les différentes tribus.
- Très bien. Nous ferrons ce que tu nous conseilles. Prends la tête des opérations, décida Aymeric
Zacharie hocha la tête en dépit de sa réticence. Il n'était pas comme Aymeric, il ne savait pas mener les autres. Il préférait suivre les directives. Mais un ordre était un ordre et si Aymeric pensait que le mieux était de lui confier les rênes de la mission, alors il ferrait de son mieux pour ne pas le décevoir. Ils remontèrent à dos de dragon et Gébald, de plus en plus enthousiaste à mesure qu'ils approchaient du désert, demanda :
- Tu es prêt ?
- Je n'ai pas le choix, dit le jeune homme en s'efforçant de conserver le sourire.
S'il aimait inconditionnellement le désert, certains habitants du lieu ne l'aimaient pas. Il vivrait avec. Depuis le temps, il avait l'habitude. Il s'était préparé tout le long du voyage en prévision de leur séjour dans le désert.
- Je serais là, le rassura son frère.
Zacharie posa une paume dans le cou de Gébald. Son jumeau avait raison. Il était un soutien inestimable et Zacharie ne le remercierait jamais assez d'exister et de demeurer aux côtés de quelqu'un comme lui.
Son frère était son exact opposé. Il appréciait le contact avec les autres, ne manquait pas d'assurance ou d'humour et aimait s'amuser. Tout ce que Zacharie ne savait pas faire.
Ils décollèrent et Zacharie soupira de contentement quand ils survolèrent le désert. Il se paraît de couleurs flamboyantes sous les rayons du crépuscule. Le sable défila sous les dragons qui engloutissaient les kilomètres à une vitesse qui ne cesserait jamais d'impressionner le chevalier dragon. Ils ne remarquèrent aucun signe de vie durant les heures qui suivirent.
Le dernier village se trouvait à un jour du désert. Les habitants de Talenza évitaient de trop s'approcher de cette zone aride, par craintes des attaques de criminels réfugiés dans le désert ou par pure superstition.
Ils volèrent toute la nuit avant d'atteindre le premier oasis. Durant leur vol nocturne, Zacharie enfila une cape chaude et conseilla à ses compagnons de faire de même. Le soir les températures chutaient et il fallait se couvrir pour préserver sa chaleur et ne pas mourir de froid. En fin de soirée, Gébald montra des signes de faiblesse. En tant que dragon de terre, il supportait mal de se déplacer trop longtemps par la voie des airs. Zacharie l'encouragea de son mieux et essaya de le distraire en parlant un peu.
Gébald poussa un grognement de soulagement quand ils atterrirent enfin. Zacharie le débarrassa de sa selle et le dragon s'effondra sur le sable en reprenant sa respiration. Zacharie voulut lui proposer de l'eau mais son jumeau dormait déjà. Il le laissa à ses songes pour se diriger vers l'oasis. Le point d'eau n'était pas très grand, de la taille d'une petite mare. Rien à voir avec la gigantesque étendue d'eau comparable à celle d'un lac au centre du désert, où toutes les tribus se réunissaient une fois par an pour une semaine de fête, d'échanges et de prises de décisions concernant la gestion du territoire.
 Zacharie remarqua des cactus et des palmiers. La végétation étrange du désert lui avait manqué. Elle attisa la curiosité d'Aymeric qui observait les plantes sous tous les angles en les dessinant sur un de ses carnets de voyage. Lysange soupira.
- Nous en avons pour des heures. Tu veux manger quelque chose ?
- Non merci. Mais je veux bien préparer quelque chose pour nos dragons. Ils vont être affamés en se réveillant.
Il aida la sylphe à faire un feu avec du bois qu'ils transportaient dans leurs bagages et entreprirent de préparer à manger avec les vivres présents dans leurs sacs. Leurs compétences dans le domaine culinaire n'arrivaient pas à la cheville d'Alaman mais ils se débrouillèrent pour que le plat soit comestible.
Zacharie était plus doué dans la confection de remèdes à base de plantes. Il connaissait chacune d'entre elles sur le bout des doigts et pouvait passer des heures dans l'herboristerie du château des gardes pour confectionner des crèmes ou des sirops contre tout et n'importe quoi, du simple coup de soleil à l'empoisonnement.
A vrai dire, il aimait soigner les gens. Souvent il se montrait maladroit avec ses semblables, trop réservé. Mais dès qu'il s'agissait d'apaiser la douleur d'un autre, toutes les barrières tombaient et il n'avait plus peur d'aller vers les gens pour les guérir. C'était le mieux qu'il pouvait faire et il le faisait bien.
Il cuisina en silence avec Lysange, appréciant le calme de la jeune femme qui se contentait de fredonner en remuant le contenu de leur petite marmite. Aymeric revint vers eux une fois sa soif de connaissances apaisée. Il s'assit à côté du feu et fixa les flammes de son regard de la couleur des eaux glacées du nord. Il était difficile de décrypter Aymeric. Son visage inexpressif cachait bien ses émotions et on ne savait ce qu'il pensait que lorsqu'il daignait en parler.
Zacharie admirait ses qualités de meneur et son charisme naturel. Aymeric n'avait pas besoin de se forcer ou de hausser le ton pour qu'on lui obéisse. Un seul de ses regards suffisait pour vous faire baisser les yeux mais, en dépit de cette apparente sévérité, Zacharie n'avait jamais connu un être avec un si grand cœur.
Leur meneur n'hésitait pas une seconde à se mettre en danger pour sauver un membre du groupe, se pliait en quatre pour réussir les missions et déployait des trésors de patience avec Lisbeth et Brazidas. Penser à la princesse d'Alembras et à son jumeau mena ses pensées vers le nord. Est-ce qu'Alaman s'en sortait avec la capricieuse jeune femme ?
En voilà une autre qu'il ne cernait pas aisément. Certes, elle faisait mine d'être hautaine et exécrable mais Zacharie sentait que ce n'était qu'une façade. Il pressentait que Lisbeth cachait ce qu'elle était vraiment, ce qu'il y avait de meilleur en elle. Il avait surpris plus d'une fois le regard attristé de la jeune femme. Ça ne durait généralement qu'une seconde, le temps qu'elle renfile son masque de princesse insupportable.
Il espérait qu'Alaman pourrait percer la carapace de Lisbeth. Le rouquin avait un don pour cerner les gens et deviner leur véritable personnalité. Malheureusement il était si en colère contre Lisbeth que ses sentiments obscurcissaient son jugement. L'épisode du lac ne l'avait pas aidé à apprécier la jeune femme.
Zacharie espéra que leur voyage apaiserait les tensions. Peut-être était-ce la raison pour laquelle Aymeric les avait envoyé dans le nord ensemble. Pour que de l'entraide lors de la mission naisse un début d'entente et qu'ils enterrent la hache de guerre. Connaissant le caractère bien trempé d'Alaman et de Lisbeth, ça n'allait pas être si simple. Il souhaitait bonne chance à son ami.
- Nous avons bien progressé aujourd'hui, dit Aymeric en le ramenant dans la réalité. Si nous continuons à ce rythme, la mission devrait être achevée plus rapidement que je l'avais prévu.
Zacharie et Lysange acquiescèrent. Le désert comportait moins de tribus que le nord. Trois, pour êtres précis. Les Lankis, les Aterniens et les Hérances. Ils étaient nomades et se déplaçaient dans le désert au gré de leurs envies. Cela évitait aux brigands des terres brûlées de repérer les campements trop rapidement.
Quand il était arrivé au château, cette vie nomade avait manqué à Zacharie. Le roi d'Ondre l'avait perçu et lui avait assigné Hermas comme maître. Au départ son mentor faisait partie de la garde des explorateurs. C'est en menant une expédition sur une petite île du nord qu'il s'était blessé par accident en tombant dans une crevasse peu profonde. Justement là où se trouvait un œuf de dragon d'eau.
C'est ainsi que Mirzal avait vu le jour, obligeant Hermas a changer de garde. Son maître avait cependant conservé son amour du voyage et avait décidé de faire l'éducation de son jeune élève tout en lui faisant parcourir le continent.
Il possédait un savoir incroyable sur la nature et en particulier sur les plantes. C'est en partie grâce à lui que Zacharie connaissait si bien la flore d'Amaris et leurs vertus médicinales. Le restant de son savoir lui avait été inculqué par un vieil homme, la première personne à s'être souciée de lui et à l'avoir aimé comme un père : Izîl.
Si Zacharie avait tendance à oublier son visage à cause des années, le caractère de cet homme demeurait gravé dans sa mémoire. Sa bonté, sa patience, sa joie de vivre...C'est comme si toutes les meilleures qualités du monde s'étaient incarnées dans un seul homme. Il était mort quand Zacharie venait de fêter ses sept ans, d'une crise cardiaque auquel le jeune homme avait assisté avec impuissance. Il en avait été profondément affecté.
Pourtant, à cet âge-là, il commençait déjà à avoir l'habitude de côtoyer la mort. Elle marchait à ses côtés depuis la naissance, ne laissant que des cadavres partout où il allait. Il avait endurci son cœur pour que la peine et les remords ne le rongent pas tout en s'éloignant des autres, pour leur bien. Il attirait aussi les catastrophes à lui, tout comme les individus peu fréquentables.
Ses compagnons de la garde étaient la seule exception. Il n'avait pas vraiment le choix : s'isoler du groupe était impossible, sa volonté faiblissait à leur côté et il leur ouvrait volontiers les bras. Ils formaient un ensemble, un tout où chacun possédait un rôle et où il avait enfin une place. Ils vivaient et fonctionnaient de concert, indivisibles.
Ils étaient les seules personnes à qui il accordait pleinement sa confiance. Il était prêt à leur confier sa vie et même celle de Gébald. Peut-être qu'il s'était senti immédiatement proche d'eux cause de leurs nombreux points communs : liés à un dragon, loin de leur foyer, déjà blessés par l'existence et presque du même âge. A croire qu'ils étaient nés pour se rencontrer. C'est sans doute grâce à ses ressemblances qu'ils se comprenaient si bien et formaient une équipe soudée.
Zacharie prit le premier tour de garde quand le soleil commença à se lever, pendant que Lysange s'allongeait à l'ombre d'un palmier pour se reposer. Aymeric demeura debout. Il écrivait leur voyage, comme à son habitude. De toute manière il n'avait pas besoin de beaucoup de sommeil et ce depuis toujours. Il se dévouait souvent pour monter la garde, se levait avant tout le monde, se couchait après ses compagnons. Son endurance particulière devait lui venir de sa mère, Praeslia.
Zacharie ne parvenait toujours pas à croire que la déesse de la guerre soit la mère de son ami et le roi du royaume des dragons son père. Il fallait avouer que le roi Médéril et Aymeric se ressemblaient beaucoup. Zacharie s'en était fait la réflexion lors de leur séjour chez le souverain, sans y accorder plus d'importance que cela. Ce qu'il prenait pour une simple coïncidence n'était finalement pas le fruit du hasard mais des liens du sang. Et l'ombre qui se tapissait derrière les yeux glacés de leur meneur aidait facilement à croire que sa mère était Praeslia.
Si un autre qu'Aymeric lui avait avoué être un demi-dieu, il aurait été suspicieux. C'était si facile de s'inventer une généalogie quand on venait de nulle part. Mais Aymeric n'était pas un menteur. Il détestait dissimuler la vérité et son honnêteté lui valait la confiance du roi. Alors Zacharie le croyait sans preuves, lui accordait une confiance aveugle. Le chevalier dragon à la peau sombre était également heureux que son frère d'arme ait retrouvé sa famille biologique.
Lui n'avait jamais connu sa mère, morte en lui donnant la vie. Ni son père dont la tribu elle-même ignorait le nom et le visage. Il était l'enfant de personne et personne n'avait voulu de lui lorsqu'il était petit garçon.
Aujourd'hui sa famille était celle que son cœur avait adopté, la garde des chevaliers dragons. Aymeric finit par le rejoindre et s'assit à côté de lui. A en juger par son expression, quelque chose le préoccupait. Zacharie le connaissait assez pour ça. Il l'interrogea avec douceur :
- Qu'est-ce qui pèse sur ta conscience ?
Son ami répondit par une question :
- Est-ce que ça va aller pour toi ?
Comprenant que son meneur parlait de son retour dans le désert, et surtout de sa future confrontation avec son ancienne tribu, il dit :
- Je suis heureux de retrouver le désert.
Il plongea ses doigts dans le sable et en recueillit une poignée au creux de sa paume, qu'il laissa s'écouler entre ses doigts. La sensation des grains contre sa peau lui arracha un sourire. Il ajouta:
- J'ai plus de réserves concernant ma prise de contact avec mon ancien foyer.
Aymeric soupira de découragement et passa une main dans ses cheveux en bataille.
- Désolé. Je sais que, pour Alaman comme pour toi, regagner votre terre natale est difficile à vivre. Si la mission ne nous y obligeait pas, je ne vous aurais jamais forcé à vivre cette épreuve.
- Je sais. Tu ne dois pas t'en vouloir. C'est une décision pleine de bon sens, si on excepte les souvenirs qu'elle réveille en nous. Notre connaissance de ses territoires est un atout pour effectuer cette mission rapidement. Voilà ce que je pense et ce qu'Alaman doit penser aussi.
Son ami hocha vaguement la tête, son regard indéchiffrable rivé sur l'horizon. Ils observèrent le lever du soleil dans un silence respectueux. Zacharie s'émerveilla alors que le désert regagnait progressivement ses couleurs orangés et jaunes. La chaleur monta rapidement, créant des ondulations dans l'air.
La température ne dérangea pas les dragons. Gébald dormait à demi-enterré dans le sable et Hydronoé, à l'inverse, somnolait dans l'oasis, roulé en boule. Seule Ourania ouvrit un œil paresseux qu'elle darda sur le soleil incandescent. Elle agita les ailes et une légère brise fraîche qui n'avait rien de naturel se mit à traverser l'oasis en caressant le sable, les feuilles des palmiers et la surface de l'eau.
Pour une fois Aymeric laissa les dragons se reposer autant qu'ils le désiraient. Zacharie rejoignit son frère pour prendre un peu de repos alors que Lysange se réveillait. Il resta dans l'ombre de son jumeau pour se protéger des rayons ardents et ne tarda pas à fermer l'œil, une main enfoncée dans le sable du désert afin de savourer la sensation des minuscules grains dorés sur sa peau et de renouer le contact avec ce lieu cher à son cœur.  

Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant