Ils pénétrèrent dans un hall moderne qui contrastait avec l'extérieur plutôt rustique. Le carrelage noir brillait sous l'éclat de chandeliers disposés le long des murs. Un tapis moelleux vert foncé partait de l'entrée jusqu'à un colossal escalier en marbre blanc. Les murs scintillaient de mille feux, revêtus de décors mêlant or, argent et bronze. Tous les gardes, exceptés le vétéran du groupe, se placèrent de part et d'autre de l'escalier en se faisant face, le visage fermé et leur lance à la droite de leur corps.
Lysange gravit les marches derrière le soldat âgé. Elle semblait confiante, comme si elle connaissait les lieux. Son père étant un ambassadeur de ce royaume, ça n'avait rien d'étonnant. Elle avait dû l'accompagner étant petite. Sans compter qu'elle faisait partie de la famille éloignée de la reine.
Le garde s'arrêta face à des portes imposantes en acier où l'arbre originel était représenté par une gravure précise et surmontée par une phrase dans une langue inconnue pour Aymeric et toqua trois coups. Les portes s'ouvrirent sur une grande salle haute de plafond, tout en pierre jaune. Une branche la traversait dans le fond, passant d'un mur à l'autre à travers des trous percés dans la roche. Sous celle-ci s'élevait trois trônes taillés dans le bois. Un plus imposant entre deux plus petits. D'épais coussins verts pour les rendre plus confortables les occupaient mais le plus important restait sans conteste les femmes assises sur ceux-ci.
Aymeric s'attarda peu sur les plus jeunes à droite et à gauche du trône car les princesses ressemblaient à leur mère comme deux gouttes d'eau en dehors de leurs cheveux plus courts et leurs yeux moins étroits. La reine dégageait un charisme impressionnant. Droite et fière sur son trône, dans sa robe fluide et argenté, elle détailla les nouveaux venus de ses yeux gris. Ses cheveux aussi blancs que ceux de Lysange étaient relevés et tressés en couronne dans laquelle des bijoux en argent représentant les feuilles de l'arbre originel étaient plantés. Ses lèvres à la ligne dure s'étirèrent dans un fin sourire à peine perceptible. Elle se leva et Aymeric nota sa taille fine, à la limite de la maigreur.
- Bienvenue à vous, envoyés d'Alembras.
Aymeric et ses compagnons s'inclinèrent face à la dirigeante du royaume qui vint vers eux d'une démarche altière.
- Vous désiriez me parler. Je vous écoute.
Le chevalier dragon se redressa en conservant la tête légèrement baissée en signe de respect.
- Nous venons ici au nom du roi Alaric qui s'inquiète à cause de la brusque rupture des communications.
Après un bref instant de réflexion, la reine hocha la tête et croisa les mains dans le dos en les fixant intensément.
- Ce...problème devrait être résolu sous peu. Nous avons en effet eu des complications ces derniers temps. Une maladie a emporté la majorité de nos oiseaux récemment et nous cherchons encore un moyen de les soigner.
- Et les négociateurs qui sont venus ici il y a peu ?
- Les négociateurs? répéta la reine. Aucun négociateur n'est venu jusqu'ici depuis des mois. Vous êtes les premiers.
Les chevaliers dragons échangèrent des regards étonnés. Ils s'attendaient à ce que la reine des sylphes leur apporte une explication mais elle prétendait ne pas avoir reçu la visite des négociateurs. Aymeric transmit cette information à son jumeau dragon puis se concentra à nouveau sur sa conversation avec la reine.
- Ils devaient venir ici. Quelque chose aurait pu les retenir en cours de route ? demanda t-il.
- En dehors de nos versants escarpés et des brigands présents sur les routes, il n'y a aucun dangers dans les environs, dit la reine. Je suis désolée que vous ayez fait tout ce chemin pour rien mais j'ignore ce qu'il est advenu d'eux.
- Vous n'y pouvez rien majesté. Merci d'avoir accepté de nous recevoir et de nous avoir accordé de votre temps.
- Vous vous retirez déjà ? Ne reprenez pas la route maintenant, le soir ne va pas tarder à tomber. Goûtez donc à notre hospitalité, ce n'est pas souvent que nous recevons des invités. Je vous invite à ma table ce soir. Césaire va vous conduire aux chambres réservées aux invités, dit-elle en désignant le garde silencieux à côté d'eux.
Aymeric pesa le pour et le contre. D'un côté rien ne pressait et ils méritaient bien de se reposer dans cette cité atypique que rien ne menaçait, contrairement à ce que craignait le roi. Mais de l'autre un drôle de sentiment continuait de tarauder le jeune homme. Une sensation désagréable, comme si son instinct lui criait qu'il y avait un danger sans pour autant déterminer lequel. Dormir ici serait risqué mais s'il y avait un vrai problème, il ne pouvait pas partir comme si de rien n'était.
Pour avoir le fin mot de l'histoire il leur faudrait passer la soirée entre ces murs. Le roi avait dit de ne prendre aucun risque mais Aymeric ne pouvait pas rentrer et prétendre que le royaume abritant l'arbre originel courait un danger sans preuve. Il adopta son sourire le plus chaleureux et dit :
- Nous acceptons votre généreuse proposition avec plaisir. Mes compagnons et moi-même sommes épuisés par notre voyage.
- Très bien. Césaire, menez nos invités dans leurs chambres.
Le garde obéit et les chevaliers dragons sortirent de la salle du trône. Pendant qu'ils descendaient l'escalier et sortaient du palais, Alaman demanda à voix basse :
- Qu'est-ce qui t'a pris de dire oui ?! Tu ne sens pas que quelque chose cloche ici ?
- C'est justement pour ça que j'ai dit oui. Je veux mettre le doigt sur ce qui ne va pas.
- Personnellement cet endroit et ces habitants sont comme dans mes souvenirs, intervint Lisbeth. Je ne vois pas ce qui vous affole.
- Je rejoins l'avis des garçons, déclara Lysange. Je mettrais ma main à couper qu'il y a un problème ici. L'arbre est en bonne santé, les sylphes vivent comme ils en ont l'habitude mais...Je sens au fond de moi que ça ne va pas. L'ambiance est différente et leurs réactions parfois surprenantes. Ils sont trop accueillants.
Les commentaires de ses compagnons confortèrent Aymeric dans sa décision de rester. Il fit part de son choix à Hydronoé qui répondit :
D'accord. Nous ne bougeons pas.Soyez prudents et prévenez-nous au moindre souci.
Ils furent conduits jusqu'au pied d'une grande tour en bois qui se dressait à la gauche du palais. L'intérieur était tout comme celui du hall du bâtiment royal. Un escalier en colimaçon grimpait en tourbillonnant le long des murs percés par des portes en fer. Sans doute les chambres des invités mais elle firent l'effet de cellules à Aymeric.
- Installez-vous dans les cinq premières. Un de nos serviteurs viendra vous avertir quand le repas sera servi. Profitez bien de votre séjour.
Césaire s'en alla sans un mot de plus. Aymeric prit la première chambre, la plus proche des portes d'entrée et donc la plus exposée en cas d'attaque. Elle était plus grande que ce à quoi il s'attendait avec un imposant lit en bois à baldaquin, une baignoire en pierre dans un angle, un bureau en marbre avec une chaise rembourrée et couverte de tissu vert émeraude. Il déposa son sac au pied du lit sans le défaire. Il devait être prêt à partir n'importe quand. Il se défit de son épée de la garde mais conserva, caché sous son pull, le poignard offert par Praeslia. En terrain inconnue, la prudence primait.
Hydronoé, préviens le roi de notre intention de passer la nuit ici et, dans les heures qui vont suivre, regarde souvent par mes yeux : je vais aller me promener dans les environs pour en apprendre plus et mettre la main sur un indice. Si tu vois quelque chose de louche, même un détail, dis-le moi.
Bien reçu, répondit son frère.
Aymeric partit à la découverte de l'arbre originel et il n'était pas le seul. Alaman et Zacharie sortaient eux aussi de leur chambre, une expression sérieuse sur le visage. Ils n'échangèrent pas une parole et sortirent de la cour avant de prendre trois directions différentes. Le rouquin retourna vers le château, Zacharie vers de grandes habitations en bois appartenant sans doute à des nobles et Aymeric vers les nacelles. Il voulait visiter les branches inférieures de l'arbre. Alors qu'il grimpait dans un des grands paniers, Lysange arriva en courant.
- Attends-moi ! cria t-elle. Je dois descendre aussi !
Elle vint se poster aux côtés de son compagnon et agita la cloche. La nacelle entama sa descente et Aymeric l'interrogea :
- Tu veux rendre visite à tes parents ?
- Oui. Ils vivent dans la branche en dessous de celle du palais. Mais avant je vais t'accompagner et te faire visiter. Rien de mieux qu'une native pour expliquer le fonctionnement de la vie dans l'arbre, pas vrai ?
- Tu es certaine de ne pas vouloir aller saluer ta famille avant ?
- Non. Ils ne doivent pas être à la maison à cette heure-ci. Mon père doit travailler dans le bâtiment à droite du palais. C'est là que sont gérées les affaires économiques et diplomatiques du royaume. Quant à ma mère, elle officie dans l'orphelinat des branches inférieures depuis ma disparition. Sans doute un moyen pour elle de supporter mon absence...Quoiqu'il en soit, ils ne reviendront pas avant une heure ou deux.
Le jeune homme acquiesça, rassuré. Il ne désirait pas être un obstacle entre Lysange et ses parents. Elle aimait son père et sa mère et ne les voyait pas souvent. En songeant à la famille de sa compagnie Aymeric se mit à penser à la sienne. Il était toujours perturbé en imaginant être le fils du roi Médéril et de Praeslia. Surtout de Praeslia. Pourtant c'était vrai, il ne pouvait plus le nier. Il déclara d'un ton pensif :
- Quand nous rentrerons il faudra que je vous avoue quelque chose à tous.
- Est-ce que c'est grave ? l'interrogea Lysange, surprise par son intonation songeuse.
- Grave ? Non. Enfin...Je ne crois pas.
Tout dépendra de votre réaction, se dit-il. Si, une fois le choc de la nouvelle passé, ses amis l'acceptaient il se sentirait plus soulagé que s'ils changeaient brutalement de comportement à son égard. Il ne supporterait pas qu'ils le mettent de côté à cause de sa parenté avec un dragon primordial que beaucoup d'humains jugeaient dangereux.
Lysange pressa ses doigts dans les siens avec un sourire réconfortant qui réchauffa le cœur du jeune homme. Il s'inquiétait sans doute pour rien. Ses amis ne le laisseraient pas tomber. Lysange sonna la cloche pour arrêter la nacelle. Ils descendirent et marchèrent sur un chemin de planches. Les sylphes qui passaient par là se tournèrent vers eux et les dévisagèrent avec une neutralité troublante. Lysange les ignora et continua son chemin vers un regroupement de petites habitations.
- Nous sommes au niveau des branches commerçantes, juste au-dessus des artisanes. Si tu désires acheter quelque chose, c'est ici que ça se passe. Notre monnaie ressemble à ceci.
Elle tira une petite bourse de cuir de la poche intérieure de son manteau et laissa glisser de la monnaie dans sa main. Les pièces du royaume des sylphes étaient à l'effigie des feuilles de l'arbre et extrêmement fines. Il y avait du cuivre, de l'argent et de l'or.
- Mes parents m'en ont envoyé avec leurs lettres. Je vais acheter des pâtisseries et du thé pour ne pas arriver chez moi les mains vides.
- Comment est-ce que vous faites pour importer du thé ? Les plantations sont à Hangaï, non ?
- Oui mais nous avons ramené des plants ici et nous le cultivons nous même. Mon peuple fait toujours ça : plutôt que de marchander une chose qu'il désire, il va essayer de la cultiver pour ne pas avoir à commercer avec des étrangers. Les sylphes cherchent toujours à être les plus indépendants possible. Comme ça ils évitent d'attirer l'intention sur eux et n'ont besoin de personne.
- Je vois...Et vous avez votre propre langue ?
Le jeune homme pointa le nom des magasins peints au-dessus des portes ou sur les enseignes et qu'il ne comprenait pas. Sa compagne lui expliqua :
- C'est de l'ancien sylphe. Une langue considérée comme noble contrairement à la langue commune que les miens jugent vulgaire car elle a forcé les peuples a abandonner une part de leur culture pour qu'ils puissent se comprendre. Dans nos écoles, tous les enfants apprennent le sylphe ancien en plus de la langue commune, qu'ils soient nobles ou paysans.
Elle s'arrêta devant une échoppe d'où s'échappait des effluves sucrés et alléchantes. En entrant une cloche située au-dessus de la porte carillonna, signalant leur venue. Des pâtisseries s'alignaient sur des comptoirs en bois et des miches de pain ou des baguettes s'entassaient dans des paniers en osier. Une sylphe de l'âge de Lysange les accueillit avec un sourire poli mais commercial.
- Bonjour, que désirez-vous ?
Pendant que Lysange faisait ses emplettes, Aymeric s'intéressa aux spécialités culinaires des sylphes. Il remarqua peu de produits à base de chocolat ou de crème pâtissière mais ceux avec des fruits ou du miel étaient légion. Il remarqua une sorte de tartelette avec des framboises empilées en pyramide et recouvertes d'une fine couche de miel. Heureusement qu'Hydronoé n'était pas là pour voir ça ! Gourmand comme il était, il aurait trouvé le moyen de goûter.
Lysange repartit avec ses gâteaux entreposés dans un élégant petit panier tressé et Aymeric la suivit jusqu'au magasin suivant qui vendait du thé. Sur le chemin, un sylphe passa en transportant sur son dos, grâce à des cordes passées autour de ses épaules, ce qui ressemblait à une gigantesque jarre.
- C'est un porteur d'eau, dit Lysange en remarquant son intérêt. Il va livrer son chargement à une famille qui en a fait la demande. L'eau est puisée grâce à des sceaux dans le lac. Une branche entière est dédiée à cette activité. Une fois remontée, elle est mise dans un bac de pierre puis subira des traitements pour être débarrassée des impuretés. Dès qu'elle est propre, des porteurs d'eau viennent à la demande de clients et acheminent l'eau chez les famille qui en ont besoin. Généralement ce service est assez cher et réservé aux plus fortunés. Ceux des branches inférieures viennent la chercher eux-mêmes.
Aymeric buvait les paroles de sa compagne et se promit de les mettre par écrit dès ce soir afin d'étoffer ses carnets de voyage. Ils se baladèrent dans l'arbre originel une fois tous les achats pour les parents de Lysange effectués. La jeune femme lui montra le quartier des artisans. A côté de la plupart des boutiques se trouvait de gros cylindres métalliques.
- De quoi s'agit-il ? demanda Aymeric.
- De réserves d'eau. C'est pour éteindre les incendies en cas de départ de feu. Cela concerne surtout les forgerons ou les potiers. Il y a une centaine d'années, une branche est presque partie en fumée. Depuis l'installation d'eau a proximité des endroits susceptibles de brûler est obligatoire sous peine de payer une amende à la couronne.
Alors qu'ils déambulaient sur cette branche le jeune homme remarqua qu'il n'y avait pas une seule arme en vente. Il fit part de son observation à Lysange qui haussa un sourcil.
- C'est vrai que c'est étonnant, admit-elle. D'ordinaire il y en a quelques unes et beaucoup de lances. C'est étrange...
Le chevalier dragon se dirigea vers une forge d'où provenait le bruit d'un marteau frappant contre le métal et toqua des coups puissants contre le mur en bois pour faire savoir qu'il était là. Le forgeron leva les yeux de sa besogne pour les poser sur le nouveau venu. Il épongea son front moite de sueur à cause de la chaleur de son antre et demanda :
- Je peux vous aider jeune homme ?
- Oui. J'aimerais savoir où trouver une épée.
Le forgeron fronça les sourcils et demeura perplexe quelques longues secondes.
- Elles ont été livrés à la famille royale récemment, répondit-il finalement.D'où leur absence dans les commerces de la branche au-dessus. Si vous en voulez une vous devrez attendre, j'ai pas mal de commandes en ce moment.
- C'est donc pour ça...Merci de m'avoir accordé votre temps.
Le forgeron se replongea aussitôt dans son travail et Aymeric rejoignit Lysange, songeur.
- Alors, où sont passées les armes ?
- Quelque part dans le palais royal d'après les dires de cet homme.
- Pourquoi est-ce que la reine réquisitionnerait les épées et les lances ? l'interrogea Lysange.
- Bonne question...Gardons cette information à l'esprit, j'ai l'impression qu'elle a son importance dans cette affaire...
Lysange approuva et en voyant le soleil se coucher et les couleurs de la nuit prendre le pas sur celles du jour, ils regagnèrent les nacelles et montèrent jusqu'à la branche où vivaient les parents de la jeune sylphe. Les branches se vidaient peu à peu, les habitants regagnaient leur domicile. Lysange frappa à la porte d'une grande maison en bois à la décoration simple. Ici pas de peinture ou de gravures sur les planches et les poutres. Tout avait été laissé au naturel avec pour seule touche de fantaisie de la vigne grimpante qui tapissait les trois quarts de l'habitation. Comme personne n'ouvrait, sa compagne frappa une seconde fois, plus fort. Elle soupira en comprenant que la demeure était vide. Déçue elle effectua demi-tour, les épaules basses. Aymeric se risqua à passer une bras protecteur autour de sa taille pour lui apporter du réconfort. Elle se blottit contre lui en jetant un regard malheureux à ses pâtisseries.
- Tu auras sans doute plus de chances demain matin, dit le jeune homme.
- C'est vrai. Mais il n'empêche que...Je m'attendais à ce qu'ils soient là. Je me suis tellement inquiétée pour eux ces derniers jours que je n'avais qu'une envie : les revoir. Mais ils ne sont pas là.
Elle haussa les épaules en ravalant ses larmes et marmonna :
- Tant pis.
Ils prirent la direction du palais royal et Aymeric tâcha d'apporter son soutien à sa compagne qui faisait de son mieux pour camoufler sa morosité.
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Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du monde
FantasíaAymeric est à présent un chevalier dragon. Lui et ses compagnons doivent endosser leurs responsabilités et effectuer leur première mission : une visite diplomatique au royaume des dragons. Mais la mission prend une tournure inattendue et une suite d...