Des larmes de soulagement lui échappèrent. Jamais sa mère ne reviendrait sur une parole donnée, il était donc libre ! Du moins il le serait dès que la drogue cesserait de faire effet, ce qui durerait quatre bons jours. Quatre jours de trop.
Mais pour le moment il préféra savourer la victoire de la princesse plutôt que de se morfondre. Il s'attendait à ce que Firenza le récupère mais des mains qui n'appartenaient certainement pas à sa sœur se posèrent sur lui en passant sous ses épaules et sous ses chevilles.
Qui me porte ? demanda t-il à sa jumelle.
Des Valseryes. Ta mère dit qu'elles vont te mettre au chaud pour que...Hum...pour que Lisbeth profite de son bien.
Génial,il ne manquait plus que ça ! Que les Valseryes l'offre en cadeau à la princesse d'Alembras ! Heureusement que Lisbeth et lui se détestaient. On le transporta sur plusieurs mètres avant de le déposer sur un lit moelleux. Il sentit la chaleur d'un feu de cheminée picoter sa peau et savoura ce confort. Il se trouvait sans doute dans une chambre nuptiale mais tant pis ! Il était sain et sauf et pourrait regagner sa vraie patrie sans encombre.
Il essaya de se détendre, ce qui n'était pas facile à cause de ses blessures. Pourtant il finit par s'endormir, profondément rassuré par cette victoire. Il rêva qu'il mangeait avec ses amis sur une plage. Même Lisbeth et Brazidas étaient là. Dans son songe, il approuva leur présence. Il dégustait de la neige au goût de sucre quand il avala une bouchée teintée d'une substance noire par inadvertance. Son corps se paralysa sous les yeux de ses compagnons qui poursuivaient leur repas en échangeant des commentaires.
- Les baisers ne sont pas toujours bons pour la santé, dit Zacharie.
- Oui, il ne faut pas confondre quiétude avec servitude, ajouta Lysange qui portait une armure de Valserye.
- J'ai envie de mordre quelqu'un, ronchonna Lisbeth en saisissant le bras deBrazidas.
- On raconte que le nord est une terre de barbare, fit remarquer Ourania qui cassait de la glace avec un silex.
- C'est vrai, approuva Firenza. Ils laissent des gens geler nus dans la neige !
Leurs paroles accompagnèrent Alaman qui se réveilla d'un coup. Il voyait toujours du noir, cette couleur oppressante. Aucun son ne parvenait à ses oreilles et il était incapable de bouger le petit doigt. Conclusion : il n'avait pas dormi longtemps. Il fut tenté de se rendormir mais quelqu'un lui toucha les cheveux. C'était sans doute ce qu'il y avait de pire avec cette drogue : sentir tout ce qu'on vous faisait sans pouvoir intervenir, n'être qu'un simple objet. On le tourna délicatement sur le ventre et un linge humide tamponna ses plaies dans le dos. Il grimaça intérieurement et demanda :
Firenza c'est toi ?
Moi qui quoi ?
Qui nettoie mes blessures.
Non, répondit sa sœur. Je suis en compagnie de ta mère et des Valseryes avec Brazidas. Nous leur expliquons pour les faux cavaliers d'Alembras. C'est sans doute Lisbeth, puisque ton adorable maman l'a encouragé à te rejoindre tant que tu étais encore docile. Ne m'en veut pas mais je déteste officiellement ta mère.
Tu ne vas pas me laisser seul avec Lisbeth ?! paniqua Alaman.
Ne fais pas ton précieux. Elle soigne tes blessures, c'est plutôt gentil !
C'est tellement gentil que ça en devient suspect, dit le rouquin. Je suis certain qu'elle ne va pas tarder à me pousser du lit exprès ou pire, m'asphyxier avec un coussin !
Tu as trop d'imagination. Moi je pense qu'elle essaie de se faire pardonner.
Pour quoi ? Les moqueries, son comportement arrogant, son absence de participation au sein de notre garde ou sa fuite lâche qui t'a coûté une blessure ? ironisa le jeune homme. Ce n'est pas parce que tu copines avec Brazidas que je vais faire de même avec cette peste !
Toujours aussi immature ! Je te laisse entre de bonnes mains. J'ai une conversation diplomatique à mener et tu me distraies.
Il n'y croyait pas ! Lui, immature ? N'importe quoi ! Pour la peine, il ne la recontacterait pas. Il attendrait qu'elle cède et le fasse la première. Impuissant, il laissa Lisbeth lui passer du baume sur son dos balafré. Le remède apaisa la douleur. Lisbeth lui banda tout le torse et le recoucha précautionneusement sur le dos.
Alaman la sentit dénoué sa tresse et passer les doigts dans ses cheveux. Son comportement le perturba et, chose rare, il piqua un fard. Depuis quand est-ce qu'ils étaient assez intimes pour qu'elle lui tripote les cheveux ? Et d'ailleurs pourquoi est-ce qu'elle lui tripotait les cheveux ? Il ne comprenait pas cette femme, encore moins que les autres. Elle continua son petit manège quelques minutes avant des'éloigner de lui. Pour aller où ? Bonne question mais bon vent !
Son cœur eut un sursaut quand un verre se porta à ses lèvres. En voilà une riche idée ! Pour une fois il bénit la princesse d'Alembras car il mourrait de soif.
Il déglutit avec toutes les peines du monde mais Lisbeth prenait garde à ne pas verser l'eau trop vite, si bien qu'il ne s'étouffa pas. Quand il était petit sa mère ne s'embarrassait pas avec ce genre de détails et s'il n'était pas si précieux aux yeux des Valseryes, il serait mort à cause du trop plein d'eau dans ses poumons plus d'une fois.
Comme il était un bien rare en dépit de sa désobéissance, sa mère lui appuyait sur le ventre pour qu'il expulse le liquide qui l'empêchait de respirer. Absolument charmante et dotée d'une grande fibre maternelle, songea t-il avec humour. Il paniqua franchement quand Lisbeth commença à lui retirer ses bottes et son pantalon. Il cria mentalement :
Elle me déshabille !
Et alors ? Je croyais que tu adorais quand les femmes te faisaient ça. Tu aimes qu'elles prennent les initiatives, non ?
Toutes mais pas Lisbeth !
Il craignait le pire mais la jeune femme se contenta de lui faire une toilette rapide avec un gant d'eau tiède et de lui sécher le corps avant de le rhabiller. Il frémit intérieurement. Voilà qu'il commençait à devenir paranoïaque et à imaginer le pire. Lisbeth n'était pas une Valserye mais une jeune femme de la haute société. Elle n'allait certainement pas se jeter sur le premier venu. Elle avait un fiancé, qui plus est ! Il n'avait donc rien à craindre.
Firenza avait raison, elle tentait de se rattraper pour toutes les fois où elles'était montrée odieuse. Rien de plus. Il ancra profondément cette raison dans son esprit et s'ordonna de se calmer. Elle le laissa tranquille après ça, jusqu'à ce qui devait être l'heure de dormir. Elle s'installa à côté de lui et le couvrit avec une couverture chaude.
Il dormit sans savoir combien de temps mais en se réveillant, il constata qu'il sentait à nouveau et pouvait bouger le bout de ses doigts et de ses orteils. Il entendait aussi vaguement les sons. Il lui sembla que Lisbeth parlait mais de quoi et à qui ? Bonne question. Il se prépara à affronter une nouvelle journée dans le noir complet. La vue était ce qui revenait en dernier avec la mobilité totale du corps, il faudrait qu'il soit patient.
Qu'est-ce que tu fais ? demanda t-il à sa sœur.
Je visite ton village et je me renseigne sur les us et coutumes.
Il n'y a pas grand-chose à voir...
Détrompe-toi ! Vous avez un formidable temple en l'honneur de Libraca, une merveille ! s'enthousiasma sa jumelle.
Elle parlait de la grande tour de pierre au centre du camp des Valseryes, leur monument le plus sacré. De l'extérieur elle paraissait petite et une fois à l'intérieur on pouvait à peine faire tenir cinq personnes. C'est parce que le véritable cœur du temple se trouvait sous terre, dans une grotte naturelle. En descendant des escaliers creusés dans la roche et en suivant les murs décorés de peintures et de gravures de dragons, on aboutissait dans une gigantesque cavité plus haute qu'une cathédrale.
Sur les murs brillaient de minuscules cristaux translucides et dans le fond s'élevait une statue en l'honneur du dieu de la connaissance. Derrière celle-ci s'ouvrait un couloir étroit menant aux appartements des prêtresses et à une autre grotte où elles seules pouvaient pénétrer. On racontait que c'était là-bas qu'elles entendaient la voix du dieu.
Alaman ne croyait guère à cette histoire. Il pensait vraiment que Libraca existait, encore plus maintenant qu'il avait vu un demi-dieu de ses propres yeux, mais ne pensait pas qu'il s'adressait aux Valseryes. Sa sœur avait raison sur un point : l'endroit était magnifique, emprunt d'une énergie particulière qui avait laissé Alaman frissonnant quand il s'était aventuré dans le temple pour la première fois et celles d'après.
En apprenant ses fiançailles avec Silfrid, il avait fuit les lieux comme la peste en se promettant de ne plus jamais y mettre un orteil. Les époux des prêtresses passaient le restant de leurs jours enfermés dans les appartements de leurs femmes, sans plus jamais revoir le soleil. C'est pour cela que le temple l'avait brusquement répugné. Mais maintenant que cette histoire était derrière lui, le temps était peut-être venu de se réconcilier avec le monument et de lui demander pardon pour l'avoir négligé. Il doutait de pouvoir y descendre avant leur départ. Il verrait bien. Il s'ennuya fermement une bonne partie de la journée.
Demeurer allongé sans rien voir était lassant. Au moins son ouïe revenait petit à petit. C'est ainsi qu'il entendit quelqu'un descendre les escaliers et reconnut la voix de Lisbeth. Il se concentra pour comprendre ce qu'elle disait mais un mot sur deux lui parvint :
- Vraiment...mais...femmes...neige...malades.
Il abandonna l'idée de saisir une phrase complète après une demie-heure d'efforts infructueux. Surtout que sa concentration vola en éclats quand Lisbeth entreprit de défaire son bandage pour vérifier l'état de ses blessures et en refaire un propre. Second aspect atroce avec la perte des sens : celui qui restait se développait. Il ressentait le moindre effleurement de la peau de Lisbeth contre la sienne, ainsi que son souffle sur sa peau.
Il se sentit de nouveau complètement démuni et sans défenses. Il détestait vraiment cette drogue. La jeune femme refit ses bandages et lui servit un verre d'eau qu'il avala avec moins de difficultés que la veille. Sa vessie commençait à le travailler mais il n'osait pas en parler à sa sœur. Il finit par se résigner en se disant que c'était ça ou souiller ses draps devant Lisbeth. Il préférait encore mourir que s'infliger une telle humiliation.
Firenza, j'ai un petit souci...
Lequel ?
Un besoin pressant.
Hum, je vois...Tu veux que je demande à Brazidas ? C'est un homme il sait mieux que moi comment s'y prendre.
Alaman grimaça. Brazidas restait la meilleure option même si c'était presque aussi honteux que de vider sa vessie dans le lit. De toute façon, il n'avait pas le choix.
Dis-lui de me mettre un bon coup de poing dans la vessie. Sans ça elle ne se relâchera jamais.
Je vais tâcher de lui faire passer le message. Courage mon frère, ça n'a rien de gênant.
Pour des dragons peut-être mais pas pour des humains, soupira mentalement le jeune homme.
Alors remercie les dieux que Brazidas soit un dragon, dit gentiment sa sœur.
Elle arrêta la conversation ici et Alaman attendit dans l'appréhension. Il avait oublié à quelle point cette drogue était mauvaise pour l'estime de soi. Il espéra que Brazidas ne se moquerait pas trop par la suite. Il se prépara à vivre un des pires moments de sa vie en entendant des pas lourds dans les escaliers.
Le dragon de feu échangea quelques mots avec Lisbeth qui quitta la pièce puis il souleva Alaman en douceur comme s'il ne pesait rien. De plus en plus gênant. Il ne pouvait que se laisser faire pendant qu'on le manipulait comme un pantin pour l'asseoir sur le bord d'une chaise. Le jumeau de Lisbeth devait bien rire. Il ressentit un vif malaise quand Brazidas descendit ses bas. Il essaya de ne pas trop y penser, de s'imaginer ailleurs. Il se dit que ce n'était qu'un mauvais rêve perturbant qui cesserait dans quelques instants. Il entendit distinctement :
- Excuse-moi Alaman...
Le poing du dragon frappa en plein dans sa pauvre vessie. Comme lorsqu'il était petit, la technique fonctionna à merveille et il laissa l'humiliation cuisante de côté quelques secondes pour savourer le soulagement que ressentait son corps suite à l'exécution de ce besoin naturel. Brazidas le rhabilla quand il eut terminé et le recoucha.
Tu remercieras ton frère pour moi, dit-il à Firenza.
Sa jumelle répondit quelques minutes après :
Il dit que ce n'est rien et que tu ne dois pas hésiter à faire appel à lui. Il s'excuse aussi s'il a cogné trop fort.
Ce n'est pas grave. N'en parlons plus.
Voilà, une bonne chose de faite et une croix supplémentaire à cocher dans la liste des pires expériences de sa vie. Une autre nuit débuta quand Lisbeth vint se coucher. Il dormit en même temps qu'elle et se réveilla avec la désagréable impression d'être écrasé. Il n'avait pas tort : la moitié du corps de la princesse était affalé sur lui et mademoiselle ronflait comme une bienheureuse ! Il parvint à bouger sa main mais rien de plus.
En revanche une heureuse nouvelle lui gonfla le cœur de joie : il entendait tout ! Il essaya de parler mais ses cordes vocales n'émirent qu'un gargouillis. Il aura essayé...Il parviendrait sans doute à s'exprimer plus clairement ce soir ou demain. Son ventre gargouilla, lui rappelant qu'il n'avait pas avalé grand-chose ces deux derniers jours. Il tenta d'ouvrir et de fermer la bouche. Cela lui demanda de la concentration mais ce n'était pas impossible. Lisbeth remua à côté de lui et s'étira en baillant.
- Bonjour Alaman, marmonna t-elle. Ça va mieux aujourd'hui ?
Est-ce qu'elle se moquait de lui ? Est-ce qu'il avait l'air d'aller bien ? Il n'arrivait même pas à pisser tout seul bon sang ! Son estomac grogna derechef. Il entendit Lisbeth se demander :
- Qu'est-ce qu'on pourrait te donner à manger sans que tu ais besoin de mâcher ou que ça t'étouffe ? Il faut que je pose la question à ta sœur. Je reviens vite, je n'en ai pas pour longtemps !
Comme s'il pouvait répondre ! Il l'entendit s'habiller en vitesse et un choc se créa en lui quand il comprit qu'elle avait dormi à moitié sur lui, sans vêtements. Une fois de plus, il essaya de se rassurer. Elle avait sans doute enlevé une ou deux couches de vêtements pour ne pas avoir trop chaud. Le lit et le feu de cheminée apportaient assez de chaleur pour ne pas avoir à se couvrir jusqu'aux oreilles.
Il s'inventait des histoires : Lisbeth ne dormirait jamais avec un barbare dans le plus simple appareil. Il se faisait une frayeur pour rien, une fois encore. Il patienta jusqu'au retour de la jeune femme, qui tardait. Il s'ennuyait en ayant uniquement le craquement des bûches dans l'âtre comme bruit de fond.
Où es-tu Firenza ? demanda t-il pour passer le temps.
En train de préparer ton futur repas.
Qu'est-ce que c'est ? s'enquit-il en salivant d'avance.
Bouillie de poisson.
En temps normal il aurait fait la grimace mais il avait tellement faim qu'il était prêt à avaler le pire des plats.
C'est bientôt prêt ?
Oui gros morfal ! Nous rajoutons certaines de tes épices pour donner un peu de goût et ça arrive !
Attendez, n'ajoutez pas n'importe quoi ! les prévint Alaman.
Je ne sais pas lesquels choisir alors je laisse Lisbeth faire, expliqua sa sœur.
Parce que tu crois sincèrement qu'elle sait cuisiner ?! désespéra le rouquin.
Il soupira intérieurement et se prépara à ingurgiter la mixture la plus infâme de tous les temps. Les dieux s'acharnaient vraiment contre lui...
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Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du monde
FantasyAymeric est à présent un chevalier dragon. Lui et ses compagnons doivent endosser leurs responsabilités et effectuer leur première mission : une visite diplomatique au royaume des dragons. Mais la mission prend une tournure inattendue et une suite d...