Chapitre 12 : L'arbre originel

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Il se leva avec le soleil et repassa le plan d'action élaborer par ses soins durant le voyage dans son esprit. Il peaufina certains détails et envisagea une dernière fois tous les scénarios possibles. Une fois cela fait, il entreprit de préparer un petit-déjeuner nourrissant sans pour autant peser sur l'estomac à l'attention de ses compagnons. Zacharie et Lisbeth, les deux derniers à avoir été de garde, tirèrent la petit troupe du sommeil. Plus vite ils en auraient fini avec cette mission, mieux ce serait. Aymeric en profita pour leur exposer son idée.
- Pour commencer avec les réjouissances, seuls les humains approcheront l'arbre originel. Les dragons resteront assez près pour que le lien fonctionne décemment mais pas suffisamment pour risquer de se faire repérer.
Personne ne discuta cette décision et Aymeric demanda ensuite :
- Qui parvient à communiquer mentalement avec son jumeau ou à voir par les yeux de l'autre ?
Hydronoé, Ourania, Lysange, Zacharie et Gébald se manifestèrent en levant la main. Les autres échangèrent un regard gêné.
- Nous établirons une communication permanente grâce à ceux qui le peuvent. J'aimerais que les dragons conservent leur forme reptilienne et restent sellés, prêts à intervenir pour nous tirer de là si les choses s'enveniment.
Aucune objection une fois encore. Le jeune homme poursuivit en entrant dans les détails :
- Pendant que nos frères et sœurs resteront en retrait et feront office de renforts, nous entamerons une phase d'observation de l'arbre originel. L'objectif est de repérer des signes de vie et de savoir si les habitants se trouvent toujours ici, s'ils semblent en danger ou si l'endroit est désert. En fonction des informations collectées, que nous transmettrons au roi grâce à un pigeon voyageur, nous déciderons de la marche à suivre.
Cette fois Lisbeth chercha à être contrariante et demanda en croisant les bras sur sa poitrine :
- Tu pourrais préciser ce que tu entends par «la marche à suivre» ? Tu veux dire que nous improviserons ? Ou tu pourrais développer ? Parce que là je commence à craindre le pire...
- Pour faire simple, si rien n'est alarmant nous allons à la rencontre de la population pour comprendre pourquoi et comment les communications ont été rompues et où sont passés nos négociateurs. Si quelque chose cloche, nous faisons autant d'observations que possible sans nous mettre en danger et rentrons aussitôt après pour les transmettre au roi qui décidera de ce qu'il convient de faire. Satisfaite ?
- Ça reste brouillon mais je suppose que c'est mieux que rien, grommela Lisbeth.
- Si personne n'ad'autres questions nous pouvons y aller. Lysange, guide-nous.
La sylphe obéit et le groupe lui emboîta le pas en silence. Ils se déplacèrent entre les arbres et escaladèrent la montagne. Après une heure de marche, Lysange finit par murmurer :
- L'arbre originel se trouve dans une cuvette que forme la montagne à son sommet. Nos jumeaux dragons peuvent rester en haut de celle-ci, ils devraient être assez près pour que le lien permette de transmettre des émotions ou de voir à travers le regard de l'autre. Il y a un lac au pied de l'arbre. Il est très profond et je vous conseille de ne pas vous en approchez.
- Pourquoi ? demanda Alaman.
- Disons qu'il abrite de très grosses créatures avec un appétit tout aussi gros...Elles ne refusent jamais un peu de viande si vous leur en proposez et c'est à elles que nous lançons les criminels qui ont commis une faute grave.
- Le livre que j'ai consulté ne parlait pas d'une telle coutume, s'étonna Aymeric.
- Mon peuple la garde secrète. Les monstres que le lac cache sont un peu une arme de guerre, un atout. Les miens ne veulent pas que les étrangers sachent qu'ils possèdent ce genre de créatures.
- Tu ne risque rien à nous en parler ? s'inquiéta Hydronoé.
- Je préfère vous prévenir maintenant plutôt que de pleurer plus tard, une fois que vous serez dans le ventre de ces monstres.
Ils continuèrent leur progression, songeurs. Aymeric essaya de se figurer l'apparence de ces bêtes. Des poissons de grandes tailles avec des dents affûtées comme les requins ? Ou plutôt des crocodiles aux proportions titanesques, une sorte d'espèce voisine de ceux qui nageaient dans les cours d'eau au sud de Talenza et dans les marais entre ce royaume et celui de Notterey ? Il était tenté de le savoir mais ne désirait pas finir gobé par le prédateur aquatique pour satisfaire sa curiosité.
Quand le terrain commença à devenir plus plat, Lysange leur fit signe de ralentir la cadence. Aymeric porta la main à sa garde de son épée, pressentant qu'ils approchaient de leur cible. Il ne se trompait pas : après quelques mètres, le terrain s'affaissait brutalement pour former une grande cuvette. L'arbre originel trônait fièrement au milieu de celle-ci. Alaman poussa un sifflement admiratif et Aymeric n'était pas loin de l'imiter. Il pensait que le végétal ferait la taille du palais d'Ondre mais il était loin de la réalité ! Cet arbre était plus grand que tous les édifices qu'il connaissait, plus grand que la cathédrale de Notterey ! Son imposante ramure couvrait un lac scintillant d'une ombre épaisse.
- Il est magnifique, dit Gébald avec fascination.
- C'est encore plus impressionnant quand on se retrouve à son pied, affirma Lysange.
Aymeric se tira de sa contemplation et lança aux dragons :
- Nos routes se séparent ici. N'oubliez pas : restez concentrés sur le lien. Donnez et prenez des nouvelles régulièrement, nous ferons de même de notre côté. Si la situation tourne mal pour nous, venez nous chercher.
Ils acquiescèrent et le chevalier dragon fit signe à ses compagnons humains de poursuivre la route. La descente aurait pu s'avérer ardue si Lysange ne s'était pas souvenu d'un petit sentier non loin de là. Durant leur trajet, ils ne croisèrent pas âme qui vive et la sylphe leur expliqua :
- Nous vivons tous près de l'arbre et quittons rarement cet endroit. Beaucoup des miens ne se sont jamais aventurés hors de cette fosse naturelle : ils ignorent tout du monde extérieur.
Ils se turent à mesure qu'ils approchaient de l'arbre et prenaient conscience de sa grandeur. Il se tenait là, droit avec son tronc noueux comme s'il tentait de toucher le ciel. Le jeune homme se sentit tout petit à côté de lui mais son émerveillement passa au second plan car la mission occupait son esprit.
- Rapprochons-nous jusqu'à ce que nous puissions détecter des traces de vie.
Le groupe obéit et ils avancèrent en restant à couvert des arbres qui passaient pour des cure-dents à côté de l'arbre originel. Aymeric les arrêta quand ils furent assez proches à son goût. De là, il voyait parfaitement les formes carrés des maisons de bois installées sur des plates-formes fixées à l'arbre. Plus de deux cents fleurissaient déjà sur les racines du végétal, de taille modeste.
- Les plus proches du sol sont les habitations des cultivateurs. Comme ça ils peuvent accéder à leurs champs plus facilement.
- Et ils sont aussi le plus bas dans la société, n'est-ce pas ? l'interrogea Alaman sans cacher son mécontentement.
Lysange hocha tristement la tête et ajouta :
- Plus nous montons dans l'arbre originel plus ceux qui y vivent sont aisés.
- La reine se trouve donc à la cime, raisonna Zacharie.
- Oui. Les membres de la famille royale et les conseillers sont juste en dessous puis viennent les nobles, les riches marchands et ainsi de suite jusqu'aux classes les plus défavorisées.
- Il y a de la vie dans cet arbre en tout cas, déclara Aymeric.
Ses amis sursautèrent, tirés de leur conversation. Le jeune homme leur montra le tronc de l'arbre qui fourmillait de points noirs qui allaient et venaient comme des fourmis.
- On dirait une journée ordinaire, constata Lysange avec soulagement.
- Ne crions pas victoire trop tôt. A cette distance nous ne savons pas s'il s'agit d'amis ou d'ennemis. Essayons d'approcher encore un peu, décida Aymeric.
- Restons prudents, intervint sa compagne. Il y a des postes de garde à toutes les hauteurs dans l'arbre et de tous les côtés. Si nous sommes repérés, c'est fini pour l'effet de surprise.
Le chevalier dragon hocha la tête et ils redoublèrent de prudence. Plus il avançait, plus il était évident qu'une force hostile n'avait pas envahi l'arbre originel. Des rires leur parvenaient, ainsi que le brouhaha des conversations. Il devait y avoir plus de monde que dans la capitale d'Ondre ! La situation ne présentait pas de risques pourtant Aymeric ne se sentait pas à l'aise.
- Tout est si ordinaire que ça en serait presque étrange, chuchota Alaman.
- Pourtant rien ne cloche. Tout est comme dans mes souvenirs, insista Lysange.
- Est-ce que nous allons voir de plus près ou pas ? s'impatienta Lisbeth.
Ils tournèrent la tête vers Aymeric qui délibérait intérieurement. Il était dans ses projets d'aller à la rencontre des autochtones si tout allait bien pour eux mais il ne pouvait pas ignorer son instinct pour autant...
- Allons-y mais restons prudents, décida t-il. Au moindre problème, nous déguerpissons.
Hydronoé, envoie un message au roi pour lui dire que le peuple des sylphes est sain et sauf et que nous approchons de plus près pour en apprendre plus, transmit-il mentalement à son jumeau.
La réponse de son frère lui parvint, bien que lointaine :
Très bien. Nous restons prêts à intervenir.
Les chevaliers dragons franchirent les derniers mètres les séparant d'une racine de la taille de trois palais sans se cacher. Des paysans leur jetèrent des regards étonnés depuis leur champ puis les saluèrent avec des sourires amicaux. Aymeric répondit avec une certaine réserve. Il avait pourtant lu dans son livre que les étrangers n'étaient pas bien vus. Est-ce que l'auteur avait écrit cet ouvrage des décennies plus tôt et que les mentalités avaient évolués entre-temps ? Il ne supposait pas, surtout s'il se basait sur les dires de Lysange quand elle lui racontait son enfance.
- Ils sont bien accueillants, s'étonna d'ailleurs la sylphe.
- Peut-être parce que l'une des leur nous accompagne, dit Zacharie.
- J'en doute sincèrement. Ils se méfient de tout et n'importe quoi.
- Ne t'inquiète pas, je vois les ennuis qui arrivent en même temps que les gardes ! déclara Alaman en désignant du menton un groupe de cinq hommes en rouge armé de longues lances.
Les chevaliers dragons allèrent à la rencontre des gardiens de l'arbre sans relâcher leur vigilance. Le plus âgé des gardes se détacha du groupe tandis que les quatre autres demeuraient droits comme des piquets, en ligne et le regard rivé sur l'horizon.
- Mes salutations étrangers. Puis-je savoir qui vous êtes ?
Aymeric remarqua que l'homme se garda bien de les saluer à la manière des sylphes. Le jeune homme se planta face à lui et répondit aussi poliment que possible :
- Je suis Aymeric Clarence, envoyé de sa majesté le roi Alaric d'Alembras et voici mes compagnons : Zacharie Silas, Lisbeth d'Ondre, Alaman Sparx et Lysange Sturm.
- Des envoyés du roi d'Ondre ? En quel honneur ?
- A cause des communications qui se sont brusquement interrompues entre nos deux royaumes, il y a quelques semaines. Notre bon roi s'est inquiété et nous a donné la mission d'aller sur place vérifier que tout va bien. Pourrions-nous avoir un entretien avec votre reine afin d'obtenir de plus amples renseignements sur cet incident ?
Les traits du soldat se figèrent tandis qu'il réfléchissait. Puis il déclara d'un ton résolu :
- Bien entendu. Suivez-moi.
Il fit demi-tour et ses collègues lui emboîtèrent le pas avec une synchronisation presque effrayante. L'organisation de l'armée du royaume des sylphes paraissait très stricte et bien rodée, encore plus que celle d'Ondre. Ils suivirent les gardes jusqu'au pied de l'arbre et Aymeric comprit comment se sentait une fourmis au pied d'un chêne centenaire.
Les nervures dans l'écorce de l'arbre originel étaient assez grandes pour qu'ils se déplacent à l'intérieur sans se courber. Cependant ils n'utilisèrent pas de chemin serpentant dans ces dernières. Des nacelles attachées à des cordes les attendaient au sol. Aymeric et Alaman prirent place dans la première avec trois des gardes, dont le plus vieux, tandis que Zacharie, Lysange, Lisbeth et les deux derniers membres armés s'installaient dans la seconde. Ils firent sonner une cloche suspendue à une des cordes et les nacelles se mirent brusquement en branle. Elles quittèrent la terre ferme et le jeune homme lança un regard en direction de Lysange. En dehors du tremblement de ses mains et de ses lèvres, rien ne trahissait sa peur du vide. L'ascension fut longue mais intéressante.
Il vit d'autres sylphes qui montaient ou descendaient de la même manière qu'eux. Leur chevelure était toujours blanche et parfois, mais rarement, blond platine. La plupart possédait une peu aussi pâle que celle de Lysange mais il avisa un homme d'une trentaine d'années très bronzé. Tous les habitants de l'arbre originel avaient aussi des yeux clairs, bleus, verts ou gris. Pas de prunelles marrons ou noires. A des mètres de hauteur, la vue sur le lac était imprenable et le chevalier dragon essaya de percevoir un remous dans les eaux calmes mais la surface demeura lisse comme celle d'un miroir. Pas de traces des monstres marins mangeurs d'hommes. Il perdit l'étendue miroitante de vue quand ils atteignirent les premières grosses branches.
La majorité des habitations se trouvaient ici et leur taille augmentait à mesure qu'ils se rapprochaient du sommet. Elles étaient en bois mais ne ressemblaient pas à des cabanes rudimentaires pour autant. Les murs, la charpente, les volets, les portes...Tous les éléments étaient travaillés avec soin, comme en témoignait la légère couche de verni et les peintures détaillés qui les ornaient. Des sylphes vaquaient à leurs occupations mais ceux qui les remarquèrent les fixèrent avec intensité. Ils ne voyaient pas d'étrangers souvent, c'était certain ! Quand ils arrivèrent enfin à la cime de l'arbre, Lysange poussa un discret soupir de soulagement et descendit d'un pas mal assuré en évitant de regarder en bas. Comme les branches de l'arbre étaient sillonnées de crevasses assez dangereuses pour s'y coincer une jambe et se la briser, un chemin de planches indiquait la route à suivre jusqu'au palais.
Celui-ci n'était pas aussi grand que ce à quoi s'attendait Aymeric mais il s'intégrait de façon symbiotique à l'arbre originel. Le bâtiment entourait les branches sans les couper ou les enserrer. Du lierre envahissait les façades du palais en grimpant contre les murs. Des soldats postés de chaque côté des grandes portes en bois brut avec des poignées en fer forgé montaient la garde. Ils ouvrirent pour leur livrer le passage. Aymeric hésita devant le palais. S'ils entraient là-dedans, ils se feraient piéger plus facilement et les dragons ne pourraient pas les sauver aisément. A moins de réduire le palais en cendre et risquer de brûler l'arbre originel et les sylphes avec lui. Hors de question.
Devant le regard insistant des gardes, il céda. C'est lui qui avait demandé une audience avec la reine. Il avait été assez stupide pour négliger ce détail crucial. Il pria Praeslia pour que tout se passe bien et afin qu'elle lui donne le courage et l'intelligence nécessaire pour inventer un plan brillant en cas de problème au sein du palais.



Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant