Chapitre 32 : Le dieu dragon

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Des hommes jaillirent de derrière la dune avec un cri bestial. Ils ne portaient ni les tenues ni les peintures de guerre d'une quelconque tribu mais des vêtements en cuir ou en toile usés et des pièces d'armure en métal cabossé. Ils étaient de toutes les couleurs de peau et de tous les âges. Des pillards. Zacharie tira son épée au clair et rejoignit son frère qui grondait tout bas.
Les hommes arrivaient en criant droit sur eux, une lueur de convoitise dans les yeux mêlée à une folie furieuse. Le jeune homme en dénombra une trentaine. Il serra les dents, prêt à l'affrontement mais aussi contrarié que des humains aient vu son frère d'âme sous sa forme de dragon.
Heureusement ils étaient dans le désert et la rumeur resterait parmi les criminels réfugiés ici. Le secret de ces êtres mythiques et de l'ordre des chevaliers dragons d'Alembras ne devrait pas être divulgué. Zacharie se mit en posture d'attaque mais Gébald gronda :
- Recule, je m'en charge.
Le jeune homme fit un pas en arrière tandis que son frère d'âme plongeait ses pattes dans le sable meuble, une lueur féroce dans ses yeux dorées. Le sable ondula puis se souleva dans les airs comme une vague épaisse pour s'abattre sur les pillards. Ils furent tous engloutit mais d'autres ennemis vinrent remplacer les premiers, des archers cette fois.
Une salve de projectiles meurtriers vola vers les chevaliers dragons mais Gébald la stoppa en érigeant un mur de sable entre leurs opposants et eux. Les archers en profitèrent pour les encercler mais les flèches ne touchèrent jamais Zacharie et Gébald car le dragon de terre créa une enceinte protectrice, concentré.
Son corps commençait à trembler, signe qu'il ne tarderait pas à relâcher ses efforts et que leur abri tomberait. Et ils ne pouvaient pas fuir par la voie des airs. Zacharie se prépara au combat mais aussi à mourir.
Face à la supériorité numérique, il ne pouvait rien. Son frère résisterait à tous les assauts mais lui non. Un seul mauvais coup et il se viderait de son sang, entraînant son jumeau dans sa chute.
Le mur de sable commença à s'effriter tandis que Gébald haletait et luttait pour le maintenir. Soudain, une clameur guerrière s'éleva et un son semblable à celui d'un cor de chasse résonna dans l'air aride. Un frisson dévala la colonne vertébrale de Zacharie. Il reconnaissait ce son qu'il avait déjà entendu lors des rassemblements des trois tribus.
- Les Aterniens, murmura t-il.
- Amis ou ennemis ? s'inquiéta Gébald.
- Amis. Mais tu ne peux pas rester sous ta forme de dragon. Est-ce que tu peux maintenir le mur et redevenir humain en même temps ?
- Impossible...C'est trop difficile...
Zacharie soupira. Aymeric allait être très irrité qu'une tribu entière soit mise au courant du fait que les dragons existaient bel et bien et qu'ils se baladaient sur le continent. Tant pis, il subirait le courroux de son meneur. Autour d'eux s'élevait des bruits témoignant d'un affrontement. Il se demanda qui avait prit l'avantage quand ceux-ci cessèrent aussi brusquement qu'ils avaient commencé.
Gébald lui donna la réponse quand il laissa leur maigre protection s'écrouler et les révéler au monde. Les Aterniens les fixèrent avec stupéfaction. La peau et les cheveux sombres sans l'être autant que chez Zacharie, ils portaient des pantalons larges et des chemises amples aux couleurs pastels. Ils retiraient leur lance de bois et d'os des corps sans vie des pillards mais suspendirent leur geste en découvrant l'étranger et le dragon. Leurs yeux brun foncé s'écarquillèrent et l'un d'eux s'écria :
- Un dieu-dragon !
Comme un seul homme, ils se prosternèrent face à Gébald qui eut un mouvement de recul à cause de la surprise.
- Je ne suis pas un dieu ! protesta t-il.
Un tressaillement agita la petite assemblée quand il s'exprima et aucun n'osa amorcer un mouvement, conservant le nez dans le sable.
- Tu devrais leur dire de se relever sinon ils vont passer la journée dans cette position, suggéra Zacharie à son frère.
- Pourquoi je ne t'ai pas écouté et que je ne suis pas sagement resté assis à l'ombre d'une dune ? maugréa son jumeau. S'il vous plaît, redressez-vous !
Les Aterniens présents obéirent en un quart de seconde et posèrent des yeux émerveillés sur Gébald, qui ne savait plus où se mettre. Le chef du petit groupe de patrouilleurs reconnaissable à son pantalon noir, signe de pouvoir pas opposition au blanc qui signifiait l'obéissance, osa ouvrir la bouche pour dire :
- C'est un honneur de vous rencontrer. Mon nom est Djahir et je suis votre humble serviteur. Dites-moi ce que vous attendez de nous et vous l'obtiendrez.
Gébald échangea une œillade incertaine avec Zacharie qui chuchota :
- Je suppose que nous pouvons leur demander où sont nos amis ou s'ils ont vu les cavaliers.µ
Son jumeau hocha la tête et répéta les questions à Djahir qui buvait ses paroles comme s'il racontait quelque chose de passionnant ou que sa voix l'hypnotisait. Il répondit d'un ton respectueux en se courbant.
- Nous traquions ces barbares des terres brûlées et n'avons croisé personne sur notre chemin. Quant aux cavaliers, un de ses patrouilleurs les a vu il y a cinq jours de cela. Est-ce mal placé de vous demander pourquoi vous les chercher et comment vous aider ?
- Menez-vous à votre camp et je serais ravi de vous expliquer à vous ainsi qu'à votre chef.
Un murmure enthousiaste et surpris s'éleva parmi les guerriers, étonnés qu'un dragon veuille se rendre dans un campement humain. Djahir s'inclina à en toucher le sol du front puis se mit en route. La troupe encadra le duo comme une escorte personnelle sans cesser d'admirer Gébald qui supportait mal cet examen insistant.
- Ils sont effrayants.
- Tu es un dragon, un être de légende doté d'une force et de pouvoirs hors du commun qui descend des dieux primordiaux. Il est naturel qu'ils soient impressionnés.
Gébald soupira et grommela quelque chose d'inintelligible. Zacharie lui adressa un sourire réconfortant. Ils cheminèrent en silence à un rythme militaire, calquant leur pas sur celui de Djahir en tête du groupe.
La cité des Aterniens se profila à l'horizon. Les tentes spacieuses en toile brune ou verte s'élevaient entre les champs irrigués par des canaux luisants d'eau en provenance d'un point d'eau profond au centre du camp, à peine moins grand que celui où se réunissaient les tribus.
Des hommes et des femmes travaillaient dans les champs fertiles, un turban autour de la tête pour que le soleil ne brûle pas leurs crânes. Les Aterniens vivaient de leurs cultures et n'hésitaient pas à troquer leurs excédents, notamment avec les Hérances. Quand ils virent Gébald, le peuple du désert s'agenouilla ou se mit à prier.
Djahir les guida jusqu'à une tente de taille modeste dont la toile qui recouvrait l'entrée comme une porte de tissu était noire. Le chef de la patrouille disparu à l'intérieur, laissant ses invités attendre sous les yeux ébahis des habitants qui s'approchaient timidement pour mieux voir Gébald.
Une foule de plus en plus nombreuse se massa autour d'eux et Zacharie se cacha instinctivement dans l'ombre de son frère pour échapper à se rassemblement qui lui rappelait de mauvais souvenirs. Il percevait le malaise de son jumeau qui était le centre de l'attention.
Djahir revint en compagnie d'une vieille femme ridée vêtue d'une ample tunique noire. Elle s'appuyait sur une canne et ses cheveux blancs cascadaient librement dans son dos. Elle ne sembla pas surprise en découvrant un dragon sur le seuil de sa tente, au beau milieu du campement. Un sourire bienveillant étira ses lèvres et elle dit d'une voix claire et puissante pour son âge :
- Au nom des Aterniens, je vous souhaite la bienvenue chez nous. Notre demeure est aussi la vôtre si vous voulez bien de notre hospitalité.
- Nous l'acceptons avec plaisir, c'est très généreux de votre part, répondit Gébald.
- Qui ne serait pas généreux avec un enfant d'Agradios ? sourit la vieille femme.
Elle leva son regard sombre vers son peuple et ordonna :
- Veuillez retourner à vos activités. J'ai besoin de parler avec nos invités.µ
Les Aterniens s'éloignèrent à contre-coeur et la doyenne secoua la tête avec un sourire amusé.
- Pardonnez-les, c'est la première fois qu'ils voient des dragons.
- Mais vous pas, devina Zacharie.
- En effet. Du temps où j'étais petit fille, les dieux savent que ce temps est lointain, j'ai vu un dragon tel que vous dans le désert. C'était une rencontre inattendue et j'ai vu qu'il était surpris, certainement plus que moi. Il m'a demandé mon nom et ce que je faisais ici puis il m'a fait promettre de ne rien dire. C'est ce que j'ai fait. Jusqu'à aujourd'hui du moins. Combien êtes-vous sur notre continent ?
- Je ne peux malheureusement rien dire, répondit Gébald.
- Je comprends. Et qui est le jeune homme qui vous accompagne ?
Le regard brun foncé brillant de lucidité de la doyenne se posa sur Zacharie, qui se présenta en se penchant respectueusement :
- Je suis Zacharie Silas, ami de longue date de Gébald.
Le terme «ami» fit grogner son jumeau qui grommela :
- Tu pourrais quand même dire frère.
Le jeune homme lui adressa un sourire d'excuse. Il préférait ne pas trop en révéler à la doyenne, malgré sa sympathie apparente. La vieille femme demanda :
- Djahir m'a expliqué que vous aviez perdu des amis à vous dans le désert.Voulez-vous que j'envoie une patrouille les chercher ? Les alentours ne sont pas sûrs ces derniers temps à cause des pillards.
- Les Hérances n'ont pas réussi à les contenir ? s'étonna Zacharie.
- Difficilement. Les pillards sont devenus plus hardis mais aussi mieux équipés. Ils percent régulièrement les défenses des Hérances et arrivent jusqu'à nous. Nous parvenons à les contenir et pour le moment aucun d'entre eux n'a réussi à poser le pied dans notre campement. Je crains que ça ne dure pas longtemps. Les convois qui transportent les vivres pour les Hérances sont particulièrement visés et je crains pour la sécurité de celui qui partira demain matin, expliqua la doyenne.
- Nous pouvons l'accompagner, proposa spontanément Gébald. Nous nous dirigeons justement vers le sud du continent alors si nous accompagnons votre convoi, nous garderons un œil sur lui et atteindrons notre dernière destination. Qu'est-ce que tu en penses Zach ?
L'intéressé approuva l'idée de son jumeau. Il ne restait qu'à espérer que les autres seraient de retour avant le matin. La vieille femme lui proposa une tasse de thé qu'il accepta et sirota en sa compagnie, assis sur un tapis coloré à l'ombre de sa tente.
Gébald était installé à côté de lui et semblait s'ennuyer comme un rat mort. Ils terminaient de déguster leur boisson quand Djahir revint en courant.
- Doyenne, la patrouille vient de rentrer. Ils ont réussi à capturer des pillards avec l'aide de deux étrangers à la peau pâle.
- A quoi ressemblent-ils ? s'enquit Zacharie.
- L'un d'eux à les cheveux noirs et les yeux d'un bleu que je n'avais jamais vu auparavant et le second a de longs cheveux châtains et un regard ambré.
- C'est Aymeric et Hydronoé ! s'enthousiasma Gébald.
La vieille femme se leva avec ses deux invités et ils rejoignirent les nouveaux venus. Les patrouilleurs tenaient fermement cinq pillards ligotés qui s'agitaient pour s'échapper en insultant les Aterniens. Aymeric et Hydronoé marchaient côté à côté avec la chef de cette patrouille, une jeune femme qui ressemblait trop à la dirigeante du clan pour qu'il s'agisse d'une coïncidence.
- Doyenne, je vous ai rapporté des prisonniers comme vous me l'aviez demandé. Voulez-vous que je les interroge ?
- Va. La tente des interrogatoires est tout à toi. Je veux savoir comment ils se procurent leurs ressources et comment leurs forces grandissent.
La chef s'inclina face à la doyenne et s'éloigna avec sa patrouille et les prisonniers. Zacharie n'aimait pas le terme «tente d'interrogatoire». Chez les Hérances, il existait une tente réservée aux châtiments corporels pour ceux qui n'obéissaient pas aux règles ou qui faisait preuve de manque de respect envers les règles.
C'était une construction un peu reculée, à l'écart des autres pour qu'on entende pas les cris depuis le camp principal. Elle était remplie d'objets qui donnaient encore des sueurs froides à Zacharie. Fouet, bâtons, fer chauffé à blanc, poignards, cordes...Les moyens pour calmer les esprits belliqueux ne manquaient pas.
Sauf que Zacharie n'avait jamais été belliqueux. Il était simplement détesté et cela avait suffi pour qu'il se retrouve dans cette tente trop souvent à son goût. Il la laissa de côté, préférant se concentrer sur l'essentiel. C'était ainsi dans le désert. Il préféra aller à la rencontre d'Aymeric et d'Hydronoé. Leur meneur leva les yeux vers Gébald et demanda :
- Pourquoi es-tu sous cette forme ?
- Nous n'avons pas vraiment eu le choix, intervint Zacharie pour défendre son jumeau. Nous avons été pris dans la tempête et Gébald s'est blessé à l'aile. Par la suite nous avons arpenté le désert à votre recherche et essuyé une attaque de la part des pillards. Gébald m'a défendu mais l'énergie qu'il dépensait pour me protéger l'empêchait de reprendre forme humaine. Une patrouille Aternienne est arrivée à ce moment-là et c'était trop tard. Désolé.
Aymeric soupira et dit :
- Ce n'est pas grave, ce qui est fait est fait. Reste comme ça pour le moment Gébald. Tu te transformeras en humain quand nous reprendrons la route.
- En parlant de ça...J'ai offert notre aide pour escorter une caravane de vivres vers la tribu des Hérances et les protéger des pillards, expliqua le dragon de terre avec hésitation. J'espère que ça ne te dérange pas...
Aymeric réfléchit quelques instants puis déclara :
- Je n'y vois pas d'objection. Voyager sans voler pour permettra de vous reposer et si nous sommes en mesure d'aider ces gens qui sont si généreux avec nous, alors faisons le. Quand part le convoi ?
- Demain matin, le renseigna Zacharie.
- Parfait. Où est Lysange ? Et Ourania ?
Le demi-dieu scruta le campement comme s'il espérait les apercevoir et Zacharie dit d'une voix douce pour ne pas le brusquer :
- Elles ne sont pas encore arrivées.
Une ombre angoissée passa dans les yeux de leur meneur qui se tourna vers le désert.
- La doyenne a envoyé une patrouille pour vérifier dans les alentours. Elles ne devraient pas tarder, le rassura le jeune homme à la peau sombre.
- Je l'espère...
Endossant de nouveau son rôle de meneur, Aymeric se dirigea vers la doyenne qu'il salua respectueusement et entama une discussion avec elle. Hydronoé demeura près de Gébald en s'éventant avec sa main, couvert de sueur.
- Je vais mourir, est-ce que je peux aller me baigner dans le plan d'eau que je sens tout près d'ici ?
- Les Aterniens n'y verront aucun inconvénient tant que tu respectes une certaine pudeur et que tu fais attention aux enfants qui jouent autour de toi.
Le dragon d'eau s'éloigna rapidement vers le centre du campement, pressé de se rafraîchir un peu. Zacharie se demanda s'il ne devait pas l'imiter. Lui aussi avait bien besoin de se nettoyer un peu et de refroidir son corps. Cependant il préféra rester avec Gébald, qu'il sentait toujours sur ses gardes.
- Les Aterniens n'arrêtent pas de me fixer comme si j'étais une proie, se plaignit t-il.
- Plutôt comme si tu étais un dieu. Sois patient avec eux.
- Je sais, je sais, tu me l'as déjà dit.
Ils attendirent donc sous les regards insistants des autochtones qu'Aymeric ait fini sa discussion avec la doyenne qui s'éternisait. Après une heure et demie, elle cessa enfin et leur meneur les rejoignit avec un air satisfait sur le visage.
- Cette femme est une bonne dirigeante, dit-il.
La bouche de Zacharie se tordit dans un rictus que son ami remarqua aussitôt.
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Je ne doute pas de ses compétences mais tu l'aimeras nettement moins ce soir quand elle exécutera les pillards sous tes yeux, dit le jeune homme.
- Tu crois vraiment qu'ils vont les supprimer aussi froidement ? s'étonna Aymeric.
- Bien entendu. Ils sont des bouches en trop et un problème pour la société. Moins il y en aura, mieux se sera. C'est comme ça que fonctionne la vie dans le désert : on se débarrasse de ce qui est inutile.

Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant