Chapitre 3 : Le duel

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Il évita une collision brutale avec le sol grâce à Zacharie, qui l'attrapa et le redressa en douceur.
- Ce n'est rien, les rassura le prince. Juste un vertige.
La seconde d'après,il tombait dans les pommes. De la table d'Aymeric et de ses voisines s'élevèrent des exclamations affolées.
- Où est le médecin royal ? s'exclama quelqu'un.
- Le prince a besoin de soins !
- Quelqu'un ici est-il guérisseur ?
Au milieu de tout ce beau monde qui criait sans faire grand-chose, Aymeric dit d'une voix forte :
- Mon compagnon Zacharie a d'excellentes connaissances dans le domaine médical. Il peut s'occuper du prince.
Les invités échangèrent des regards suspicieux et regardèrent Zacharie de travers. Avant qu'un seul d'entre eux puissent protester, Aymeric les foudroya de son regard de glace. Les lèvres se scellèrent et il prit le silence pour un accord. Un serviteur s'empressa de guider Zacharie qui soutenait le prince évanoui vers un endroit où l'héritier pourrait recevoir des soins.
Pour tirer un trait sur cet incident, de la musique s'éleva au fond de la salle de bal. Certains invités se levèrent pour danser et ils oublièrent bien vite l'état de leur prince. Aymeric comptait demeurer assis à regarder les danseurs évoluer sur la piste, mais Lysange en décida autrement. Elle se posta face à lui et demanda en lui tendant la main :
- M'accorderez-vous cette danse ?
- C'est à moi de dire ça, s'amusa Aymeric en plaçant néanmoins sa mains dans celle de sa compagne.
- Comme tu te décides rarement à faire les premiers pas, j'ai appris à prendre l'initiative, se moqua la sylphe.
Il la suivit parmi les danseurs en s'amusant de cette remarque. Elle n'avait pas tort et ce n'est pas lui qui allait la contredire. Ils partagèrent de nombreuses danses avant de changer de partenaire. Lysange se retrouva au bras d'un charmant noble qui ne la méprisait pas, au contraire. Son sourire charmeur ne plût pas trop à Aymeric, qui préféra se concentrer pour ne pas s'emmêler les pieds plutôt que d'accorder de l'attention à ce nouveau venu qui ne lui inspirait pas confiance.
Contrairement à lui, Alaman évoluait sur la piste avec une grâce majestueuse et entraînait dans ses bras toutes les femmes qui voulaient bien partager une danse avec lui. Aymeric retint un fou rire quand le rouquin et Lisbeth se retrouvèrent face à face avant le début d'une valse. Ils grimacèrent mais acceptèrent de faire l'effort de ne pas s'entre-tuer devant les convives et de danser comme les autres couples. Ils ne formaient pas un mauvais duo mais la crispation d'Alaman et la rage qui émanait de la princesse poussaient les autres à s'écarter instinctivement.
Alors que le jeune chevalier dansait près d'une des fenêtres, un éclair déchira le ciel. Il était gigantesque et d'un blanc aveuglant. Il dura une seconde et Aymeric fronça les sourcils. Il avait fait beau toute la journée, pourquoi tonnait-il subitement ? Était-ce un éclair de chaleur ? Il haussa les épaules et constata que les invités n'avaient pas prêtés attention au phénomène. Peut-être était-ce normal dans les montagnes, à cette altitude. Il se promit de demander au prince dès le lendemain.
Quand l'orchestre finit par se taire, il était déjà tard dans la nuit et la plupart des convives étaient partis. Lysange se trouvait à nouveau dans les bras d'Aymeric et ils dansèrent l'un contre l'autre, bercés par les accords d'un violon solitaire. Quand ce dernier se tut, ils s'embrassèrent et le musicien les applaudit. Ils partirent avec les derniers fêtards, tandis que les serviteurs débarrassaient déjà les tables.
- Je suis épuisée, déclara Lysange. Je vais bien dormir ce soir.
Pour sa part Aymeric n'avait pas sommeil. Il débordait d'énergie, galvanisé par l'ambiance de la fête. Il raccompagna son aimée jusqu'à sa chambre et l'embrassa en lui souhaitant bonne nuit. Il serait bien rentré avec la jeune femme mais elle avait besoin de repos, pas d'une étreinte romantique. Seul dans le couloir plongé dans la pénombre, il se mit en quête de la bibliothèque dont il retrouva facilement le chemin. Il s'empara d'une lanterne posée sur une table en bois et l'utilisa pour parcourir les rayonnages. Il attrapa un ouvrage qu'il avait repéré plus tôt dans la journée et s'installa dans un fauteuil, la lanterne posée sur une table à côté de lui. Il se plongea dans l'histoire du royaume des Dragons, riche et captivante.
Il était au cœur du chapitre relatant la deuxième invasion des sylphes sur le territoire et la stratégie d'attaque de la reine Omphale pour les repousser quand un toussotement discret et gêné le tira de sa lecture. Il leva les yeux de sa page en posant un doigt sur la ligne afin de ne pas la perdre. Son étonnement fut total quand il découvrit le roi face à lui. Le portrait qu'Aymeric avait vu lui ressemblait à merveille et le jeune homme s'interrogea sur la présence du roi dans la bibliothèque à une heure aussi avancée. Il n'osa pas prendre la parole le premier et le monarque ne se décidait pas non plus. Ils s'observèrent en silence.
- Bonsoir, dit finalement le régent.
Le jeune homme posa son livre et se leva pour effectuer une courbette polie :
- Bonsoir sire.
- Allons, relevez-vous.
Aymeric obéit et conserva une posture droite, les mains dans le dos. Il dépassait le roi d'un ou deux centimètres et ce dernier le fit remarquer par un :
- Je m'attendais à ce que vous soyez moins grand.
Le chevalier ne sut pas comment interpréter cette remarque et préféra conserver le silence. Le roi poursuivit en lui tournant le dos pour observer les livres entreposés sur les étagères :
- Je m'excuse de vive voix de ne pas avoir été présent aujourd'hui. J'ai préféré une obligation à une autre et je vous ai négligé. Deux fois.
- Ce n'est rien. Le prince Ezimaël a été un très bon hôte.
- J'ai appris ce qui lui était arrivé lors de la réception. Merci d'avoir réagi aussi vite.
- C'est tout naturel.
Ils conservèrent le silence et Aymeric songeait à un moyen de se retirer poliment quand le souverain demanda :
- Vous aimez les livres ?
- Oui. Je lis énormément, sur tous les sujets existants.
- Laissez-moi deviner...Vous avez une petite préférence pour les récits historiques et guerriers, n'est-ce pas ?
Bien qu'étonné, le jeune homme fit oui de la tête et le roi sourit en pointant l'ouvrage qu'Aymeric lisait un peu plus tôt :
- Alors vous avez fait un excellent choix. L'auteur est à la fois un illustre historien et un bon narrateur.
- Oui, je l'ai remarqué. Ses descriptions sont très précises et objectives mais il ajoute souvent une petite pointe de légende, commenta Aymeric.
- C'est exact. Cette bibliothèque vous plaît ?
- Elle est plus grande que celle du palais des gardes.
- Dans ce cas, n'hésitez pas à emprunter les livres que vous désirez durant votre séjour, dit le roi.
- Merci pour cette généreuse proposition votre majesté.
Le monarque soupira et déclara :
- Laissons tomber les marques de politesse, voulez-vous ? Appelez-moi Médéril et je vous appelle Aymeric. Abandonnons aussi le vouvoiement. Nous sommes entre nous, pas à la cour.
- Très bien, accepta le jeune homme.
Il était un peu troublé par la familiarité du roi puis se souvint qu'Ezimaël s'était comporté de la même manière un peu plus tôt. Ça devait être coutumier dans cette famille.
- J'ai entendu dire que tu aimais te battre à l'épée, ajouta le roi.
- Vous êtes bien renseigné.
- Tu ne comptes pas laisser tomber le vouvoiement ?
Aymeric eut un sourire d'excuse et répondit :
- C'est l'habitude.
- Je sais qu'il est tard et que tu doit être exténué mais...Que dirais-tu d'un duel ?
L'intérêt du chevalier dragon se réveilla en une fraction de seconde. Un duel ? Contre le roi ? Il jaugea son adversaire du regard. Il avait la quarantaine mais devait conserver de bons réflexes avec sa corpulence encore musclée. Il possédait sans doute une formation militaire en tant que dirigeant, ce qui rendrait l'affrontement digne d'intérêt. Aymeric ne put s'empêcher de sourire.
- Je ne dis jamais non à un duel.
- A la bonne heure ! s'exclama le monarque. Suis-moi, je connais l'endroit idéal pour les affrontements.
Le roi quitta la bibliothèque d'un pas plein d'entrain et Aymeric s'empressa de le suivre après avoir rangé le livre qu'il lisait à son emplacement. Ils effectuèrent un crochet par la chambre d'Aymeric afin qu'il récupère son épée et quittèrent le palais pour se rendre dans la cour de graviers blancs où trônait fièrement la statue de Praeslia. Elle était éclairée par des torches plantées le long des allées. En dehors d'eux, personne ne se trouvait dans les parages.
- C'est ici que je m'entraînais avec mon jeune frère Liwen et mon maître d'arme, expliqua le régent avec nostalgie. J'ai l'impression que c'était dans une autre vie...
Il tira son épée de son fourreau et la dressa face à Aymeric.
- Mais trêve de pleurnicheries ! En garde jeune homme !
Le sourire d'Aymeric s'élargit et il sortit sa lame à son tour. La posture du roi était parfaite, sans faille. Il pressentit un affrontement de taille et son sang s'échauffa dans ses veines. Il avait hâte d'attaquer mais examina d'abord prudemment son adversaire. Le monarque fit de même et ils demeurèrent longtemps l'un en face de l'autre. Le souverain du royaume des dragons attaqua le premier. Avec une rapidité qui prit Aymeric de court, il combla la distance. Le chevalier para son coup à la dernière seconde et leurs épées s'entrechoquèrent.
Le fracas se répercuta dans le jardin silencieux comme un coup de tonnerre. Le roi assaillit son jeune opposant d'attaques précises et puissantes. Tout en parant, Aymeric vit une stratégie s'imposer à lui. Il fit mine de se laisser submerger peu à peu pour que le souverain gagne en confiance. Il bloquait chaque attaque au dernier moment et reculait centimètre par centimètre. Il prit son temps pour le faire afin de ne pas éveiller les soupçons de son adversaire. Croyant Aymeric en danger, le roi tenta un mouvement plus audacieux que les autres et c'est là que le jeune homme répliqua. Il fracassa son épée contre celle du roi. L'onde de choc remonta dans tous son bras et accentua son envie de vaincre. Surpris par ce regain d'énergie, le roi effectua un pas vers l'arrière. Il était déstabilisé mais cela ne dura qu'une seconde. Son visage redevint vite serein.
Ils attaquèrent simultanément, se dégagèrent puis repartirent à l'attaque. Aymeric admira le style de combat gracieux du monarque qui paraissait danser et ne dégageait aucune combativité agressive. Ils tournoyèrent dans le jardin de longues minutes en échangeant une multitude de coups d'épée sans que l'un arrive à prendre le dessus sur l'autre. L'intensité et la richesse de leur affrontement faisaient vibrer Aymeric des pieds à la tête et une vague d'adrénaline le traversa. Il se propulsa vers le roi avec une vitesse redoublée et leva son épée face à lui pour lui laisser imaginer une attaque frontale. Sauf qu'il s'esquiva au dernier moment et se glissa dans le dos du monarque. Il posa la pointe de sa lame entre les omoplates de son adversaire, qui n'avait pas eu le temps de se retourner pour se protéger. Le vaincu leva les bras en signe de reddition, essoufflé. Ils rangèrent leurs armes et se saluèrent en s'inclinant.
- Voilà des années que je n'avais pas vécu un duel à l'épée aussi intense, commenta le roi. Tu es vraiment talentueux.
- Vous n'avez rien à m'envier, votre technique est proche de la perfection.
- Tu penses que je dois encore améliorer certains aspects ? demanda le souverain avec un sourire en coin.
- Il y a toujours quelque chose à améliorer, se contenta de répondre Aymeric.
- Dommage que tu ne sois que de passage sinon je t'aurais demandé de me donner des cours !
Le jeune homme s'imagina avec amusement enseigner à cet homme deux fois plus âgé que lui.
- Si vous tenez vraiment à ce que nous recroisions le fer, vous pouvez toujours rendre une petite visite au roi d'Ondre ou au palais des gardes, suggéra t-il.
- Pour te dire la vérité, c'est dans mes projets de m'y rendre prochainement. Peut-être que je pourrais t'y rencontrer à nouveau si tu n'es pas en visite chez ta famille car il me faudra un guide.
- Alors ne cherchez pas plus loin. Je suis toujours au palais des gardes. De toute façon, je n'ai pas de famille.
Le roi sembla embarrassé et formula sa phrase autrement :
- Je voulais dire des gens ou un foyer qui fait office de famille même si vous n'êtes pas liés par le sang.
- Je n'ai que le palais des gardes, insista Aymeric. J'ai passé une bonne partie de mon enfance dans la rue et avant...je ne me souviens plus vraiment. J'étais trop jeune mais je sais que je n'étais pas bien traité.
- Dans la rue ?! s'exclama le souverain en écarquillant les yeux.
Sa surprise n'avait rien d'étonnant. Il devait se demander comment un gamin tiré du caniveau pouvait bien être devenu chevalier dragon.
- Racontez-moi, exigea t-il.
Aymeric se plia à sa volonté. Après tout, il était ici pour conserver la bonne entente entre Alembras et le royaume des dragons. Si pour cela il était nécessaire de raconter sa vie au roi alors il se plierait à cette légère contrainte sans broncher. Tout en déambulant dans les jardins à ses côtés, le monarque l'écouta avec attention narrer son arrivée à Ondre, sa rencontre avec les autres orphelins, son apprentissage pour survivre dans la rue jour après jour, certains de ses plus grands méfaits, sa décision de voler dans le palais royal, son accident avec l'œuf, la naissance d'Hydronoé, son voyage jusqu'au palais des gardes, son entraînement et les événements qui avaient suivi. En achevant son récit, Aymeric avait la bouche sèche d'avoir trop parlé et le souverain conserva un silence presque soucieux.
- Tu n'as pas eu la vie facile, dit-il finalement.
- Elle n'était pas si mauvaise. Et c'est grâce à elle que je suis la personne que vous voyez aujourd'hui. Si j'avais emprunté un autre chemin, les choses seraient sans doute différentes. J'ai souffert par moments mais je ne voudrais pas échanger cette existence contre une autre.
- Des paroles sages dans la bouche d'un homme si jeune...Tu n'es pas commun Aymeric, je suppose que je ne suis pas le première à te le dire. Bien, tu dois en avoir assez de tenir la conversation à un roi borné qui n'a pas l'air de vouloir aller se coucher. Va donc te reposer et merci de m'avoir accordé de ton temps.
- Tout le plaisir était pour moi majesté, dit Aymeric d'un signe poli de la tête.
Il commença à s'éloigner quand le monarque le rappela :
- Aymeric, une dernière chose ! J'aimerais te parler en privé dans mon cabinet de travail, demain matin. Viens me voir dès que tu seras levé, c'est important.
Le chevalier hocha la tête. Cela devait concerner une affaire entre les deux royaumes et le souverain voulait en discuter à tête reposée et sans qu'on vienne les importuner. Curieux de savoir de quoi il s'agissait, Aymeric s'empressa de regagner sa chambre pour dormir.

Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant