La forte luminosité du soleil ainsi que la chaleur qui commençait à monter du sol le réveillèrent. Gébald remuait lui aussi, prêt à sortir des brumes du sommeil. D'après l'avancée de l'astre incandescent dans le ciel, midi ne tarderait pas.
- Enfin réveillés ? demanda une voix que Zacharie connaissait bien avec amusement.
Le chevalier dragon se tourna vers son meneur qui attendait assis en tailleur à côté des restes du feu. La voix d'Aymeric ramena Gébald dans la réalité et il se réveilla dans un sursaut, en s'écriant :
- Désolé pour être partis hier soir sans avoir rien dit !
Aymeric leva une main en signe d'apaisement et déclara :
- Nous en parlerons plus tard. Levez-vous et rangez vos affaires. Les autres sont déjà devant le campement et la caravane est repartie.
- Ils ont été rapides, nota Gébald.
- En effet. Je n'avais jamais vu un chariot être déchargé aussi vite, approuva Aymeric. Mais ce n'est qu'un détail. Dépêchez-vous, il ne manque que vous et le chef du clan n'acceptera de nous recevoir que lorsque nous serons tous là.
Zacharie et Gébald plièrent bagage en une poignée de minutes et emboîtèrent le pas à Aymeric, qui paraissait pressé de rejoindre les autres. Zacharie ferma la marche et veilla à bien demeurer derrière eux pour n'avoir à fixer que le dos de son jumeau et pas le campement des Hérances qui se profilait à l'horizon. Malheureusement ils finirent par arriver et Gébald ne resta pas dans son champ de vision. Il grimaça en constatant que rien n'avait changé.
Les tentes couleur sable, orangé ou rouge s'alignaient toujours pour former des allées parfaites. Les quatre chemins principaux, plus larges que les autres, se rejoignaient au centre du camp pour former un carrefour où brûlait chaque soir le feu de camp.
Des soldats en pantalon de toile beige avec une ceinture de cuir marron garnie de poignards montaient la garde près de ses amis. Leur torse nu était peint avec de l'argile blanche pour les camoufler dans le désert et il portait la traditionnelle lance à deux têtes, une à chaque extrémité.
Il n'y avait que les guerriers ayant achevé leur formation militaire qui en possédait une en fer. Les apprentis s'armait avec une lance en bois jusqu'à la cérémonie de passage à l'âge adulte.
- Nous sommes tous là, annonça Aymeric en s'inclinant.
- Ce n'est pas trop tôt. La prochaine fois veillez à ce que vos troupes ne s'éparpillent pas.
La voix de l'homme qui venait de parler donna des sueurs froides à Zacharie qui se paralysa, la respiration brusquement sifflante. Ainsi donc le doyen des Hérances était toujours le même. Quel était son nom déjà ? Si ses souvenirs ne lui faisaient pas défaut, il s'agissait de Garas. Garas Naruz. C'était étonnant : les chefs de son clan ne vivaient jamais très vieux et se succédaient rapidement car ils mourraient en combattant les pillards.
Qu'il soit toujours en vie n'enchantait pas Zacharie, loin de là. Il essaya de se rassurer en se disant qu'il avait bien changé après toutes ces années et qu'on ne le reconnaîtrait probablement pas. C'était sans compter sur Aymeric qui les présenta un par un. Il regarda la main de son ami passer d'un chevalier dragon à un autre tout en nommant le désigné puis finalement s'arrêter sur lui.
- Et Zacharie Silas.
La réaction du doyen fut celle à laquelle le jeune homme à la peau sombres'attendait. Le vieil homme d'une soixantaine d'années écarta Gébald et Hydronoé qui masquaient Zacharie et se planta devant lui. Il l'examina de la tête aux pieds et le dégoût se peignit sur son visage.
- Toi, cracha t-il. Welkmamo.
Zacharie ne répondit rien. De toute façon il ne pouvait pas, sa gorge était bien trop nouée. Cela faisait des années que ce mot n'avait pas heurté ses oreilles. Welkmamo, le démon humain. C'est ainsi que les Hérances le voyaient.
Il trouva la force de s'incliner respectueusement face à cet homme qui lui avait fait tant de mal par le passé. Il se devait d'être irréprochable pour faire honneur à Alembras et à la réputation de son armée.
- Tu ne devrais pas être ici, poursuivit le doyen d'un ton venimeux.
- Un problème ? intervint Aymeric.
- Oui. Je ne veux pas de ce démon dans mon campement : il va pervertir mes hommes.
Aymeric croisa les bras et haussa les sourcils, signe que ce qu'il entendait ne lui plaisait pas. Il conserva son calme et demanda :
- Puis-je savoir en quoi un de mes compagnons représente un risque pour les vôtres ?
- Vous l'ignorez ? Ici nous le surnommons Slev Anki : mauvais œil. Il apporte le malheur partout où il passe, sans parler de sa sexualité malsaine.
Tous les chevaliers dragons pivotèrent vers Zacharie qui prit sur lui pour ne pas baisser honteusement le regard. Il l'avait caché à ses amis mais il savait que son secret se serait ébruité un jour où l'autre. Il était différent mais il l'assumait, ça ne lui faisait pas peur. Il ne pouvait pas lutter contre ça alors il l'avait accepté au lieu de le repousser.
- De quoi est-ce qu'il parle Zacharie ? l'interrogea Aymeric.
- Vous ne savez même pas comment sont les soldats qui composent votre équipe ? demanda Garas avec un mépris évident. Sa faute est gravée dans sa chair.
- Quelle faute ? insista leur meneur qui commençait à perdre patience.
- Il n'aura qu'à vous l'expliquer. Il peut déambuler où bon lui semble dans le camp, tant qu'il n'entre pas dans une tente, mais il ne dort pas ici. Je veux qu'il se tienne à l'écart ou je vous renvois.
Aymeric s'apprêta à protester, hors de lui, mais Zacharie lui posa une main apaisante sur l'épaule de son ami et dit :
- J'accepte de me plier à cette règle. Pour le bien du groupe.
Le demi-dieu serra les dents et ravala sa colère. Le doyen les invita à le suivre. Gébald marcha aux côtés de son jumeau et murmura :
- Courage, je suis avec toi.
- Merci mon frère.
- Pas de quoi. Tu ne dormiras pas tout seul ce soir : je refuse de te laisser alors qu'ils ont clairement une dent contre toi. Qui sait ce qu'ils pourraient faire...
- De sales rumeurs vont courir sur toi, le prévint Zacharie.
Son jumeau haussa les épaules avec un sourire en coin.
- Peu importe. Ils ne me font pas peur. Je préfère encore qu'on parle dans mon dos plutôt que de te savoir en danger.
Zacharie fut rassuré par ces paroles. En toute honnêteté, l'idée de dormir en marge du campement ne l'enchantait pas. Il serait très exposé, seul et vulnérable. Beaucoup dans le camp aurait aimé le voir mort mais il était interdit de tuer un membre de sa tribu. La sanction la plus grave était l'exil dans le désert et l'interdiction de revenir sous peine d'être tué à vue.
Si Zacharie bénéficiait d'un traitement de faveur ce n'était pas à cause de la grande bonté d'âme du doyen mais plutôt parce qu'il venait en tant qu'ambassadeur. Garas ne voulait pas risquer de s'attirer les représailles d'un royaume aussi puissant qu'Alembras.
Voilà pourquoi Zacharie vivait encore et pouvait se permettre de marcher dans le campement. Cependant, quand ils arrivèrent face à la grande tente du doyen, ce dernier le foudroya du regard et aboya :
- Reste dehors.
Zacharie se résigna et obéit tandis que ses compagnons lançaient des regards indignés au vieil homme. Le chevalier dragon à la peau sombre se plaça devant la tente et attendit, une main sur son épée et l'autre sur un de ses poignards. Ceux qui passaient lui lançaient le plus souvent des regards intrigués car ils ne le reconnaissaient pas. Mais quelqu'un ne se fit pas avoir par les transformations que l'âge avait opéré sur son physique.
Une femme qui passait avec une jarre de terre cuite remplie d'eau sous le bras s'arrêta en le découvrant près de la tente du doyen. Elle était plus vieille que dans les souvenirs de Zacharie, sans grand étonnement. Ses cheveux noirs étaient striés de mèches grises et des rides commençaient à sillonner sa peau sombre. Ses yeux noirs comme les siens s'écarquillèrent d'étonnement et de frayeur mêlées. Sa bouche épaisse s'ouvrit et de se referma comme si elle suffoquait ou cherchait quoi dire puis elle s'en alla à vive allure en regardant droit devant elle. De toute façon, sa tante ne l'avait jamais aimé.
Déjà lors de ses premières années de vie elle rechignait à s'occuper de lui et l'avait renvoyé de chez elle au premier prétexte. Et personne n'avait bronché. La connaissant, elle allait répandre la nouvelle de son retour dans tout le camp.
A la nuit tombée tous se souviendraient de qui il était et de pourquoi on l'avait condamné à l'exil. Il se prépara à recevoir des pierres, à être insulté et pointé du doigt. Il espéra que ces mauvais traitements ne se répercuteraient pas sur ses amis par sa faute.
Ses compagnons sortirent de la tente après un temps qui avait paru une éternité à Zacharie. La colère flamboyait toujours dans les yeux glacés d'Aymeric et les autres demeuraient vivement contrariés. Ils conservèrent leur politesse d'ambassadeur avec un effort visible face à Garas. Le doyen leur montra les tentes dans lesquelles ils dormiraient, juste en face de la sienne.
- Et celle de Zacharie ? osa le questionner Gébald.
- Il n'y qu'à coucher dans celle où nous mettons nos malades en quarantaine. Elle est déserte en ce moment et en retrait du campement. S'il ne se souvient pas d'elle, elle est située juste à côté de celle réservée aux châtiments pour les éléments perturbateurs. Tu dois t'en rappeler, n'est-ce pas Welkmamo ?
Zacharie ne lui fit pas le plaisir de répondre et se contenta d'un hochement sec de la tête.
- Si vous avez besoin de quoi que se soit, n'hésitez pas à vous adresser à l'un des nôtres, dit Garas à Aymeric. Ils se feront un plaisir de vous aider.
Pour tous sauf Zacharie mais le vieil homme se garda bien de le dire. Garas s'éloigna d'un pas vif et Ourania déclara :
- Il est étrange. Avec nous il se montre aimable tandis qu'il est imbuvable avec Zacharie.
- Tu as fait quelque chose pour le contrarier par le passé ? demanda Lysange.
- En quelque sorte. Disons que certains aspects de ma personne leur déplaisaient.
Ses amis ne dirent plus un mot mais Zacharie vit dans leurs yeux qu'ils exigeaient des réponses, qu'ils ne se contenteraient pas de cette explication évasive.Il soupira en raffermissant sa prise sur le poignard passé à sa ceinture, pour se donner du courage. Il ne pouvait plus se cacher. Son cœur cognait douloureusement dans sa poitrine compressée par le poids des émotions. Les mots sortirent précipitamment, avant que la crainte du jugement l'empêche de s'exprimer :
- Je suis homosexuel.
Même s'ils poussèrent un cri de surprise en le considérant avec incrédulité, ils ne réagirent pas comme l'avait fait les Hérances. Il chercha du dégoût, la moindre trace de répulsion chez ses amis. Ils paraissaient seulement sous le choc de la nouvelle, pour le moment.
Seul Gébald, qui était déjà au courant, l'encouragea avec un sourire calme et fier. Le moral de Zacharie remonta un peu. Si son jumeau le soutenait alors que le reste du monde le détestait, tout allait bien. Le soutien de Gébald valait plus que toutes les richesses d'Amaris.
- Donc...Tu aimes les hommes ? demanda Aymeric, mal à l'aise.
- Finement observé, se moqua Gébald.
- Mon clan l'a découvert lorsque j'étais encore enfant et m'a exilé dans le désert. Ici ce type de sexualité est encore plus sanctionnée et critiquée qu'ailleurs. J'ai eu de la chance dans mon malheur car sans ça je ne vous aurais jamais rencontré mais ce n'était pas un moment très agréable, comme vous pouvez l'imaginez, expliqua Zacharie.
- Les tribus du désert ont des traditions et des mentalités bien différentes des nôtres, en bien comme en mal, marmonna Ourania.
- Tu devrais rester avec l'un de nous en permanence pendant que nous sommes ici, suggéra Aymeric. Je n'aime pas la façon dont il te parle quand tu es à nos côtés donc je préfère ne pas penser à ce qui se produirait si tu étais seul.
- Comptez sur moi pour ne pas l'abandonner, déclara Gébald en se postant à ses côtés. Je suis son frère, c'est mon rôle de le protéger.
Le jeune homme à la peau noire cacha difficilement son sourire. En toute logique c'était lui l'aîné comme il avait donné la vie à Gébald. Mais, comme toujours, son jumeau se considérait comme celui qui devait veiller sur lui envers et contre tous.
- Vous voulez que je vous montre les lieux ? proposa Zacharie qui n'en pouvait plus de demeurer sans bouger.
Ses amis acceptèrent son idée et ils déambulèrent dans le camp en formant un cercle protecteur autour de lui, le camouflant au regard des Hérances. Cette escorte apaisa l'appréhension de Zacharie. Ses compagnons l'acceptaient, ils le protégeaient. Son secret n'avait pas brisé son existence une seconde fois, on tolérait sa différence au lieu de la condamner. Il mourrait d'envie de les remercier car ils lui permettaient d'exister tel qu'il était.
Il partagea avec eux ses connaissances sur la vie quotidienne des Hérances et sur l'aménagement du campement. Il leur montra la zone des puits et leur expliqua le système de couleur des tentes : sable pour les non-guerriers, orangé pour les apprentis ou les femmes célibataires, rouge pour les guerriers et leur famille. Ils virent un enclot avec quelques bêtes, notamment des chameaux et deux chevaux.
- Tiens, c'est donc là que sont les chevaux des faux ambassadeurs se trouvaient, fit remarquer Ourania.
- En parlant d'eux, que sont-ils devenus ? les interrogea Zacharie.
- Ils ont essayé de pénétrer dans le camp la nuit en fonçant avec leur monture et les Hérances les ont abattu, résuma la dragonne d'air. Le doyen nous a avoué avoir brûlé les cadavres et tous leurs effets personnels quand ils ont découvert qu'il s'agissait de démons du désert. La menace d'une invasion à partir du désert est écartée.
Enfin une bonne nouvelle ! Les habitants du sud d'Amaris ne risquaient plus rien même si la réussite de leur mission était due aux Hérances. Il faillit demander pourquoi ils ne repartaient pas dès aujourd'hui mais Aymeric le devança :
- Le doyen aimerait que nous dînions dans sa tente ce soir.
Zacharie grimaça car le «nous» l'excluait. Garas ne le laisserait jamais poser un orteil dans sa tente. Il mangerait donc dans la sienne, à l'écart. Chez les Hérances, les membres du clan ne se réunissaient pour partager un repas collectif que lors des grandes occasions comme un mariage, une mort, une victoire militaire, le passage à l'âge adulte des jeunes hommes ou les exécutions publiques.
Il se prépara à affronter le dîner seul et se dit que ce n'était que quelques minutes de sa vie. Quelques minutes de sa vie dans un lieu qu'il détestait et qui le détestait en retour. Mais il avait vécu bien pire.
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Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du monde
FantasyAymeric est à présent un chevalier dragon. Lui et ses compagnons doivent endosser leurs responsabilités et effectuer leur première mission : une visite diplomatique au royaume des dragons. Mais la mission prend une tournure inattendue et une suite d...