Chapitre 21 : La dureté du nord

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Ils arrivèrent au camp après une heure de marche dans la neige. Les grandes tentes en peau se dressaient au milieu de la plaine enneigée, non loin d'une minuscule forêt de pins. Alaman en dénombra bien plus que dans son souvenir. Une grand feu de camp brûlait au centre avec une marmite suspendue au-dessus des flammes. Des chasseurs et des femmes s'affairaient autour et des bols fumants circulaient de main en main. L'effervescence cessa quand les étrangers arrivèrent, escortés par Irven.
- Nous avons des invités ce soir, annonça le chef. C'est peut-être exceptionnel mais ça ne doit pas vous empêcher de vivre.

Il alla s'asseoir lourdement sur un banc en bois face au feu et siffla son loup, qui se coucha à ses pieds. Irven fit signe à Alaman de le rejoindre et le jeune homme obéit en soufflant à ses amis :
- Installez-vous aussi autour du feu. C'est un moyen de se joindre à la vie de la communauté. Si on vous sert à manger, ne refusez pas. Ça serait mal vu.
Il les laissa sur ces mots pour prendre place près du chef. On leur donna un bol de soupe fumante et Alaman le mangea de bon cœur. Ses amis, assis non loin, l'imitèrent. Quand tout le clan se trouva assis en cercle autour du feu, Irven demanda le silence. Il posa une main sur l'épaule d'Alaman et déclara :
- Mes amis, j'ai ici un homme qui a pour mission de nous transmettre une information importante. Je vous prie d'ouvrir les oreilles et de prêter la plus grande attention à ses dires.
Le rouquin se leva, encouragé pour le silence de l'assemblée. Il s'éclaircit la voix et dit avec toute la conviction dont il était capable :
- Des monstres avec l'apparence humaine d'ambassadeurs d'Alembras sont quelque part dans les contrées du nord. Ils transportent avec eux des sacs plein d'œufs noirs. Nous pensons qu'ils vont tenter de lancer une invasion en contaminant les tribus une à une. Ils sont deux et à cheval, vêtus de l'uniforme officiel d'Alembras. Il est probable qu'ils soient surtout actifs la nuit. Il faut les arrêter à tout prix et détruire ce qu'ils transportent pour que ce fléau ne se répande pas.
Des murmures enflèrent dans l'assemblée et Irven les fit taire en levant le poing.
- Quel genre de monstre ? demanda t-il avec gravité. D'où viennent-ils ? A quoi ressemblent-ils ?
- Des créatures mi-humaines, mi-insectes. Ils se dissimulent sous une apparence humaine mais si on les blesse, leur sang est presque noir. Ils ont commencé à envahir la montagne du sud avant d'envoyer certains d'entre eux vers le nord et le sud avec des œufs, précisa Alaman.
- Ils sont passés par ici, dit soudainement un homme. En chassant il y a deux jours, j'ai vu des cavaliers galoper en direction des terres glacées.
- Pourquoi ne pas les avoir arrêtez ? demanda Lisbeth.
- C'était des cavaliers de passage ma belle. Je n'avais pas de raison de m'en prendre à eux. En plus ils courraient droit vers la mort, vers les terres des Valseryes.
Les membres du clan eurent une grimace presque machiavélique.
- S'ils comptent commencer leur invasion chez les Valseryes, ils sont déjà morts, conclut Irven.
Alaman se sentit satisfait. Il y a deux jours...Deux petites jours. Les démons du désert n'étaient pas loin, ils pouvaient les rattraper ! Le jeune homme se rassit une fois son annonce achevée et les conversations reprirent peu à peu. Plus que quatre clans à prévenir et pas les plus pacifistes ! Alaman parla longuement avec Irven du bon vieux temps. Un cri les interrompit au beau milieu de leur conversation. Lisbeth se leva d'un bond en giflant un jeune homme.
- Bas les pattes espèce de pervers ! hurla t-elle.
- C'est bon ma belle, sois pas si froide ! Toi et moi on peut passer du bon temps, dit celui aux mains baladeuse en essayant de la saisir par la taille.
Elle se dégagea enserrant les poings le long de son corps. Des hommes éclatèrent d'un rire gras mais le petit jeune ne se découragea pas, au contraire. Il se leva et saisit la princesse par le poignet.
- Tu devrais intervenir, lui conseilla Irven.
- C'est une grande fille, elle est capable de se débrouiller seule.
Ses dires se confirmèrent quand le jeune homme trop insistant se retrouva le nez dans la neige. Les amis de ce dernier éclatèrent de rire et la princesse alla se piquer face à Alaman. Elle s'écria :
- Dis donc, tu comptais simplement observer en souriant ou intervenir à un moment ?
- Tu te débrouilles très bien sans moi, répliqua le rouquin.
Elle essaya de le gifler mais il bloqua le coup sans se défaire de son sourire. Il se leva, lui faucha les jambes et la maintint au sol. Elle se débattit en l'insultant de tous les noms et Alaman cria à l'assemblée :
- Désolée, elle est un peu sauvage.
- Espèce d'enfoiré ! s'époumona Lisbeth en se ruant de plus belle.
Il se pencha vers son oreille et murmura :
- Arrête de te faire remarquer ! Tu as de la chance qu'ils soient de bonne humeur.
- Alors quoi ? siffla t-elle. Je dois me laisser tripoter comme une vulgaire prostituée ?
- Repousse-les un peu moins rudement. Les Kerks sont calmes mais si tu t'avises de faire ce coup à un Yul, un Istar ou un Polvar. Ils vont vouloir se venger et crois-moi tu n'aimerais pas vivre ça, la prévint Alaman.
- Alors quoi ? Tu veux que je sois une mignonne petit femme et que je me plie aux désirs de ces messieurs ? Tu n'as rien de mieux à me proposer ? s'énerva t-elle.
- C'est ça ou tu te fais passer pour ma fiancé.
Il s'attendit à ce qu'elle hurle mais au lieu de ça elle déclara :
- D'accord.
Il était si surpris qu'il relâcha la pression sur Lisbeth qui se releva en époussetant ses vêtements pour les débarrasser de la neige. Elle le releva brutalement et se plaqua contre lui en roucoulant :
- Chéri, tu n'es vraiment pas gentil. Laisser ta petite femme dans une telle situation, tu es vraiment peu soucieux de mon bien-être.
Firenza écarquilla les yeux et Brazidas s'étouffa avec sa soupe. Le jeune homme qui avait tenté de la séduire se remit sur ses pieds et s'excusa avec affolement :
- Désolé, j'ignorais que vous étiez ensemble ! Je ne voulais pas faire affront à votre femme !
- Il n'y a pas de mal, dit Alaman. Elle a son petit tempérament et se défend très bien sans moi. Pas vrai, chérie ?
Il insista sur le dernier mot en passant un bras possessif autour de la taille de la princesse. Il pressa un peu sur le diaphragme de la jeune femme pour la faire suffoquer et elle lui flanqua discrètement un coup dans les côtes. Irven glissa au jeune homme :
- Je croyais que vous deux n'étiez pas...
- Nous ne sommes pas, murmura Alaman. Ce n'est que temporaire, une mesure de précaution. Pour vos hommes.
Irven lui chuchota d'un ton résigné :
- Bon courage.
Alaman se rassit sur le banc et Lisbeth s'installa sur ses genoux. Il serra les dents tandis qu'elle s'appuyait sur lui avec outrance en passant un bras autour de ses épaules. Elle allait le payer, elle allait le payer ! Il se força à rester calme jusqu'à l'heure de dormir.
Les Kerks regagnèrent leurs tentes et Irven les dirigea vers celles réservées aux invités. Alaman adorait les tentes des Kerks. Le sol était dégagé de neige et tapissé de pierres plates. Un feu occupait le centre de la tente autour duquel des matelas couverts de fourrures chaudes étaient disposés. Alaman quitta ses bottes et son manteau et son pull épais, ne conservant que son pantalon. Il s'affala sur le matelas avec un soupir d'aise. Firenza s'installa dans l'autre lit, le plus grand. Il l'avait laissé exprès pour elle. Il commençait à s'endormir quand on lui flanqua un coup dans les côtes. Il ouvrit un œil en grognant et sursauta en découvrant Lisbeth debout à côté de son lit.
- Qu'est-ce que tu viens faire là ? Retourne dans ta tente !
- Hors de question. Il y a des hommes qui tournent autour. Brazidas et moi dormons ici ce soir. Pousse-toi, ordonna t-elle.
- Va dormir avec ton frère et fiche-moi la paix.
- Trop tard, il s'est déjà installé avec Firenza. Maintenant fais-moi de la place, je meurs de sommeil.
Non mais il rêvait ? Elle croyait vraiment qu'il allait se pousser et la laisser dormir avec lui ? Plutôt mourir ! Il s'étala en étoile de mer sur le matelas. Elle grogna et au lieu de s'en aller, elle se laissa tomber comme une masse sur le jeune homme. Celui-ci poussa un cri de surprise et de douleur avant de crier :
- Espèce de folle!
- Gros sac ! répliqua t-elle.
- Va dormir dehors !
- Jamais de la vie !
- Vous ne pouvez pas la fermer ? grogna Brazidas.
- On voudrait dormir ! ajouta sa sœur.
- Cette timbrée m'écrase ! protesta Alaman.
Sa jumelle grommela une réponse, tout comme Brazidas. Les dragons dormaient déjà sur leurs deux oreilles. Il n'avait pas le choix. Il fit basculer Lisbeth sur le côté et se coucha de manière à être le plus loin possible d'elle. Elle en fit de même et tira la couverture, dénudant le torse du rouquin. Alaman soupira et décida de ne pas se battre. Il était fatigué et la chaleur des flammes lui suffisait amplement.
Ils quittèrent les Kerks le lendemain, après un déjeuner autour du feu composé de fruits secs et de galettes de blé et un petit entraînement avec les jeunes chasseurs. Ils s'affrontèrent au combat en corps à corps, une spécialité d'Alaman. Ils étaient bons mais pas encore à son niveau. Après avoir combattu Aymeric des centaines de fois, aucun adversaire n'était assez fort pour lui. Ils arrêtèrent quand le petit groupe relaya les anciens pour partir chasser toute l'après-midi.
Quand l'heure du départ arriva, Alaman salua Irven et lui promit de revenir le voir dans peu de temps. Ils regagnèrent l'endroit où ils avaient laissé les sacs et les selles et patientèrent jusqu'à la tombée de la nuit. Jamais Alaman n'avait été aussi content de repartir. Faire passer Lisbeth pour sa femme. Mais qu'est-ce qui lui était passé par la tête ? C'était la plus mauvaise idée de l'histoire du monde. Ils volèrent toute une grande partie de la nuit et se posèrent avant le lever du jour. Restait à savoir sur le territoire de qui ils venaient d'atterrir.
- Restons groupés et sur nos gardes, dit-il. C'est à partir de maintenant que les choses sérieuses commencent.
- Chez qui sommes-nous ? l'interrogea Brazidas.
- Impossible de le savoir. Il va falloir chercher. Brazidas et Firenza, regagnez le ciel. Vous guetterez des humains ou des campements depuis les cieux et nous transmettrez les information grâce au lien. Désormais il vaut mieux que vous conserviez votre apparence de dragon sinon nous devrons abandonner l'équipement trop lourd. C'est d'accord ?
Ils ne s'opposèrent pas à sa décision et décollèrent malgré la fatigue, laissant leurs jumeaux humains au sol.
- Ne restons pas plantés là, sinon nous allons mourir de froid. Marche dans mes traces, tu te fatigueras moins vite.
Ils entamèrent leur marche dans la neige qui dura moins de temps qu'Alaman l'escomptait. Firenza lui dit grâce au lien :
Un traîneau tiré par des chiens fonce droit sur vous.
Comment est habillé celui qui dirige l'attelage ?
Avec un manteau à capuche et un masque en bois.
C'est donc un Yul. Nous allons les laisser venir. Restez hors de vue et si le moindre danger se profile à l'horizon, nous ne serons pas contre un coup de main.
Il transmit les information à Lisbeth et ajouta :
- Quand il sera là, tu me laisseras parler.
- Pourquoi toi ?
- Les Yuls ne sont pas connus pour leur grand respect envers les femmes si tu vois ce que je veux dire.
Le traîneau fut rapidement à portée de vue, tiré par des chiens-loups au poil &pais. Il ralentit à leur hauteur et celui qui le dirigeait bondit à terre en pointant son arc sur les intrus.Comme tous les Yuls, il était petit et cachait son visage. Ce dernier affichait des peintures ronges, ce qui indiquait que cet homme était un guerrier accompli.
- Qui êtes-vous ? demanda t-il tant bien que mal dans la langue commune.
- Je suis Alaman et voici ma compagne, se présenta Alaman en langue nordique.
La pointe de la flèche se dirigea vers le cœur du rouquin et le Yul gronda :
- Tu es un Valserye. Que viens-tu faire là ? Mon peuple a déjà payé pour sa faute du passé !
- Qu'est-ce qu'il dit ? s'enquit Lisbeth en chuchotant.
- Pas maintenant ! répondit le tatoué tout bas.
Il reprit à l'intention de leur interlocuteur :
- Je ne viens pas de la part de mon ancien clan mais du royaume d'Alembras. Et je ne veux pas me battre ou vous nuire mais délivrer une nouvelle importante.
- Dis-moi ce que tu as à dire puis pars. Nous ne voulons pas de vous ici, Valserye de malheur ! Je transmettrais ton message à mon chef, si tu me donnes ta parole de déguerpir une fois que tu l'auras délivré.
- Je le jure, déclara Alaman en posant une main sur son cœur.
Il raconta sans perdre une seconde, peu rassuré que l'autre n'ait pas baissé son arc. Si jamais il relâchait la corde sans le faire exprès...Il se montra expéditif et à la fin de son récit, le Yul approuva et pointa le nord d'un signe de tête.
- Aucun étranger ne s'est arrêté chez nous. Vous devriez continuer plus haut si vous êtes assez fous. Maintenant partez !
Alaman n'insista pas. Il avait délivré son message et mourir embroché par une flèche ne figurait pas dans la liste de ses priorités,contrairement à rentrer chez lui en un seul morceau. Il tira Lisbeth à sa suite et fit demi-tour tandis que le guerrier Yul remontait sur son traîneau pour retourner d'où il venait. Le rouquin soupira. Tout s'était déroulé comme sur des roulettes, mieux qu'il l'espérait. De toute façon, le résultat de cette rencontre ne se soldait que par deux issues : sa mort ou sa survie. Tout dépendait du contrôle du guerrier Yul et de sa sagesse. Visiblement il avait eu la présence d'esprit de ne pas tuer un homme de la tribu des Valseryes, sans doute par peur de nouvelles représailles sur son clan.
- Tu peux m'expliquer ce qui vient de se passer où il faut que je te supplie ? demanda Lisbeth d'un ton énervé.
Il leva les yeux au ciel. Comment les dieux avaient fait pour engendrer une telle teigne ? Qui avait façonné l'âme de la princesse pour qu'elle soit aussi insupportable ? Plutôt que de l'écouter le houspiller, il lui résuma sa conversation avec le guerrier Yul.
- Donc nous devons encore progresser ? ronchonna t-elle. J'en ai assez ! Il fait trop froid !
- C'est pour ça que ça s'appelle le nord, grommela Alaman.
Il s'interrogea sur la marche à suivre et dit à Firenza :
Est-ce que vous pouvez voler vers la mer de glace et nous prévenir dès que vous croiserez un campement ou un signe de vie ?
D'accord, nous allons faire de notre mieux ! répondit sa sœur.
- Nos jumeaux vont progresser dans les airs. Marchons vers le nord, lança Alaman à Lisbeth.
- Encore ?! se plaignit la jeune femme. Mais jusqu'à quand ?
- Jusqu'à ce qu'ils trouvent une nouvelle tribu à prévenir. Soit les Polvars, soit les Istars.
- Pas les Valseryes? le questionna la princesse.
- Non, dit-il brutalement. Elles sont encore loin.
Pour le moment, ajouta une voix perfide dans son esprit. Plus les heures passaient, plus le chemin jusqu'à son ancien clan se raccourcissait. Il cachait de moins en moins bien sa nervosité. Si la mission m'avait pas été si importante il aurait déjà fait demi-tour, bien avant que Lisbeth commence à se plaindre.  

Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant