Chapitre 16 : La menace

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Le silence que provoqua cette question donna une atmosphère oppressante à l'endroit. Son ami avait raison et Aymeric tendit l'oreille. Au début, il n'entendit rien puis un léger mouvement vers le haut attira son attention. Il leva la tête et tomba presque nez à nez avec le faciès d'une créature de cauchemar.
La reine ressemblait aux démons du désert mâles mais elle faisait le triple de leur taille, possédait deux paires d'yeux et un ventre disproportionné. Des choses rondes d'un noir luisant étaient collées à son corps.
- Des œufs...murmura Zacharie derrière lui.
La reine poussa un rugissement strident en guise de réponse et se laissa tomber sur le sol. Là elle se déplia de toute sa hauteur, dépassant la petite assemblée de plusieurs têtes. Son ventre proéminent l'empêchait heureusement de se ruer sur eux à vive allure et elle se traînait lentement en fendant l'air de ses griffes.
- Est-ce que j'ai l'autorisation de la brûler ? demanda Firenza.
- Uniquement si tu es certaine que les flammes ne se répandront pas aux cocons, répondit Aymeric.
La dragonne eut une moue pensive puis secoua négativement la tête.
- Faisons-la tomber et décapitons-la, proposa Alaman.
- Bonne idée. Lisbeth, tu t'occupes de la distraire. Zacharie et Alaman, vous la déstabilisez en blessant ses jambes. Le poids de son ventre va l'entraîner vers l'avant et je n'aurais plus qu'à lui sectionner la tête. Firenza, veille à ce que les cocons ne soient pas endommagés le temps de l'affrontement et commence à libérer les sylphes prisonniers à l'intérieur. Tout le monde en position !
Chacun prit son rôle et Lisbeth fit face à la reine des démons du désert, peu rassurée. Elle brandit son épée presque tremblante en direction de la créature et dit d'une voix chevrotante :
- Tu...Tu vas mourir !
Si Aymeric haussa un sourcil tandis que Firenza retenait un gloussement, Alaman se frappa le front du plat de la main et Zacharie soupira. Ce n'était pas gagné. D'ailleurs la reine se ficha allègrement de la menace de la princesse, préférant s'intéresser à la dragonne de feu qui approchait d'un tas de cocons. Avec une rapidité qu'elle ne laissait pas présager, elle bondit sur Firenza en ouvrant les mandibules. Le jumeau de celle-ci réagit au quart de tour. Il lança son épée de toutes ses forces avec un hurlement de colère. La lame fendit l'air et se planta dans le dos de la créature jusqu'à la garde.
La reine poussa un cri de douleur et de rage en tournant sur elle-même. Ses quatre yeux furieux se braquèrent sur le rouquin, qui dégaina un poignard en lui lançant un regard noir. Zacharie se posta à ses côtés, pour lui prêter main forte. La reine fonça sur le duo mais un jet de flammes provenant des mains de Firenza lui brûla le dos et la freina dans son élan. Sa tête alla de la dragonne aux deux jeunes hommes, ne sachant qui attaquer. Aymeric trancha pour elle. Il prit son élan et bondit sur le dos de la créature. Il lui planta son épée au niveau du cœur et appuya de tout son poids pour la faire chuter.
Alaman et Zacharie se précipitèrent pour le soutenir et lui facilitèrent la tâche en tranchant les tendons de la reine, à la base des pattes. Cette dernière tangua puis tomba vers l'avant avec un gémissement aigu. Toute la salle vibra quand elle percuta le sol et Aymeric se cramponna à son épée, solidement ancrée dans la chair de la créature, pour ne pas être éjecté. Il brandit sa lance qu'il conservait depuis son affrontement contre les faux gardes et transperça le cou de la reine. La lame et le manche traversèrent la nuque avant de ressortir par la gorge et se plantèrent profondément dans le bois. Le corps de la bête se détendit et elle expira une dernière fois. Aymeric sauta à terre après avoir récupéré son épée.
- Libérons les sylphes, décida t-il en tournant le dos à la carcasse de la reine. Firenza, brûle les œufs.
Ils se mirent au travail et ouvrirent tous les cocons. Le peuple entier semblait se trouver là. Des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux..Après quelque minutes d'inconscience ils revenaient à eux, le plus souvent perdus et paniqués. Zacharie calmait les plus agités avec des paroles réconfortantes.
- Tout va bien, le danger a été éliminé : vous êtes en sécurité.
- Non ! Il y a...Il y a des créatures dans l'arbre ! Des bêtes qui ressemblent à des sylphes, à des fauves et à des insectes à la fois !
- Nous savons et nous nous en sommes occupés. Elles ne sont plus un problème. Regardez, leur reine est morte. Le danger est écarté.
Leur opération de sauvetage aurait pu durer toute la nuit et la journée d'après si les sylphes réveillés n'étaient pas venus les aider. Tous ensemble, ils libérèrent le restant des prisonniers. Mais aucune trace de Lysange. L'angoisse d'Aymeric pour sa compagne augmentait de seconde en seconde. Chaque cocon qui s'ouvrait sur un visage autre que celui de la jeune sylphe le remplissait de peur. Pourquoi n'était-elle pas là ? Est-ce qu'il se serait trompé tout à l'heure en assommant la fausse Lysange dans les escaliers ? Étais-ce en réalité la vraie ? Le doute le taraudait. Il se concentra sur le sauvetage du peuple sylphe.
Après de longues heures, tous les cocons étaient vides. Ils avaient découvert avec effroi que le fond de la grotte contenait un tas d'os, probablement les restes d'un repas de la reine. Les sylphes cherchaient les absents et pleuraient déjà ceux qui manquaient à l'appel. Dont Lysange. Aymeric ne vit pas non plus les parents de sa compagne. Inquiet, il se dirigea vers la sortie, ignorant superbement la reine des sylphes, la vraie, qui désirait s'entretenir avec lui. Ses compagnons le rejoignirent et Alaman s'enquit :
- Tout va bien ? Tu viens quand même de passer sous le nez de la reine sans lui accorder un regard.
- Je n'ai pas le temps pour les politesses et les courbettes. Lysange manque toujours à l'appel.
Les visages de ses amis devinrent graves et ils s'empressèrent de regagner la surface, les sylphes sur les talons. Ce qui les attendait en émergeant à l'air libre leur donna presque envie de retourner dans la grotte. Désespérés par la disparition de leur reine, les démons du désert attaquaient sans relâche les quatre dragons qui peinaient à se défendre face au nombre. Les créatures n'agissaient plus avec prudence mais fonçaient avec l'énergie du désespoir et une certaine incohérence.
Certains s'en prenaient à leur propre espèce et d'autres tournaient en rond en poussant des gémissements déchirants. La disparition de leur reine les avait visiblement beaucoup désaxés. Leur colère grimpa en flèche en avisa les sylphes. Ils voulurent se précipiter sur les pauvres habitants de l'arbre originel qui hurlèrent en reculant mais les dragons firent barrage. Hydronoé balaya une trentaine de créatures d'un mouvement de queue et cria à Aymeric :
- Ce sont les derniers ! Vous venez nous donner un coup de main où vous vous contenter de regarder ?
En d'autres circonstances, le ton autoritaire de son frère aurait fait sourire Aymeric mais il n'avait pas le cœur à être joyeux. Il se jeta dans la mêlée et laissa libre court à sa colère en tuant les démons du désert qui se trouvait sur son chemin. Soudain, il aperçut un éclat blanc au milieu des ennemis. Quand Lysange transperça la poitrine d'une des créatures, il pensa rêver. Il se précipita vers elle en laissant un carnage dans son sillage.
Il ne voyait plus que la jeune sylphe qui affrontait vaillamment plusieurs adversaires à la fois. D'où sortait-elle ainsi ? Peu importe : il était trop heureux de la revoir. En arrivant à sa hauteur, il la débarrassa des indésirables en quelques mouvements d'épée et riva ses yeux dans les siens. Elle sourit tendrement et dit :
- Désolée pour le retard. J'ai été retenue par nos hôtes.
- Comment est-ce que tu es parvenue à t'échapper ?
- Grâce à mes parents, répondit-elle avec un large sourire. Mais je t'expliquerais plus tard. Pour le moment, finissons-en avec eux.
Il hocha la tête et retourna au combat, ragaillardi. Il combattit aux côtés de sa compagne, formant un duo mortel. Le soleil se leva peu à peu au cours de la bataille et les sylphes les plus courageux se joignirent à eux. La lumière du jour naissant semblait apeurés et affaiblirent les créatures. Ils tuèrent les derniers démons du désert alors que l'astre émergeait totalement à l'horizon. Aymeric essuya son front poisseux de sueur et de sang en contemplant le tapis de cadavres à ses pieds. Nettoyer tout cela prendrait du temps.
Des applaudissements dans son dos lui firent faire demi-tour. La reine des sylphes approchait vers eux d'un pas altier. En dépit de son visage fatigué et de ses lèvres craquelées par la soif, elle demeurait auréolée de noblesse et d'autorité.
- Merci à vous. Chevaliers dragons du roi Alaric d'Alembras.
Son insistance sur leur titre rappela au jeune homme que les dragons n'étaient pas les bienvenus ici et quel sort on leur réservait s'ils posaient une griffe sur l'arbre originel. Il se plaça devant Hydronoé par réflexe et releva fièrement le menton, défiant la reine de faire du mal à son jumeau. Cette dernière eut un sourire sans joie et déclara :
- N'ayez crainte chevalier. Je ne toucherais pas à vos précieuses montures cette fois-ci.
- Ils ne sont pas des montures, la contredit Aymeric. Ils sont nos jumeaux.
- Comme vous voulez. Toujours est-il qu'aucun mal ne leur sera fait. Vous nous avez sauvés, mon peuple et moi, et je ne suis pas une ingrate. Je vous offre l'hospitalité pour aujourd'hui, afin que vous puissiez vous reposer.
- Non merci. Nous devons regagner Alembras au plus vite pour faire notre rapport au roi.
Zacharie intervint en posant une main apaisante sur l'épaule d'Aymeric.
- Nous devrions accepter, dit-il. Nous et nos jumeaux sommes épuisés. Un dîner et quelques heures de repos nous ferrons le plus grand bien avant de décoller.
- Tu as déjà oublié ce qui s'est produit la dernière fois où nous avons accepté de rester sur l'arbre originel ?
- Non mais ce n'était pas la faute de la reine. Apaise ton cœur et accepte sa proposition. Pour le bien du groupe.
Cet argument fit mouche. Il inspira pour se calmer et s'efforça de faire preuve de courtoisie envers la régente.
- Nous acceptons votre offre aimable majesté et vous remercions pour votre soutien.
Il s'inclina raidement face à elle et la régente dit sans dissimuler une pointe d'amusement :
- Je suppose que je n'ai pas besoin de vous montrer le chemin jusqu'à la tour des invités.
- Inutile en effet. Il est encore très...frais dans ma mémoire, répondit Aymeric en retenant une grimace.
Si ses compagnons, à bout de force après cette nuit interminable, se rendirent vers la tour d'un bon pas, Aymeric fit signe à Lysange de le rejoindre. La jeune femme vint à sa hauteur et il demanda :
- Donc tes parents t'ont sauvé des démons du désert ? Comment ?
- Ils ont quitté l'arbre originel pour chercher du secours quand ces choses ont commencé à enlever les habitants. Ils se sont réfugiés au sommet de la cuvette avec une poignée d'autres sylphes, dans la forêt. Ils n'avaient aucun moyen de prévenir les autres royaumes ou de les rejoindre. Ils ont attendu en espérant que nos voisins se rendent compte de quelque chose mais quand les négociateurs d'Alembras sont enfin arrivés, ils n'ont pas été assez rapides pour les intercepter avant ces monstres. Ils ont essayé de les sauver en s'infiltrant dans l'arbre originel durant la journée, la période où ces créatures sont les moins actives, mais c'était déjà trop tard. La même chose s'est produite avec les soldats venant de Talenza...
- De Talenza ? la coupa Aymeric.
- Oui. Le roi d'Alembras n'était pas le seul à se poser des questions et à s'inquiéter pour les sylphes.
Le jeune homme eut une moue dubitative. Il imaginait mal ce souverain qui arrachait la descendance des dragons à leur famille faire preuve de compassion pour autrui.
- Mes parents n'ont pas perdu espoir et ils ont continué à guetter. C'est comme ça qu'ils nous ont vu arriver. Ils se sont aussitôt mit en chemin pour nous rejoindre mais ils ont perdu du temps en grimpant l'arbre originel à l'aide des rainures pour ne pas se faire repérer. Quand la nuit commençait de tomber, ils ont compris que nous allions subir le même sort que nos prédécesseurs et ils ont décidé d'infiltrer la tour où nous résidions pendant le dîner avec la reine. Je les ai découvert en regagnant ma chambre. Ils m'ont tout expliqué et nous nous sommes posés une question : où étaient les sylphes que ces monstres remplaçaient ? C'est pour avoir une réponse à cela que je me suis laissée enlever.
Aymeric fronça les sourcils, contrarié par cette explication.
- Ne dis rien, reprit Lysange avant qu'il ouvre la bouche. Je sais très bien que c'était un plan très risqué mais je n'ai pas eu le temps de vous en parler car les démons du désert arrivaient déjà. Mes parents ont à peine eu le temps de se cacher sous mon lit et moi de faire semblant de dormir. Si la situation n'avait pas été aussi dramatique, j'aurais beaucoup ri ! Ils m'ont secoué pour s'assurer que je dormais bien puis m'ont porté hors de la tour. Mon père et ma mère nous suivaient à distance.
- Vraiment ? Ils sont aussi passés par la fenêtre ? s'étonna son compagnon.
- Bien entendu ! Ils n'allaient pas prendre le risque de me perdre de vue en descendant par les escaliers ! Sans parler des chances de se faire repérer. Les sylphes sont d'excellents grimpeurs.
Le jeune homme se souvint avoir lu ça dans le livre sur le peuple de Lysange, juste après deux pages décrivant l'entraînement militaire obligatoire que devait suivre tous les sylphes un an après leur majorité pour défendre l'arbre originel en cas d'attaque. Pas étonnant que les parents de Lysange aient pu restés caché si longtemps et s'infiltrer si souvent dans l'arbre avec une telle formation !
- C'est comme ça qu'ils ont découvert l'entrée de la galerie. Nous sommes descendus profondément dans l'arbre puis j'ai été déposé sur le sol et je l'ai vu en entrouvrant les yeux. La reine...Je n'avais jamais croisé la route d'un être aussi monstrueux. Elle a craché une sorte de fil blanc et collant qui sortait d'entre ses mandibules sur mes poignets et mes chevilles pour m'immobiliser. C'était comme d'être un papillon englué dans une toile d'araignée...Elle a commencé à tisser une gangue autour de mon corps mais s'est arrêté au milieu de sa tâche. Elle a commencé à pousser des cris de colère et à tourner en rond dans son antre. Mes parents sont venus me délivrer à ce moment-là. Cette créature ne nous a pas vu filer et nous avons regagné la sortie. Nous avons fait un détour par la maison de mes parents pour récupérer des armes et venir vous aider. Ça a été plus long que prévu. Nous devions nous cacher pour éviter de croiser des patrouilles et ne pas faire le moindre bruit. Quand nous sommes remontés, le combat était déjà bien engagé et je suis venue vous aider à éliminer les derniers. Voilà ce qui s'est passé pour moi. Et vous ?
Aymeric raconta à son tour ce qu'ils avaient vécu ces dernières heures. Il acheva son récit par un :
- Maintenant nous méritons une bonne nuit de sommeil. Ou plutôt un bon jour.
Il prit la main de sa compagne dans la sienne et malgré toutes les personnes présentes autour d'eux, elle ne se dégagea pas. Il avait besoin de sentir sa chaleur et de s'assurer qu'elle était bel et bien là, que tout ceci était vrai. Ils allaient franchir le seuil de la tour quand une voix dans son dos cria :
- Chevalier Aymeric ! Attendez !
Le jeune homme se retourna vers le père et la mère de Lysange qui trottinaient dans leur direction, visiblement préoccupés. Il les salua à la manière sylphe et ils répondirent à son geste sans perdre leur expression inquiète.
- Un souci ? les interrogea t-il.
- Oui, déclara fermement le père de sa compagne. Un souci qui pourrait bien mener à la perte du continent.
Alertés par ces mots, Aymeric lui accorda toute son attention et lui fit signe de parler.
- Les hommes venus de Talenza et d'Alembras...Ils ont été tués et remplacés par des démons du désert. Et ces imposteurs sont repartis à cheval.
- Vous voulez dire qu'il reste certains de ces monstres et qu'ils se baladent librement sur le territoire avec une apparence humaine ? reformula le chevalier dragon.
- Nous n'aurons qu'à les rattraper et les éliminer dès demain quand nous aurons reprit des forces, suggéra Lysange. A dos de dragon nous les retrouverons rapidement.
- Le gros du problème n'est pas là, intervint sa mère. En partant ils ont pris des sacs avec eux.
- Des sacs ? Et qu'est-ce qu'ils contenaient ? demanda Aymeric.
Le couple échangea un regard chargé de crainte et dirent d'une même voix :
- Des œufs.
- Des œufs ?! s'écria Lysange. Dites-moi que ce n'est pas vrai !
- Malheureusement si. Il devait bien y en avoir plus de cinq cent par sacs , estima le père de la jeune sylphe.

Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant