Ils décollèrent pour la seconde fois alors que la nuit était totalement tombée et volèrent en silence. Hydronoé était bon dernier après Firenza et Aymeric ne le poussa pas à bout. Il ordonna de se poser bien avant l'aube pour que les dragons blessés reprennent des forces. Grâce à leur pouvoir de régénération, les blessures guérirent dans la journée mais Hydronoé et Firenza se réveillèrent à cause de la faim.
Leur ventre gronda et ils passèrent la journée à chasser dans les alentours du campement pour se rassasier. Guérison rapide suivie par un appétit dévorant...Encore un point commun qu'Aymeric partageait avec les dragons grâce à sa mère.
Une fois leurs compagnons rétablis, ils purent reprendre leur voyage à un rythme soutenu et arrivèrent au château des gardes deux jours et demi plus tard. Aymeric fut surpris de ne pas voir de dragons se prélasser au soleil dans la cour. Leurs maîtres n'étaient pas rentrés de leur mission à Notterey ?
Il descella Hydronoé qui s'ébroua avec bonheur en étirant ses ailes endolories. Ses compagnons aussi semblaient exténués mais le repos attendrait car le roi sortait du château des gardes. Son air grave ne présageait rien de bon mais un léger sourire étira la commissure de ses lèvres en avisant les nouveaux venus.
- Le voyage de retour a été bon ?
Alaman passa en coup de vent en manquant de le bousculer et grogna :
- Si on excepte les attaques de poissons géants et la fuite d'une sale petite prétentieuse mal élevée qui nous a laissé tombé en causant de la souffrance à Firenza, tout va bien.
Le souverain écarquilla les yeux face à cette attitude violente et déplacée.Il interrogea Aymeric du regard, plus déconcerté que furieux.
- Où est votre fille ? demanda ce dernier en guise de réponse.
Le roi haussa les sourcils et balaya le petit groupe de ses yeux gris, remarquant enfin l'absence de la princesse et de son jumeau.
- Je n'en ai pas la moindre idée. Pourquoi n'est-elle pas avec vous ?
- Parce qu'elle s'est enfuie lors d'une...difficulté.
- Enfuie ? répéta le père de l'intéressée avec stupéfaction. Vous en êtes certain ?
- J'aimerais croire le contraire mais pour en être certain nous devons la retrouver.
A cet instant, une ombre gigantesque cacha la lumière du soleil et des rafales de vent soulevèrent la poussière. Un dragon rouge feu se posa dans la cour du château. Hydronoé, Firenza, Ourania et Gébald grognèrent de mécontentement en même temps. Lisbeth descendit du dos de son jumeau, réajusta son épée et épousseta son manteau avant de se poster face à son père qu'elle salua d'un signe de tête.
- Père.
- Ma fille. Pourquoi n'étais-tu pas avec les autres chevaliers dragons ?
La princesse pinça les lèvres et répondit :
- Je suis partie en éclaireur pour vous prévenir du danger qui guette le continent mais je me suis perdue en route.
L'excuse de la jeune femme déclencha la colère d'Aymeric. Il aurait été prêt à la pardonner si seulement elle avait dit la vérité mais ce mensonge le fit enrager. Il avait été assez patient avec elle. Il était temps de mettre les choses au clair, quitte à la secouer un peu. Il empoigna Lisbeth par le bras et dit au roi :
- Veuillez m'excuser une seconde. Il faut que je m'entretienne seul à seul avec Lisbeth d'Ondre.
Il emmena la jeune femme loin du groupe et de son père malgré ses protestations.
- Arrête Aymeric ! Tu me fais mal ! Je t'ordonne de me lâcher !
Il s'arrêta dans un coin où ils ne risqueraient pas d'être vu ou entendu et desserra sa prise sur elle. Elle se frotta le bras en criant, furieuse :
- A quoi tu joues ?!
Son petit manège fit grimper la colère d'Aymeric d'un cran. Il frappa dans un mur tout proche en hurlant à son tour, bien plus fort que la princesse d'Alembras :
- Et toi, à quoi joues-tu ?! Que signifie ton comportement ?! Passe encore que tu sois insolente, que tu refuses le travail d'équipe et que tu te comportes comme si tu étais supérieure à nous. Mais abandonner des équipiers en danger, c'est trop ! C'est indigne d'un chevalier dragon ! Qu'est-ce que tu es venu faire ici ?! Depuis que tu es là, tu ne fais que nous mettre des bâtons dans les roues ! Nous avions besoin de toi et de Brazidas ! Vous êtes partis comme des lâches ! Et s'il y avait eu des morts ?
- Mais ce n'est pas le cas...murmura t-elle d'une petite voix.
Aymeric rugit :
- Silence !
La princesse se tassa sur elle-même en ouvrant des yeux grands comme des soucoupes.
- Je ne sais pas ce que tu viens faire ici, répéta Aymeric. Tu n'as aucune des qualités requises pour être un chevalier dragon. Je vais te laisser une dernière, une seule et unique chance. Prouve-moi que je me trompe, que j'ai tort. C'est mon premier et dernier avertissement. A la moindre erreur, tu rentres au palais royal avec Brazidas reprendre ta petite vie de princesse. Suis-je bien clair ?
Elle acquiesça timidement, les yeux agrandis de frayeur. Aymeric retourna avec le reste du groupe, talonné de loin par Lisbeth qui souhaitait conserver une distance de sécurité. Le roi demanda en les voyant revenir :
- Tout va bien ?
- Nous verrons dans les mois à venir, répondit Aymeric sans se départir de son air sombre. Vous avez reçu mon message concernant les messagers et les œufs ?
- Oui. J'ai envoyé des oiseaux aux quatre coins du continent et d'après mes informateurs, des négociateurs d'Alembras ont été vu à Notterey. Ils ont traversé le continent et semblent s'enfoncer dans le nord des terres. Quant aux soldats de Talenza ce n'est pas vers leur patrie qu'ils font route mais vers le désert.
- Donc les deux groupes s'éloignent dans des directions opposées ? Et les sacs ? s'enquit Aymeric.
- Ils les avaient encore.
- Ils comptent donc infester les endroits les moins peuplés du continent et faire remonter leur invasion vers les grandes villes en s'emparant des villages sur leur chemin ? Ce n'est pas une mauvaise stratégie. De plus, nous ne pouvons pas prévenir les peuplades qui vivent dans ses extrémités. Les oiseaux ne survivraient pas au froid polaire ou à la chaleur du désert...
- Hélas non et c'est bien le problème, dit le roi. Le temps presse : il faut les arrêter.
- Nous allons nous reposer pour la journée et partir au milieu de la nuit. Le mieux est encore de scinder le groupe en deux même si ce n'est pas une idée qui m'enchante...
Aymeric commença à répartir ses compagnons et le résultat le fit grimacer. Ça n'allait pas leur plaire mais il n'avait pas le choix. Il haussa le ton pour capter l'attention de ses amis :
- Rassemblement dans la salle de réunion d'ici dix minutes. Après cela reposez-vous car nous repartirons quelques heures, après la tombée de la nuit.
Personne ne protesta mais les épaules de ses amis s'affaissèrent de découragement. Ils s'attendaient sans doute à avoir plus de répit. Le jeune homme alla les attendre dans la salle. Hydronoé le rejoignit le premier, de nouveau avec son apparence humaine, et demanda :
- Qu'est-ce que tuas dit à la princesse ?
- De se reprendre en main et cesser de se comporter comme une enfant gâtée si elle ne voulait pas que je la renvoie dans son château à grands coups de pied dans le cul.
Son jumeau lui adressa un léger regard de reproche et le jeune homme ajouta en râlant :
- Je ne l'ai pas dit en ces termes, bien entendu.
Son frère sourit et les autres ne tardèrent pas à les rejoindre, dont Lisbeth et Brazidas. Sentant le regard d'Aymeric peser sur elle, la princesse baissa le nez sur ses bottes.
- Comme vous êtes tous là, nous pouvons commencer. Les nouvelles ne son pas très bonnes. Selon les renseignements que le roi a obtenu, les démons du désert se dirigent vers l'extrême nord et l'extrême sud du continent. Nous pensons qu'ils vont tenter d'envahir les régions les moins densément peuplées. Il va donc falloir que nous divisions nos forces, à la fois pour les arrêter et pour nous assurer que les peuples qui habitent ces zones sont hors de danger.
Ses amis hochèrent la tête. Alaman et Zacharie paraissaient particulièrement inquiets et attentifs. Le jeune homme s'excusa mentalement auprès d'eux et annonça :
- Alaman, Firenza, Lisbeth et Brazidas, vous partirez pour le nord.
Le rouquin ferma les yeux et grommela quelque chose dans sa barbe en prenant sur lui. Sa sœur posa une main compatissante dans son dos. La princesse n'émit aucune protestation, tout comme son jumeau. Tant mieux. Aymeric n'était pas d'humeur à gérer une objection.
- Zacharie, Gébald, Lysange, Ourania, Hydronoé et moi partirons pour le sud. Des questions ?
Zacharie secoua la tête en soupirant et son jumeau croisa les bras de contrariété. Lysange adressa un sourire encourageant pour soutenir Aymeric alors qu'Ourania demeurait stoïque et qu'Hydronoé approuvait le choix de son jumeau. Alors qu'il pensait en avoir fini, la main de Lisbeth se leva lentement et elle demanda craintivement :
- Pourquoi votre groupe est le plus nombreux ?
- Parce qu'il y a déjà des démons du désert là où nous nous rendons. Si le groupe existant s'allie aux imposteurs pour que l'invasion progresse plus rapidement, nous allons avoir du pain sur la planche.
Lisbeth ne dit rien de plus et Aymeric déclara :
- La séance est levée.
Ils allaient quitter leur siège quand Lysange intervint :
- Tu ne devais pas nous avouer une chose importante ?
Ses compagnons se tournèrent vers lui d'un bloc. Le jeune homme se souvint de sa conversation avec Lysange chez les sylphes et prit une grande inspiration. Il aurait préféré le leur dire après cette mission, qui s'annonçait encore plus périlleuse que la précédente, mais il ne pouvait pas éternellement la repousser. Il avoua d'une traite :
- J'ai retrouvé mes parents.
- C'est une bonne nouvelle, dit Zacharie sans cacher son étonnement.
- De qui s'agit-il ? l'interrogea Firenza.
- Du roi Médéril et...De Praeslia.
Un silence de cathédrale envahit la salle puis Alaman éclata de rire. Rire qui s'étrangla dans sa gorge en constatant que son ami ne riait pas du tout.
- Ce n'était pas une blague ? s'étonna t-il. Dis-moi que c'en est une !
- Non. Ce n'est ni une plaisanterie, ni un mensonge. Je vous expliquerais les détails une fois de retour de notre mission. Je pensais qu'il était temps que vous le sachiez.
- Donc tu es...Un demi-dieu ? l'interrogea Brazidas avec stupéfaction.
- Il faut croire. Considérez que ce n'est qu'une information parmi tant d'autres. Je suis avant tout un serviteur d'Alembras et un protecteur d'Amaris, un chevalier dragon Maintenant allez vous reposer, nous repartons bientôt.
Ils hésitèrent puis quittèrent la salle en posant sur lui des yeux pleins de questions. Aymeric arrêta Lisbeth et murmura :
- Veille particulièrement sur Alaman durant cette mission, surtout quand vous arriverez jusqu'à sa tribu. Là-bas elles ne sont pas tendres avec les hommes et j'ai peur pour lui.
- Pourquoi ne pas l'envoyer dans le sud si c'est si risqué pour lui ? osa t-elle le questionner.
- Qui connaît mieux le nord qu'un nordique ? Il sait comment survivre dans le froid et connaît les mœurs des diverses tribus mieux que personne au château. Je compte sur toi pour le protéger en cas de besoin. C'est une mission personnelle que je te confie, à toi et à personne d'autre. Prouve-moi que j'ai eu tort de te réprimander et répare le mal que tu as causé à Alaman en fuyant le lac. D'accord ?
Elle fit oui de la tête avec un air résigné et s'en alla. Le jeune homme posa les mains sur les hanches et se dit qu'il aimerait bien boire un thé brûlant en lisant un bon roman. Mais la détente devrait attendre .Il descendit dans les cuisines pour demander de nouveaux sacs de vivres aux cuisiniers puis se rendit dans les écuries pour vérifier les selles des dragons. Le matériel était en bon état, ce qui était une excellente chose : pas besoin de faire des réparations de dernière minute.
Il se rendit dans sa chambre devant laquelle attendait Alaman, adossée contre la porte. Songeur, il fixait le vide et plongea ses yeux noirs dans ceux de son ami en le voyant arriver.
- Tu nous envoies vraiment dans le nord avec cette sale peste et son arrogant de dragon?
- Oui. Vous aurez plus de chances de survivre aux températures glaciales avec des dragons de feu.
Alaman soupira et porta une main à ses joues tatouées, par réflexe.
- Tout va bien se passer, tenta de le rassurer Aymeric.
- Non. Tu ne sais pas comment c'est là-bas. Si jamais elles me repèrent...
- Tu es un soldat d'Alembras désormais, tu n'as rien à craindre. Si elles te retiennent, nous viendrons te sauver.
- On voit que tu ne sais pas de quoi tu parles, ricana le rouquin. Le temps que vous veniez, je serais déjà mort. Elles n'aiment pas les fugitifs.
- C'est pour ça que tu es venu me voir ? s'enquit Aymeric. Pour me rappeler que tu n'as pas envie de faire équipe avec Lisbeth et encore moins de partir dans le nord ?
- En partie. Il y a aussi ton histoire de parenté qui me tracasse...Pourquoi tu ne m'as pas parlé de ça ? Nous sommes pourtant amis !
- J'avais peur de votre réaction, avoua Aymeric. Avec ce qu'on dit dans les légendes sur les enfants de Praeslia...
- On dit aussi beaucoup de choses sur les nordiques et pourtant tu ne les as jamais écouté. Pourquoi est-ce que je ne réagirais pas comme toi ? Je te connais, je sais qui tu es.
- Je ne comptais pas vous le cacher éternellement et je l'ai appris il y a peu, se justifia le jeune homme.
- Ne t'inquiète pas pour ça. Mais la prochaine fois qu'une révélation pareille te tombe sur le coin du nez, préviens-nous aussitôt.
- J'espère ne plus jamais recevoir une nouvelle pareille avant au moins trois décennies!
Alaman lui donna une claque sur l'épaule et, avant qu'il s'enferme dans sa chambre pour prendre quelques heures de repos, Aymeric lui dit :
- Bonne chance pour le nord.
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Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du monde
FantasíaAymeric est à présent un chevalier dragon. Lui et ses compagnons doivent endosser leurs responsabilités et effectuer leur première mission : une visite diplomatique au royaume des dragons. Mais la mission prend une tournure inattendue et une suite d...