Chapitre 9 : Famille

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Aymeric pensa une seconde l'avoir rêvé mais l'épée dans sa main démentait cette impression. Chamboulé, il reprit le chemin vers le château, les yeux dans le vague. Il était perdu dans les souvenirs de Praeslia. Dire qu'il avait durement repoussé son père sans essayer d'envisager qu'il puisse dire la vérité ! Il cherchait toujours le meilleur moyen de s'excuser quand il frappa à la porte de Médéril.
- Je n'ai besoin de rien, dit le roi sans venir ouvrir. Je travaille et j'aimerais qu'on ne me dérange sous aucun prétexte.
A en juger par la lassitude et la déception qui transparaissaient dans son intonation, il devait déprimer plutôt que travailler. Aymeric dit vaillamment avant d'avoir l'idée de battre en retraite :
- C'est moi. Je dois vous...te parler.
Il n'en fallait pas plus pour que la porte s'ouvre sur le visage d'un Médéril étonné. Aymeric le salua d'un signe de la main tout en se sentant parfaitement idiot.
- Désolé pour tout à l'heure, dit-il. J'ai été...Excessif.
- Non, ce n'est rien ! C'est ma faute. Avec mes propos délirants je vous ai plongé dans l'embarra. Oubliez la conversation que nous avons eu.
- C'est trop tard pour ça et quelqu'un est venu m'ouvrir les yeux, avoua le jeune homme en montrant sa nouvelle lame.
Médéril écarquilla les yeux et un nom lui échappa, murmuré avec surprise et douceur :
- Praeslia...
- Oui. Pardon si je vous ai blessé...père.
Prononcer ce mot lui sembla étrange mais bizarrement plaisant. A en juger par l'expression du roi, il n'était pas le seul à ressentir cela. Les yeux du monarque devinrent humides de larmes et il chuchota :
- Tu étais si petit quand tu es parti et maintenant si grand...Dire que je ne sais rien de toi...
- Il n'est pas trop tard pour rattraper le temps perdu, proposa Aymeric d'une voix mal assurée. Nous pourrions...euh...Faire des activités que font les autres familles.
Médéril eut un rire bref.
- Tu ressembles à ta mère quand tu t'exprimes avec autant d'incertitudes concernant les liens sociaux. Elle aussi n'était pas très douée pour dire ce qu'elle ressentait mais elle le montrait très bien avec ses yeux et dans sa façon d'être.
Médéril parlait de Praeslia avec tant de tendresse et d'admiration qu'Aymeric comprit qu'il l'aimait encore.
- Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés ? le questionna t-il.
- C'est une longue histoire. Entre, je vais te la raconter.
Ils s'installèrent face à face autour d'une petite table rectangulaire et Médéril débuta son récit :
- C'était un peu avant que j'épouse Héléna, ma femme à l'heure où je te parle. Un jour où je m'entraînais à l'épée dans la cour arrière du palais avec mon jeune frère Liwen, aujourd'hui dans le coma, une dragonne fille de Praeslia est venue à notre rencontre. J'ignorais encore qu'il s'agissait de la déesse en personne. Elle a proposé de m'entraîner et j'ai accepté. Qui de mieux qu'un enfant de la déesse de la guerre pour enseigner un parfait maniement de l'épée au jeune homme en quête de perfectionnement que j'étais ? Jour après jour, elle est venue me voir et nous nous exercions. Je m'améliorais tout autant que je tombais sous son charme. Elle était d'une telle beauté et la fougue sauvage qu'elle dégageait m'attirait irrésistiblement...Puis un jour, elle m'a avoué la vérité. Sur sa véritable nature et la raison de son intérêt pour moi...On l'avait chargé d'une mission et j'étais l'outil servant à la bonne réalisation de celle-ci. J'étais furieux, je me suis senti trahi. J'ai essayé de lui tourner le dos mais je n'avais pas compris qu'elle ne renoncerait pas à moi si facilement. Elle m'avait dit qu'elle m'appréciait mais qui croirait de telles paroles après avoir compris qu'il était utilisé ? Je me sentais stupide. Sans compter que j'étais persuadé qu'une déesse ne pouvait pas s'enticher d'un humain comme moi et encore moins Praeslia ! J'ai compris qu'elle ne s'intéressait pas à moi uniquement pour remplir sa mission le soir où elle m'a sauvé la vie. Tu as sans doute entendu parler de ce bal tragique qui a mal tourné à cause d'un incendie qui a emporté mon frère aîné et mon père ? Je n'ai pas été blessé grâce à Praeslia. Elle m'a protégé puis elle a porté secours aux blessés parce que je le lui ai demandé. La déesse de la guerre qui secourt des humains...En y repensant elle me surprenait sans cesse ! Après l'incendie, mon moral était au plus bas. Je devais faire le deuil de mon frère et mon père tout en envisageant de perdre Liwen qui faiblissait de jour en jour mais aussi me préparer à monter sur le trône et épouser Héléna. C'était beaucoup pour un jeune homme de vingt ans. Mais elle était à mes côtés et elle m'a soutenu. Je doutais encore de ses sentiments mais elle m'a prouvé qu'ils étaient vrais. Vrais et puissants. Nous nous sommes aimés et tu es né. Entre temps j'ai épousé Héléna par obligation mais je n'ai jamais cessé de penser à Praeslia. Voilà toute l'histoire, à quelques détails près.
- Et Ezimaël ? Est-ce qu'il est mon demi-frère ?
Médéril croisa les mains sur la table.
- Ça aussi c'est une histoire compliquée. Pour faire simple, Héléna ne m'aimait pas non plus au moment où nous nous sommes mariés. Elle est plus jeune que moi de cinq ans alors elle n'avait que quinze ans quand elle m'a épousé. J'ai appris qu'elle était amoureuse de mon frère Liwen mais aussi qu'elle portait son enfant.
- Ezimaël, devina Aymeric.
- Oui. Mon neveu, que je fais passer pour mon fils afin d'éviter un scandale. Personne n'est au courant, en dehors d'Héléna, Ezimaël, moi et toi désormais.
- Donc c'est mon cousin. La famille s'agrandit. J'ai des frères et sœurs cachés où nous avons fait le tour ?
- Pas de mon côté,sourit Médéril. Quant à celui de Praeslia...Il faudra lui demander ! Je ne suis pas au courant de ses agissements, surtout ces dernières années...
Son regard se fit vague et Aymeric reconnu le manque d'un être cher. La prochaine fois qu'il irait prier sa mère, il faudrait qu'il éclaircisse certains points avec elle. Sa mère...C'était bizarre de prononcer ces mots, même en pensée. Il avait peine à croire que l'homme face à lui soit son père.
- Je suppose que tune rentreras pas au royaume des dragons avec nous, dit Médéril après un silence.
Il avait vu juste. Hors de question pour Aymeric d'abandonner son rôle au sein de la garde. Il aimait son travail et ses amis, il ne partirait pour rien au monde. Pas même pour sa famille de sang.
- Je suis plus utile ici. J'ai été formé toute mon enfance pour devenir chevalier dragon. Je ne m'imagine pas prince du jour au lendemain.
Son père hocha tristement la tête.
- Je m'y attendais. C'est mieux ainsi : tu es à ta place ici. Une vie de prince ne te conviendrait pas.
Le fait que son paternel aille dans sa direction rassura Aymeric. Le roi comprenait ce qui était bon pour lui et ne lui imposait rien. Il comprit que quoi qu'il lui demanderait à l'avenir, Médéril lui laisserait le choix.
- Je donnerais souvent des nouvelles, promit Aymeric.
- J'espère bien jeune homme ! Mais ne t'attends pas à ce que je parte rapidement. Je compte profiter de mon séjour ici autant que possible. Que se soit pour des raisons politiques ou pour toi. D'ailleurs, comme je ne rencontre le roi que dans quelques heures, que dirais-tu d'une promenade à cheval ? Tu en profiteras pour me faire visiter les lieux.
C'est ainsi qu'ils se retrouvèrent à cavaler en bordure des champs. Ils firent un tour dans la forêt pour revinrent au pas près de la place. Ils effectuèrent un tour des bâtiments que le chevalier dragon présenta au roi. Il était convaincu que celui-ci savait déjà de quoi il s'agissait comme il était déjà venu ici et qu'il le laissait lui expliquer à nouveau juste pour profiter de sa présence. Cette ballade apaisa Aymeric qui passait par toutes les émotions depuis le début de sa journée. Quand le roi Médéril rejoignit celui d'Alembras pour un déjeuner suivi d'une partie de chasse, Aymeric prit le chemin des champs.
Il travailla toute la journée dans un état second. Ni la chaleur, ni les chamailleries de Sébil et Romaric ne l'atteignirent. Il souleva la paille et la chargea par automatisme à bord du chariot placé sous l'arbre pour que les chevaux n'aient pas chaud. La journée passa donc en un rien de temps et il s'étonna en voyant que la nuit était déjà tombée. Dans les bains, Hydronoé vint vers lui en trottinant et demanda :
- Tout va bien ? Je t'ai senti perturbé ce matin.
Comme il ne pouvait rien cacher à cause du lien et qu'il ne désirait pas mentir à son jumeau, il avoua :
- J'ai vécu une matinée mouvementée et riche en révélations.
- Bonnes ou mauvaises ?
- Bonnes même si nous ne nous sommes pas compris immédiatement. Passe dans ma chambre, je te raconterais ce soir.
- Pourquoi pas pendant le dîner ? l'interrogea Hydronoé.
- Je n'ai pas envie que des informations arrivent à des oreilles indiscrètes, chuchota Aymeric en jetant un regard à droite et à gauche.
Il se détendit en constatant que personne ne faisait attention à eux. Maintenant il savait qu'on en avait personnellement après lui et ce depuis sa plus tendre enfance. On avait tenté de le tuer trois fois alors qu'il n'était qu'un bambin. Une fois lors de son sommeil, la seconde pendant qu'on lui donnait son bain et la troisième alors qu'il fuyait vers un refuge sûr en compagnie d'un chevalier qui avait toute la confiance de son père. Sans parler de la dernière en date qui avait aussi coûté la vie de son frère ! Autant rester discret concernant ses origines, même au sein du palais des gardes.
Il dîna parmi ses compagnons en essayant de ne pas jeter des regards trop insistants à son père. Mais Alaman remarqua bien qu'il n'était pas dans son état normal.
- Qu'est-ce qui t'arrive aujourd'hui mon petit Aymeric ? Tu as l'air un poil nerveux.
- Ne te fais pas de souci pour moi et mange ce qu'il y a dans ton assiette.
- Toi il y a quelque chose que tu ne me dis pas...
- N'insiste pas Al'. Je dirais tout en temps et en heure, quand bon me semblera, dit Aymeric.
- Sauf si je devine avant, le taquina le rouquin.
- Bonne chance à toi, lui souhaita son ami avec un sourire en coin.
Alaman plissa ses yeux noirs comme pour essayer de lire dans ses pensées et atteindre ce qu'il cachait. Le jeune homme ne s'en inquiéta pas et termina son assiette en discutant avec Lysange. Parler de tout et de rien avec sa compagne l'apaisa et dissipa pour un temps la tempête d'émotions qui faisaient rage en lui. Il quitta la table parmi les derniers. Son père l'intercepta avant qu'il arrive dans le hall.
- Tu es libre pour un duel ?
- Désolé, je dois parler avec mon frère de ce qui s'est passé aujourd'hui. C'est important qu'il sache, vous comprenez ?
- Oui, tu as besoin de lui avouer...Bon, tant pis. Remettons ça à demain !
Il semblait si impatient et plein d'espérance qu'Aymeric ne pu retenir un sourire. C'était à se demander qui était l'enfant de qui ! Il comprenait que son paternel cherche à rattraper le temps perdu et cette idée n'était pas pour lui déplaire.
- D'accord. Ensuite nous pourrions déjeuner ensemble dans la salle de banquet.
- Je n'ai aucun rendez-vous avec le roi Alaric avant le début de l'après-midi donc je peux entièrement me consacrer à toi.
Aymeric hocha la tête et le salua maladroitement d'un signe de la main avant de s'éloigner. Il ne savait pas quel comportement adopter face à Médéril. Certes il était son père mais il ne savait rien de lui et inversement. Il faudrait plus que quelques activités ensemble pour qu'ils se connaissent et rien ne pourrait combler le fossé du temps perdu. Ce n'est pas pour autant qu'il voulait baisser les bras et lui tourner le dos, loin de là ! Il ferrait son maximum pour qu'ils s'entendent. Si cela fonctionnait, tant mieux. Si non, tant pis.
Il n'accordait pas d'importance aux liens du sang, il choisissait les membres de sa famille avec le cœur. Il espérait vivement que Médéril y entrerait et Ezimaël avec lui. Malgré sa discrétion, son cousin lui inspirait de la sympathie et il avait envie de le connaître d'avantage. Le fait qu'ils aient le même âge devait aider.
Il soupira lourdement en fermant la porte de sa chambre. Hydronoé l'attendait, assis sur une chaise. Il en tira une pour son jumeau qui s'affala dessus après avoir retiré son manteau.
- J'ai retrouvé ma famille, annonça Aymeric de but en blanc.
Hydronoé écarquilla les yeux mais ne fit aucun commentaire. Il attendait la suite. Aymeric lui expliqua tout sans rien cacher, pas même l'identité de sa mère. Au lieu de la réaction stupéfaite et teintée d'horreur à laquelle il s'attendait, son jumeau sourit et déclara :
- Nous sommes encore plus frères que ce que nous pensions !
- Tu n'as pas peur?
- Non. Au contraire, ça explique beaucoup de choses. Ta force et ton endurance hors du commun, ton talent à l'épée et au corps à corps ainsi que tes facultés d'apprentissage rapides entre autres.
- Je compte l'avouer au reste du groupe.
- C'est une idée judicieuse. Commencer à nous cacher des choses nuiraient à notre cohésion et les secrets ne le restent jamais bien longtemps.
Aymeric apprécia le soutien d'Hydronoé et le fait qu'ils partagent la même opinion.
- Je les convoquerais pour une réunion après le départ du roi Médéril.
- Tu n'as vraiment pas envie de rentrer avec lui ? l'interrogea son jumeau.
- Non. Ma place est dans ce château, avec cet uniforme et une épée à la main. Nulle part ailleurs.
- Il ne va pas te manquer quand il s'en ira ?
- Sans doute un peu mais j'ai vécu sans lui toute mon existence. C'est sans doute cruel de dire cela mais je n'ai pas besoin de lui pour vivre. Il est mon père, il m'a donné la vie mais notre relation s'arrête là pour l'instant. Il faut du temps pour construire une relation, ça ne se fait pas du jour au lendemain.
- Si tu l'acceptes en tant que parent c'est déjà un grand progrès, dit Hydronoé.
Ils parlèrent encore un peu de Médéril puis la conversation dériva sur des sujets moins sérieux et après une heure, ils en vinrent à débattre sur le meilleur souvenir de leur vie commune.
- C'est quand nous avons été adoubés, affirma Aymeric.
- Mais non, quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois ! le contredit Hydronoé.
Ils finirent par déclarer une égalité et se séparèrent sur cet accord, bien qu'Aymeric restait intimement persuadé que la cérémonie où il était devenu chevalier était son plus beau souvenir. Mais d'un autre côté son jumeau dragon n'avait pas tort : de leur rencontre découlait toute la suite de sa vie. Sans son frère, il n'en serait pas là aujourd'hui. Sans lui il n'aurait même jamais découvert ses origines. Plein de gratitude pour le dragon d'eau, il se coucha le cœur léger et se leva de bonne humeur.  

Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant