Chapitre 1

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Alors que Miguel dormait paisiblement, il fut réveillé par des bruits de sabots, certainement d'un cheval, battant le pavé. Surpris et curieux à la fois, il se posait des questions. Il savait parfaitement bien que depuis fort longtemps maintenant, plus aucun propriétaire dans le village ne possédait de chevaux. Aussitôt, il remarqua que le bruit des sabots allaient en s'amplifiant, se rapprochant, puis finirent par cesser laissant un silence normal et habituel se réinstaller. C'est alors qu'il aperçut une ombre au travers des minuscules interstices des volets roulants. Il ne savait pas quoi faire sur le moment, il avait peur.

Il se leva alors et remonta le volet. Ce qu'il vit alors, lui glaça le sang et le pétrifia littéralement sur place. Se tenait face à lui un centaure. Il avait un torse énorme, veineux, bleuté par d'énormes hématomes. Il portait une barbe épaisse avec des cheveux lisses et longs. Miguel était incapable d'avoir la moindre réaction, comme hypnotisé, à la merci de ce monstre. Il n'avait qu'une seule idée en tête, celle de vite refermer le volet. Le centaure s'approcha alors de lui et lui glissa dans le creux de l'oreille les paroles suivantes :

«Non sunt in nobis, statim finis»

Puis le regard inquiet et attristé, il reprit son chemin laissant un Miguel terrassé et dépassé par cette rencontre fantastique.

Les jours passèrent et comme tous les soirs, Glorinda et Laura, deux charmantes et attachantes retraitées, étaient assises sur les quelques marches en marbre menant à la maison de Laura. Un véritable rituel quotidien, chacune adossée systématiquement contre le même pan de mur, comparable à une fresque peinte intemporelle et éternelle.

Les habitants de ce petit village pouvaient jouir d'un climat doux en hiver et d'un été particulièrement chaud. Les soirées étaient alors fortement appréciées et attendues, apportant quelques heures de fraîcheur et de bien-être. Comme les anciens avaient l'habitude de le proclamer: «un havre de paix, un paradis sur terre».

Beaucoup d'habitants avaient quitté le village pour émigrer vers des pays lointains, à la recherche de gloire et de fortune. Le cœur lourd et endolori, ils avaient abandonné leurs racines et leurs familles afin de garantir un avenir meilleur à leur descendance. Tel un pèlerinage annuel rempli de nostalgie et d'impatience, ils retrouvaient leur terre natale tous les ans, pour quelques semaines de bonheur ultime avant une nouvelle et déchirante échéance. A chaque départ, ils concentraient toutes leurs forces et courages. Ils devaient alors gérer et contrôler un chagrin associé à une immense souffrance.

Les sujets de discussion entre les deux amies étaient divers et variés. Parmi les plus fréquents et redondants, arrivaient en tête les querelles de famille, les relations conjugales difficiles, les tenues vestimentaires des uns et des autres, les personnes extérieures au village de passage, les ragots circulants... Autant de sujets à priori ordinaires mais au cœur de débats animés et argumentés, chacune désireuse d'avoir le dernier mot.

Une fois n'est pas coutume, le sujet abordé ce soir-là était particulièrement original et inédit.

Laura, préoccupée et anxieuse, lança la conversation:

- «Je suis inquiète par ce que Miguel m'a raconté. Il a vécu une scène surréaliste»

Glorinda fronça les sourcils, étonnée des propos inattendus de son amie.

- «De quoi parles-tu ma chérie?»

- «Je ne voulais vraiment pas en parler. Tu me promets de ne rien dire?»

Glorinda acquiesça de la tête et resta silencieuse. Laura continua:

- «Et bien, dans la nuit de mardi à mercredi, je me suis réveillée à 2h38. Miguel, appuyé sur le rebord de la fenêtre ouverte, était là, silencieux et immobile. Il était terrorisé, le regard fixe et vide. Quand je m'approcha de lui, il n'eut aucune réaction. Je lui ai alors touché le bras et il se tourna vers moi, avec un regard et une expression de visage totalement inconnue. Il finit par se laisser tomber sur le bord du lit»

Glorinda connaissait parfaitement bien son amie, sa confidente. Elles étaient maintenant voisine depuis près de 25 ans et quand elle perdit son cher Romuald, Laura l'avait considérablement aidé à surmonter l'épreuve la plus difficile de son existence.

Les propos de Laura commençaient à l'effrayer, ils étaient inhabituels et inquiétants. Elle avait terriblement chaud surtout en cette brûlante soirée d'été accentuée par le manque d'air et de vent.

Laura poursuivit:

- «Assis au bord du lit, il fixait avec insistance ses mains et quand il me regarda, les yeux rougis, il se mit à pleurer. Il reprit très progressivement ses esprits et commença alors à me décrire la scène irréaliste à laquelle il venait d'assister»

Glorinda écoutait cette description sans pouvoir ni vouloir prononcer le moindre mot. Elle avait subitement la gorge trop sèche. Son chemisier en coton bordée d'une dentelle façonnée à la main et du plus bel effet, lui collait la poitrine.

Laura continua son monologue.

Glorinda, incapable sur le moment d'avoir un raisonnement sensé, demeurait silencieuse.

Laura continua:

- «Il répétait en boucle ces quelques mots d'une langue inconnue et ne s'arrêtait plus . J'ai immédiatement appelé mon fils, morte d'inquiétude»

Glorinda, septique, précisa:

- «Mais aux dernières nouvelles, sa santé mentale est fragile. De plus, il suit un traitement particulièrement lourd et éprouvant, pouvant provoquer des hallucinations»

Laura, gênée et agacée par les propos de son ami, rétorqua:

- «Quoi? Tu penses qu'il perd les pédales? Qu'il aurait tout inventé ou imaginé?

Après tout, as-tu sans doute raison, mais il était tellement précis dans sa description, tous ces détails. Tu comprends pourquoi je tenais tant à me libérer de ce terrible fardeau qui me hante tous les jours»

Elles débattirent de cette troublante scène pendant encore quelques instants. Puis d'un commun accord resté silencieux, elles décidèrent de ne plus en reparler. Le dernier sujet quotidien concernait, comme toujours, le docteur Perkins.

Une semaine plus tard jour pour jour après avoir vu le centaure, Miguel s'endormit paisiblement dans son sommeil pour l'éternité.

Durant quelques semaines et plusieurs mois, le rituel de nos deux amies de longue date fut interrompu par une douleur difficile à surmonter. Mais le temps avait fini par prendre le dessus et par panser des blessures éternelles.

Les longs débats reprirent leur chemin et São Rafael se portait alors bien mieux. De timides sourires agrémentaient, de nouveau, de beaux visages endoloris.

Dr PerkinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant