Chapitre 11

13 3 0
                                    

Jack, affalé sur son canapé, se resservit un double scotch sans glaçons. Il ne réalisait et ne comprenait toujours pas la sévérité de la peine lui étant affligée.

Dans sa tête, résonnaient sans cesse les quelques mots prononcés par le juge. Le moment exact où il lui demanda de se lever et de venir à la barre afin de lui proclamer la sentence.

- «Monsieur Perkins» hurla le juge d'un ton proche de la colère. Immédiatement Jack compris que le monsieur formulé par le juge et non le terme de docteur en disait long sur la sanction de manière évidente.

Il continua:

- «Après délibération, compte tenu des éléments de ce dossier et des différents témoignages recueillis par cette cour, vous êtes déclaré coupable d'homicide involontaire sur la personne de madame Sims avec une double circonstance aggravante. Vous avez agi sous l'emprise d'un état alcoolique et de stupéfiants. Ce dossier a nécessité la consultation de l'ordre des médecins de notre région qui nous a transmis une décision sans équivoque. Nous avons proclamé à votre encontre une radiation à vie de l'ordre des médecins accompagné d'une peine de dix  ans de prison avec sursis. Par ailleurs, vous devrez verser à la famille de madame Sims la somme de 5 millions d'euros»

A ce moment-là, une évidence sauta aux yeux de Jack. Il payait bien évidemment pour son erreur chirurgicale mais il continuait de penser et de proclamer haut et fort qu'il fut piégé. Il était victime d'un complot monté de toute part afin de le détruire. Il n'avait aucun doute sur le fait qu'il avait sélectionné le bon fil de suture et que les emballages avaient été, très certainement, intervertis. La cour ne retint aucunement cet argument et mis l'erreur à part entière sur le facteur de l'alcool et des stupéfiants.

Par dessus tout, il devait assumer le fait que madame Sims était une femme influente, du fait de ses fonctions. Ce juge faisait partie à coup sûr, du cadre restreint et privilégié de ses amis proches.

Le procureur de la république prit ensuite la parole afin de sermonner Jack. Il prit un plaisir évident à rajouter un quart de tour au couteau, profondément enfoui dans l'estomac du condamné:

«Monsieur Perkins, j'ai une question à vous poser. Comment considériez-vous un chauffeur d'autocar conduisant en état d'ivresse et sous l'emprise de stupéfiants provoquant un accident de son véhicule et tuant plusieurs de ses passagers? L'autoriseriez-vous à pouvoir un jour reprendre le volant de son véhicule et à lui confier de nouveau une telle responsabilité?Vous aurez du temps à l'avenir pour repenser à toutes ces questions et surtout à vos actes indignes d'un professionnel qui doit être irréprochable compte tenu des responsabilités qui vous étaient attribuées en toute confiance. Vous apprendrez et vous vous formerez afin de pouvoir exercer une nouvelle profession de manière honorable et digne d'un homme respectable. Ce sera tout pour moi mon honneur»

Après concertation de son avocat et d'un commun accord, ils décidèrent de ne pas faire appel de cette peine. Ils acceptaient les conséquences d'une vie prise et ôtée trop tôt à une personne innocente.

Alors qu'il s'apprêtait à retirer l'énorme bouchon en cristal de sa magnifique carafe, il entendit la sonnette retentir en cette soirée trop calme. Il reposa le lourd bouchon sur la carafe et se dirigea, agacé, vers la porte d'entrée. Il avait congédié toutes ses femmes de service et devait dorénavant s'habituer à parcourir cette trop longue distance qui le sépare de la porte d'entrée. Cette maison aux dimensions illimitées l'écœurait désormais au plus haut point.

Il ouvrit la porte et un homme élégant d'une quarantaine d'années se tenait sur le perron. Il plaça une main au dessus des yeux afin de masquer une lumière éblouissante provoquée par l'ouverture de la porte.

- «Cette lumière est si puissante qu'elle doit aveugler vos invités cher monsieur. Excusez moi de vous importuner, je m'appelle Gregory Spinoza, je suis votre nouveau voisin en contrebas du versant»

Jack, se tenant d'un bras comme pour ne pas tomber, regarda de haut en bas son interlocuteur.

- «Vous parlez de la maison de madame Ricardo?»

- «Absolument, elle décida de quitter la région. Elle m'a très longuement parlé de vous et de votre gentillesse. C'est pourquoi je tenais à me présenter et à faire votre connaissance»

- «Soyez le bienvenu Monsieur Spinoza. Voulez vous rentrer boire un verre?»

De manière tout à fait inhabituel et sans aucune méfiance, Jack invita cet inconnu à s'immiscer dans son environnement personnel. Sans doute, se sentait-il terriblement seul et cette visite représentait une aubaine à ses yeux.

- «Non merci Monsieur Perkins, une autre fois, j'ai tellement de choses à ranger que ce ne serait pas raisonnable. Je ne sais pas par où commencer»

Jack, lourdement déçu rétorqua d'un ton agacé:

- «Comme vous voulez. Bonne soirée à vous et à bientôt alors»

- «Je ne vous oublie pas, j'aurai certainement besoin de vous très vite. Au revoir»

Jack resta perplexe sur le seuil de la porte en voyant cet individu lui tourner le dos et disparaître rapidement dans la brume de la nuit.

«J'aurais besoin de vous»

Comme se fut formulé étrangement pensa Jack. Il se rappela de la créature dans le parking lui déclarant avec une syntaxe similaire la même revendication.

Il ferma la porte et prit la précaution de verrouiller le système de sécurité. Il se dirigea de nouveau vers son salon et se lança sans le vouloir dans le décompte du nombre de pas nécessaires entre sa porte d'entrée et son canapé. Certainement, un TOC de plus.

Après 94 pas et plusieurs corridors traversés, il rejoignit son canapé. Il stoppa net sa course à la vue de Monsieur Spinoza assis sur son canapé, un verre de scotch à la main.

- «Après réflexion, je me suis dit que je ne pouvais pas rejeter votre invitation mon cher ami. Habituons nous à boire ensemble»

et il brandit son verre en direction de Jack attendant un retour de sa part.

Jack, la gorge nouée, se retourna songeant un instant à aller vérifier la bonne fermeture de la porte d'entrée, mais les 94 pas l'en dissuadaient. Il reprit des yeux la direction du canapé et il n'y avait plus personne. Monsieur Spinoza avait disparu. Les verres étaient là, au même endroit, tel qu'il les avait laissé.

«Quelle fatigue, je commence à avoir des hallucinations»

Jack se laissa tomber sur le canapé et se resservit un scotch qui se fit attendre trop longtemps à son goût. La maison redevint complètement calme et une sérénité bienfaisante l'envahit. Il finit par s'assoupir quelques heures, ivre et seul...

Du moins, le pensait-il.

Dr PerkinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant