Chapitre 25

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Mike fut assassiné par deux coups de couteaux dans le ventre. Il succomba en quelques minutes à une hémorragie interne. Lors de l'audition, l'officier de police judiciaire informa Jack qu'il s'agissait certainement d'un règlement de compte ou d'une vengeance personnelle. Mike était connu des forces de police pour son addiction toxicomane.

La veille de sa mort, comme un pesant pressentiment, il confia à Jack qu'il possédait une vieille voiture familiale. Elle était stationnée dans une zone industrielle en banlieue de Farnuca.

- «La boîte de vitesses est cassée mais tu pourras, si tu le souhaites, t'abriter. Tu auras à disposition différentes couvertures et même un réchaud, te permettant de manger chaud. Je te laisse un double des clés»

Jack était touché de cette attention qui ressemblait étrangement à un adieu.

Il retourna sur le camp en fin de matinée et les lieux étaient inaccessibles. Une équipe de police veillait à ce que le périmètre de sécurité soit respecté, repoussant les regards et comportements trop curieux. Ils l'autorisèrent après une fouille minutieuse à récupérer ses quelques affaires. Il prit ensuite la direction de la banlieue nord de Farnuca en quête de son abri récemment hérité.

Il marcha pendant de longues minutes. Il était comme un enfant excité par l'acquisition d'un nouveau jouet. Il arriva enfin dans une longue rue rectiligne, bordée de locaux et bureaux professionnels. Du côté gauche de la route, sur une centaine de mètres, des places de stationnement gratuites étaient vacantes en attente des visiteurs du mercredi venus faire leur marché de manière tout à fait habituel. Mike détestait ce jour de la semaine attirant une foule trop bruyante et envahissante.

Jack arriva à hauteur d'un monospace gris clair. Le phare avant gauche était cassé, la plaque d'immatriculation ne tenait plus que d'un côté et le pare brise était fissuré. Les pneus étaient sous gonflés et les stigmates d'une immobilisation prolongée et dégradante caractérisaient l'état général du véhicule.

Les vitres étaient recouvertes, de l'intérieur, d'un film en plastique bleu empêchant et repoussant les regards indiscrets.

Jack enfonça la clé dans la serrure de la porte conducteur. Il craignait que la porte lui résiste et qu'elle demeure verrouillée dans le plus grand des désespoirs. Le soulagement prit le dessus quand la porte s'ouvrit dans un grincement plaintif, caractéristique du manque de graissage.

Une terrible odeur, difficilement identifiable aux premiers abords dérangea ses narines. Un mélange d'humidité, d'huile et d'hydrocarbure usagés, agrémentés d'une pointe de pourriture. En quelques instants, les mauvaises odeurs passèrent au second plan. Il pouvait jouir dès à présent du siège passager déchiré sur les renforts lombaires, au confort spartiate mais amplement satisfaisant.

Jack consacrait l'essentiel de ses maigres apports financiers à assurer son alimentation quotidienne. Il avait pris, depuis le meurtre de Mike, de ne plus toucher à la drogue. Il achetait de minuscules bouteilles de gaz, lui permettant de réchauffer ou de cuire certains aliments. Il s'approvisionnait également auprès de groupes de soutiens alimentaires lui fournissant des légumes et autres féculents. Néanmoins, il avait considérablement maigri et chiffrait sa perte de poids en dizaines de kilos. Son hygiène personnelle se dégradait inévitablement, notamment depuis l'acquisition du véhicule qui ne l'obligeait plus à se déplacer pour s'abriter ni se laver. Il souffrait de rhumes chroniques et ses dents fragilisées et cassées l'obligeaient à supporter d'effroyables douleurs.

Les semaines et les mois passaient, sans que Jack ne prenne en compte la spirale infernale dans laquelle il s'enfermait. Il lui arrivait de prier plusieurs fois par semaine pour que chaque seconde passée soit la dernière. Il priait de toutes ses forces pour que son cœur s'arrête et que le combat de toute une vie s'achève, acceptant la défaite comme dernier recours.

Il profitait de la cohue du mercredi pour se rendre au centre social de Farnuca où il bénéficiait d'un déjeuner rassasiant et d'une douche bienfaisante. Une démarche machinale et automatisée, rythmait donc ces journées du mercredi qu'il attendait désormais avec une impatience croissante.

Il en profitait pour se tenir informé de l'actualité. La réapparition des structures noires au dessus de l'arctique et de l'antarctique, depuis maintenant plusieurs semaines, le laissait profondément sceptique. Elles demeuraient immobiles et statiques comme pour se fondre dans le paysage telles des nuages dans le ciel ou les étoiles dans la nuit. Une phrase d'un journaliste le choqua au plus haut point:

- «Ces énormes structures noires dans le ciel sont devenues un élément presque normal, voir banal dans le quotidien de la population. Plus personne n'y accorde la moindre attention»

Il établissait de plus en plus un lien clair et évident, entre ces structures et les apparitions extraordinaires des créatures inhumaines venues d'ailleurs. Selon lui, de toute évidence, sa chute sociale était provoquée intentionnellement dans un but précis et recherché par ces monstres extraterrestres.

Ce jour-là, en revenant vers son véhicule, il ressassait et répétait en boucle les mots du journaliste dans sa tête.

Arrivant à l'emplacement du véhicule, son précieux avait disparu. Ne voulant pas admettre la vérité, il pensa aussitôt que ses yeux et son profond inconscient lui jouaient obligatoirement des tours. Il ne pouvait pas en être autrement. Il y avait à la place vide, une énorme tâche noire, certainement d'huile au sol et des morceaux de caoutchouc, marquaient l'emplacement des quatre roues.

- «J'ai tenté de les dissuader de l'enlever. Ils ont rien voulu savoir. Ils avaient la directive de la virer et ils ressemblaient à des robots exécutant un ordre donné. Tous les arguments du monde étaient inutiles face à cette obstination acharnée»

Un jeune homme d'une vingtaine d'années, ému, fixait Jack attentivement. Il s'agissait d'un employé du service postal travaillant juste en face du parking. Au moment où il quittait son entrepôt, il tomba nez à nez avec ces agents de la sécurité publique. Ils étaient accompagnés d'une dépanneuse, afin d'effectuer en quelques minutes cet enlèvement assassin et dramatique.

Jack aurait préféré, de toute évidence, recevoir un coup de poignard dans le ventre, lui explosant le foie ou la rate, le tuant en quelques minutes. La détresse était commune aux deux hommes et une sincérité poignante était lisible sur le visage du jeune employé. Il réalisait à quel point ce véhicule faisait partie intégrante de Jack. Lui ôter, revenait à prendre une part vitale de son âme et de ses dernières forces.

Il ne lui restait plus rien. Jack observa tout autour de lui, cherchant à priori un moyen d'en finir, au plus vite. Il quitta les lieux rapidement, ne voulant pas s'attarder, tant la douleur était importante, ignorant l'aide du jeune homme.

Il reprit d'un pas nonchalant la direction de Farnuca. Il semblait que tous les événements le renvoyaient systématiquement en direction de la capitale. Il marcha tel un zombie plusieurs heures et termina sa course dans une ruelle étroite et abandonnée de la ville. Il s'effondra entre deux énormes conteneurs. Cette nuit d'hiver était glaciale et il se rappela les avertissements du présentateur météo, alertant de cette vague de froid avec des températures nocturnes proches des -10 degrés.

Plié derrière l'un des conteneurs, Jack déploya un carton qu'il posa sur ses jambes et son bassin. Ses larmes semblaient immédiatement se durcir sur ses joues.

Il ferma les yeux, pensant au déclin de sa vie et à sa famille, qu'il avait perdue à tout jamais. En quelques minutes, il s'assoupit de fatigue, malgré ce froid et ce vent glacial.

Après quelques instants, une chaleur inespérée et improbable monta en lui. Il se sentit apaisé et décontracté. Il ne ressentait absolument plus le froid lui paralysant tout le corps.

- «Sans doute me suis-je endormi. Je suis en train de rêver et je me téléporte ailleurs, loin de cet enfer, dans un pays lointain imaginaire et idyllique»

Soudain, il porta son avant bras au dessus des yeux afin de limiter l'aveuglement provoqué par une lueur éblouissante. Une intensité lumineuse comparable à celle observée lors de sa tentative de suicide, au bout du couloir sans fin.

Sa montre affichait 01h43 en ce 16 février 2017.

Plus rien n'avait d'importance se disait-il. La fin était proche.

Dr PerkinsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant