« Merci, t/p. »

Je profitais du chemin restant pour lui raconter un peu mon voyage en Corée, pour lui parler de notre cousin dont je portais le pull. Nous rigolâmes beaucoup, c'était agréable. Le grand bâtiment blanc apparu enfin, à un tournant. Je descendis de la voiture et mon frère me demanda de ramener ma mère, je lui fis un clin d'œil.

Avant d'entrer, je me tournai vers mon frère et lui fis signe. Je me sentais bien, apaisée. Je poussai la lourde porte et entrais, j'avais l'impression d'être légère, de flotter au-dessus du sol. Je me dirigeai directement vers le bureau de mon père mais une dame à l'accueil me héla.

« Excusez-moi, vous ne pouvez pas entrer sans autorisation spéciale dans les laboratoires.

- Ah oui pardon, je viens chercher ma mère, je n'en ai pas pour longtemps...

- Mademoiselle Mercier, s'exclama-t-elle, excusez-moi je ne vous avais pas reconnue. L'accès aux laboratoires vous est bien entendu ouvert, vous et votre famille êtes les bienvenus ici. Votre père a fait tant de choses pour notre société ! Avez-vous besoin que je vous guide ?

- Non... non merci, je devrais me retrouver. »

Je m'éloignais le plus rapidement possible d'elle et de son guichet. Elle continua de crier des choses à propos du respect envers notre famille et surtout mon père. J'accélérais encore le pas. J'avais oublié que mon père avait des fans dans le corps scientifique, et je souris en me remémorant comment il les fuyait discrètement. Mes pieds me menèrent d'eux même jusqu'au labo de mon père.

La porte de l'ancien laboratoire de mon père portait toujours sa plaque. Je pris une grande inspiration et ouvris la porte. Dans le laboratoire, rien n'avait changé, il était comme autrefois, quand je venais voir mon père travailler. Des feuilles étaient toujours entassées partout sur le bureau, des tubes ainsi que des béchers et d'autres contenants étaient éparpillés sur la paillasse, dans un coin, des cages où il gardait ses rats pour les expériences étaient empilées, vides. Une couche de poussière avait recouvert le tout et l'un des néons clignotait irrégulièrement, prouvant que le temps avait passé depuis que mon père était décédé.

Ma mère se tenait là, au beau milieu de cette pièce où j'avais tant admiré mon père. Elle était immobile, face à moi. Avait-elle encore maigri depuis mon départ, ou bien était-elle déjà dans cet état pitoyable ? je ne me souvenais plus. Nathan m'avait pourtant dit qu'elle allait un peu mieux... Pour la première fois depuis ce qui me semblait une éternité, je voulais la prendre dans mes bras, mais même si mon esprit me criait de la prendre dans mes bras, je ne le fis pas. Je n'étais pas venue là pour cela, j'étais venue pour lui demander des explications sur ses actes. Je sentis la colère monter à nouveau en moi.

Elle fit un pas vers moi, et toute la colère que je m'efforçais de rassembler en moi fut balayée d'un coup. Plus je m'approchai d'elle, plus je m'apercevais de l'étendue des dégâts. Ses cheveux avaient perdu de leur éclat, sa peau était livide, collée à ses os. Je pouvais voir son pouls sous sa peau, au niveau de son cou et c'était la seule chose qui me convainquit que ma mère n'était pas un fantôme.

« T/P ! fût le premier mot qui franchit ses lèvres gercées.

- Maman, réussis-je à articuler malgré ma gorge serrée »

Elle s'assit lourdement sur la chaise de bureau qui grinça légèrement.

« Maman, repris-je essayant de rassembler mes idées, qu'est-ce que tu fais ?

- Chérie, ces recherches, c'était une grosse erreur... cette erreur a tué ton père... je dois réparer les erreurs...

- Non... c'est la maladie qui l'a tué, dis-je sans comprendre ma mère, celle contre laquelle il se battait au quotidien en cherchant un traitement efficace. Il me l'a dit dans sa lettre. Il ne voulait pas qu'on détruise ses recherches, il voulait qu'on les poursuive. Les détruire est une erreur.

- Oui, je sais, mais...

- Mais quoi ?! c'est pourtant clair non ?! comment peux-tu aller contre sa volonté ?!

- Je... (elle leva les yeux vers moi, sans vraiment me voir) c'est moi qui ai tué ton père. »

- Quoi ? non, bien sûr que non, c'est la maladie maman.

- C'est moi qui lui ai dit de faire des recherches sur cette maladie après qu'un des parents de ton école en ait succombé. Il n'était pas d'accord, il trouvait ça trop dangereux mais j'ai insisté, comme à chaque fois. Je le forçais toujours à faire ce qu'il ne voulait pas, je n'étais pas une bonne épouse.

- Tu lui as peut-être un peu forcé la main, mais au final, il était heureux de les faire, ces recherches, parce qu'il savait que ça pouvait sauver un grand nombre de vies.

- Il ne voulait pas, répétait-elle, je l'ai mené à sa mort. »

Elle ne m'entendait pas, elle était trop enfermée dans sa culpabilité et celle-ci la rongeait de l'intérieur. Elle ne m'en avait jamais parlé, et un étrange sentiment me disait qu'elle n'était pas consciente de ma présence dans la pièce. Elle avait le regard absent, toujours fixé sur moi, son corps traduisait à voix haute ses pensées noires sans qu'elle ne s'en rende compte. Depuis quand avait-elle des pensées aussi noires ?

Elle me rappelait Ji-An, et ma rencontre avec elle me revint à l'esprit. J'espérais qu'elle allait bien. Ma mère basculait rapidement d'avant en arrière sur la chaise, comme Ji-An l'avait fait. Je m'approchais d'elle et m'agenouillait devant elle. Délicatement, je posais mes mains sur ses cuisses. Elle réagit à mon contact, mais continuait de répéter « J'ai tué mon mari, c'est ma faute ». Je pris ses mains dans les miennes, elles étaient congelées. Je fis rouler mes pouces doucement sur sa peau, et son regard redevint présent un instant.

« Chhhh... écoute ce que je vais dire maman. La maladie a tué Papa. Pas toi. Tu comprends ? Il savait qu'il risquait plus que quiconque de la contracter, mais il a quand même décidé de se battre contre, parce qu'il savait aussi que nous, nous pouvions la contracter aussi. Et il ne voulait pas que nous la contractions parce qu'il nous aimait. Nous sommes sa famille, bien qu'imparfaite il nous aimait de tout son cœur, et il voulait nous protéger de cette maladie parce qu'il savait qu'il en était capable. Dans la lettre qu'il m'a laissée, il a mis une liste de chose à modifier dans ses recherches. Même après sa mort, il continue de vouloir nous protéger de cette maladie, et ça, tu ne l'as pas forcé à le faire. Il était comme ça, c'est pour ça que tu l'aimais tant.

- Je l'aimais tellement, il était tout mon monde.

- Nathan et moi, nous sommes aussi ton monde, nous sommes ta famille. Et nous nous sommes réconciliés. Nous allons pouvoir vivre comme une vraie famille maintenant ! »

Je la pris dans mes bras et sentis ses larmes couler sur mon épaule, mais moi, je ne pleurais pas. Je souriais. « Je m'occupe d'elle, Papa, ne t'en fais pas, pensais-je »

DifférenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant