Lorsque nous fûmes enfin à Seoul, il était 23 heures. J’étais exténuée par cette journée et je suis allée directement dans la chambre aux draps Ironman sans même saluer les membres qui avaient attendu notre retour dans le salon. Je m’enfermai dans la pièce, m’allongeai sur le lit, pris une peluche et la serrai fort contre moi. Je finis enfin par sortir la lettre de mon père. Mon cœur se serra en voyant l’écriture fine de celui-ci. La lettre était entièrement en français, sauf la signature. Tremblante je commençais à lire.
« Chère t/p, ma fille adorée,
Si tu savais à quel point mon cœur souffre de devoir t’écrire cette lettre, parce que l’écrire signifie que je ne vais plus pouvoir te regarder grandir, t’épanouir, faire des erreurs et les corriger ensuite. Ça signifie que je ne vais plus pouvoir m’inquiéter pour toi. Mais c’est mieux de t’écrire cette lettre plutôt que de ne rien faire, de toute manière je n’aurai pas le courage de te le dire en face, il faut que tu profites encore de cette nuit avec moi pour dormir sur tes deux oreilles. J’aurai aimé avoir encore du temps, l’éternité, à passer avec toi mais je ne crains devoir changer de plan… mon petit rayon de soleil je suis tellement désolé, j’aurai dû faire plus attention, mais je me suis fait contaminer par cette maladie que je combattais pour d’autres, pour tous. Encore une fois l’ironie du sort, mais je préfère que ça tombe sur moi plutôt que sur n’importe qui d’autre au laboratoire. Mais j’ai échoué. J’ai échoué Yunh So, dans ma propre bataille. Demain je vais devoir retourner au laboratoire pour une nouvelle session d’injection de l’antidote. De mon travail de ses 15 dernières années. Sauf que le remède ne marchera pas. J’en suis sûr. C’est pourquoi je te joins à cette lettre une liste de toutes les choses que j’ai ratées.
Oh… mon enfant, je ne sais pas comment exprimer ce que je ressens. Je suis tellement fier de toi, j’espère que tu t’en rends compte. Pourtant chaque jour mon cœur se déchire chaque jour un peu plus quand je te vois mettre ta lentille. Te donner cette lentille est certainement la plus grosse erreur que j’ai jamais faite. Au lieu de te cacher, toi, nous aurions dû adapter le monde pour que tu puisses y être comme tout le monde, parce que tu n’es pas le monstre que les gens voient. Mais d’un autre côté, si nous ne l’avions pas fait, tu n’aurais peut-être pas développé ce talent et surtout cette passion pour la danse. Je ne me lasserai jamais de te voir danser. Si tu savais ce que je donnerai pour te voir danser, encore une toute dernière fois. Revoir cette lueur dans tes yeux, cette lueur qu’on ne peut y voir à aucun autre moment. Je te le demande Yunh So, n’arrête pas la danse et enlève cette lentille. Je comprends que ça te demande un effort énorme, que ça te parait insurmontable, mais tu dois le faire pour avancer dans ta vie. Tu dois arrêter de te cacher, et, même si j’aurai aimé être là quand ce grand jour arriverait, il semblerait que je sois rattrapé par la réalité.
J’ai un rêve, tu sais, dans lequel je n’apparais pas. Je te vois, toi et ton cousin Jungkook, qui est lui aussi un grand danseur, et vous dansez tous les deux sur une scène, dans une grande salle, devant beaucoup de monde. Vous êtes là, ensemble et vous avez l’air de vous connaître depuis toujours, vous faites un duo mais vous avez aussi des danseurs. Quand vous terminez votre danse, une salve d’applaudissement se fait entendre et le rideau se referme sur vous.
Tu ne le sais peut-être pas mais Jungkook fais parti d’un groupe de musique nommé BTS et il est la fierté de son côté de la famille. Même de sa grand-mère, ma mère. J’ai dû te paraitre méchant quand je parlais de ma mère, et tu as peut-être même cru que je la détestai, mais ce n’est pas le cas. Je ne suis juste pas à la hauteur de ma mère, j’ai honte. Je suis la cause même de son malheur. Tout est de ma faute. Et même si j’aurai dû être heureux qu’elle ait refait sa vie, qu’elle soit de nouveau heureuse avec son autre fils, je ne peux m’empêcher de penser que c’est avec moi et mon père qu’elle aurait dû vivre comme une véritable famille. Si un jour tu la vois, elle ou mon frère, dis leurs que je suis désolé et que je les aimais.
Je t’en supplie ne reste pas coincée dans le passé, vis pour nous deux, parce que je t’aime plus que ma propre vie, je ne veux pas te la gâcher alors que tu as encore tant de choses à découvrir !!
T’avoir dans ma vie et pouvoir affirmer que tu es ma fille est ma plus grande fierté, ne l’oublies jamais.
Ton très cher père,
전 희철. »
Je relus la lettre encore deux fois avant de la replier et de la ranger, ainsi que la feuille des instructions pour le vaccin, dans son enveloppe. Je me levai pour la mettre dans mon sac mais mes jambes flageolaient et ma tête tournait, si bien que je me suis effondrée sur le rebord de mon lit. Mes joues étaient inondées et la housse de couette le fut rapidement aussi. Pourtant, pour la première fois de ce voyage je ne pleurais pas de tristesse ou de peur, je pleurais de soulagement. Mon père était fier de moi, il me l’avait dit et pas seulement dans une lettre.
La veille de sa mort, j’étais allée le voir pour lui souhaiter une bonne nuit. Il m’avait paru fatigué, inquiet. De nouvelles rides avaient pris places sur son front et autour de ses yeux noirs dont j’avais à moitié hérité. Ce jour-là, il m’avait prise dans ses bras et m’avait chuchoté à l’oreille :
« Je t’aime, trésor. Tu es ma plus grande réussite. Tu es une magnifique jeune femme bourrée de talent en plus de cela. Tu dois te montrer au monde comme tu es. Sans ta lentille. »
J’avais oublié ce moment pendant tout ce temps, mais, à ce moment-là, sur le rebord de ce lit aux draps Ironman, je revoyais parfaitement la scène. Je me souvenais de la force de son étreinte, de son souffle court dans mes cheveux, de sa voix chuchotée, de la fierté puis la peur que m’avaient inspirés ses paroles. Pourtant, sur ce lit, en Corée du Sud, loin de chez moi, j’étais déterminée. Jamais plus je ne mettrais cette lentille. Je me levai et cette fois ci je ne tombai pas. Je pris mon étui à lentille sur la table de chevet, l’ouvrit, saisit la lentille, mon seul bouclier contre ce monde si cruel, et la jetai dans la poubelle. J’étais différente et je n’avais plus honte de l’être. L’âme légère je me suis allongée dans mon lit et me suis enfoncée dans un sommeil paisible.
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Différente
Fiksi PenggemarT/p vit une vie solitaire, loin de ses pairs et de sa famille. Un jour, elle va découvrir que Jeon Jungkook de BTS est son cousin et qu'un mystère plane sur sa famille. Elle va tenter de résoudre ce mystère, repoussant ses limites, et, sans s'en ren...