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« Douleur chronique » ne suffit pas à décrire la souffrance épuisante, constante, incessante, à laquelle on ne peut échapper, John Green.


Emerson poussa les portes du grand bâtiment blanc avec appréhension. Il connaissait pourtant ce lieu par cœur et s'y rendait encore au moins une fois par mois. L'odeur désagréable de l'hôpital le mettait mal à l'aise. Ses parents avaient insisté pour l'accompagner, mais il leur avait interdit en stipulant qu'il avait 18 ans, bientôt 19, et qu'il préférait y aller seul.

Il effectua sa visite de contrôle puis fit un détour par le service cardiologie et tapa deux légers coups à la porte d'une chambre. Une faible voix lui répondit qu'il pouvait rentrer. Emerson pénétra dans la pièce mais ses pas se stoppèrent net lorsqu'il vit dans quel état se trouvait son meilleur ami. Mike souffrait d'une grave forme d'insuffisance cardiaque. Il était branché à tout un tas de machines et sa respiration était erratique.

-    Emerson ! s'écria celui-ci en tendant sa main vers lui.

Le jeune homme se saisit de cette dernière et la serra contre lui. Son sourire habituel avait disparu. Il n'était pas médecin mais connaissait très bien les maladies cardiaques. L'état de son ami n'annonçait rien de bon.

-    Que ce qu'il s'est passé pour que tu te retrouves dans cet état-là, demanda doucement Emerson.

-    Oh la routine mon pote. J'ai voulu faire le malin en croyant que je pouvais marcher plus de 10 minutes, mais c'est plus aussi drôle sans toi, répondit ce dernier, la respiration sifflante.

-    Pourquoi tu fais ça Mike ?! Tu sais très bien que tu te fais du mal ! s'écria le jeune homme.

-    Em, je vais mourir. Mon état se dégrade de jour en jour. Les médecins ont dit que je ne tiendrais plus très longtemps. J'en ai marre de m'interdire un tas de choses alors que le dénouement sera le même.

Emerson savait mieux que personne que sortir de ce genre de maladie était quasiment impossible. A moins d'un don du ciel. Il savait ce que ressentait son ami, mais l'entendre dire lui brisait le cœur. Il se sentait tellement coupable. Mike allait mourir. Il se mit dos à lui ne voulant pas que celui-ci puisse voir les larmes qui coulaient à flot sur son visage.

Il ne serait jamais devenu quelqu'un d'aussi positif et souriant sans l'aide du jeune homme. Il ne serait peut-être même plus encore en vie. Et ce dernier allait mourir.


Illéa détestait ses rendez-vous mensuels chez le psychiatre. Elle ne trouvait aucun intérêt à ce suivi psychologique qu'on lui imposait. Mais ses parents et ses médecins s'étaient mis d'accord, elle avait besoin d'aide pour s'en sortir. Elle n'était pas du même point de vue mais elle n'avait pas le choix, en ce moment même sa mère la tirait par le bras pour l'obliger à rentrer dans l'hôpital.

-    Mais maman, ça ne sert à rien, ça ne marche pas c'est nul et en plus je l'aime pas ce psy moi !

-    Illéa tais toi s'il te plaît et avance !

Elle finit par la suivre à contrecœur, sans oublier d'afficher une mine boudeuse.


Elle venait de passer une heure à se regarder dans le blanc des yeux avec son psy, sans dire plus d'une phrase. Celui-ci souffla, résigné.

-    Tu es au courant que si tu souhaites que ces rendez vous s'arrêtent, tu dois me parler et pas bouder comme une enfant de 5 ans Illéa, dit-il gentiment.

-    Désolée, vous n'y êtes pour rien, seulement, je n'ai rien à vous dire. Parler de mon passé ne m'aidera pas à le surmonter et à l'affronter. Et puis, je ne veux même pas en parler avec mes parents, ce n'est donc pas à vous que je vais raconter tous mes états d'âme, répondit-t-elle poliment.

-    Tu finiras peut-être par changer d'avis, la séance est finie. Tu peux y aller. Prends soin de toi Illéa et ne fais pas de bêtises.

-    Oui chef, répliqua-t-elle en roulant des yeux.

Elle récupéra son sac et se précipita en dehors de la salle. Sa mère la regarda, dépitée.

Emerson ferma la porte de la chambre 372 et s'effondra. Son corps était secoué de soubresauts et ses larmes ne pouvaient plus s'arrêter.  Il s'en voulait de réagir comme cela. Il s'était préparé à ce moment depuis qu'il connaissait Mike. Il ne s'attendait cependant pas à ce que ce soit lui qui doive faire son deuil, il pensait partir avant lui. Tout le monde pensait cela.

Il prit l'ascenseur tel un zombie pour se retrouver dans le hall de l'hôpital. Il ne pouvait pas reprendre la route dans cet état-là. Il devait d'abord se calmer. Il décida donc de se prendre un soda à la cafétéria. Il s'installa à une table et se remémora tout ce qu'il avait vécu avec Mike.


Le téléphone de Jayne sonna, c'était son boulot. Elle s'excusa au près de sa fille et lui donna de l'argent afin qu'elle puisse s'acheter un en-cas. Ce qu'elle fit. En cherchant une table à laquelle s'assoir, ses yeux se posèrent sur une silhouette qu'elle semblait connaître. Soudain le jeune homme releva la tête et leur regard se croisèrent. L'un comme l'autre était choqué et surtout gêné de se rencontrer dans ces conditions.

Illéa crut d'abord à une vision, mais en regardant mieux, c'étaient bien des larmes qu'elle apercevait sur le fin visage d'Emerson. Toute la haine qu'elle ressentait envers lui se tassa légèrement à la suite de cette image. La douleur qu'elle vit sur son visage lui fit mal. Elle se rendit compte qu'elle l'avait jugé un peu trop rapidement, même si ce n'était pas du tout son genre. Ne plus voir sa joie de vivre et son grand sourire la sonnait, il semblait vide d'émotions, détruit. Elle connaissait très bien ce genre de sentiments. Elle savait à quel point c'était dur, elle hésita à aller le voir.

Emerson eut envie de s'enterrer sous terre. Illéa avait peut-être raison finalement, la vie était injuste. Il la détailla longuement. Elle avait toujours le même visage fermé et froid, aucune émotion, comme toujours. Il ne voulait pas qu'elle le voit dans cette posture. Cela l'embarrassait énormément, elle le voyait faible, sans sourire. Elle l'énervait tellement, toujours là quand il ne le fallait pas, avec son air condescendant et sa façon d'être si hermétique, il détestait ça. Soudain, une question lui vint à l'esprit. Pourquoi était-t-elle à l'hôpital ? Il ne l'avait pourtant jamais vu ici, du moins il ne s'en souvenait pas. Son indiscrétion reprit le dessus, désormais il était curieux, il voulait savoir. Il savait pertinemment qu'on ne venait pas dans ce lieu par pur plaisir.

Illéa s'apprêtait à le rejoindre mais fût stoppée par le retour de sa mère. Elle hésita mais se résigna à ne pas s'immiscer dans sa vie. Après tout, elle se serait certainement faite rejetée par ce bougre. Et puis il lui aurait certainement demandée ce qu'elle faisait là, et elle n'aurait pas pu répondre. Personne ne savait qu'elle voyait un psychiatre, qu'elle prenait des médicaments pour sa santé mentale. Elle en avait honte, et surtout, elle avait peur qu'on ne la prenne pour une folle. Malgré tout ce qu'elle disait, le regard des autres était très important pour elle, et surtout très destructeur. Son air impassible cachait une immense sensibilité, peu de gens en avait conscience, beaucoup pensaient que rien ne l'atteignait mais la vérité était toute autre.

Elle détourna les yeux de lui, pivota doucement et suivit sa mère vers la sortie, encore abasourdie par la rencontre qu'elle venait de faire.

Emerson était déterminé à découvrir son histoire, il était peut-être un peu trop inquisiteur, mais c'était une manie chez lui de vouloir connaître les gens, la plupart du temps, c'était assez simple de les faire parler, certains étaient même des livres ouverts. Mais Illéa était indéchiffrable, même pour lui.

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