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Qu'ai-je fais pour exister ? Denis Diderot

Emerson se stoppa net. Si brusquement que Mike faillit basculer de son fauteuil.

Ses mains se crispèrent autour des poignées de la chaise roulante. Il n'arrivait pas à déceler le vrai du faux, était-t-elle sincère ? Il savait qu'elle était une grande manipulatrice, elle agissait et mettait tout en œuvre afin de s'en sortir et que rien ne l'atteigne, et il ne pouvait pas lui en vouloir, d'un côté elle avait raison d'agir ainsi. En revanche, il n'arrivait pas à lui faire confiance. Il avait remarqué avec le temps à quel point elle était instable. Elle pouvait très bien s'excuser sincèrement et quelques minutes plus tard lui mettre à l'envers. Elle était une des seules personnes avec qui il ne savait pas comment agir.

- Je t'ai dit qu'on en parlerai demain, répondit-t-il froidement.

Illéa sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle savait qu'il lui en voulait, et elle pouvait tout à fait le concevoir, mais elle avait fait des efforts, ce qu'elle ne faisait jamais, et il l'avait repoussé. Elle ressentit exactement la même douleur qu'avait éprouvé le jeune homme quelques heures auparavant lorsqu'elle n'avait pas voulu de son aide alors qu'elle était en grande détresse, lorsqu'elle aussi l'avait rejeté.

Depuis qu'elle s'était réveillée dans ce lit d'hôpital, en vie malheureusement, elle s'était promis que plus jamais quelque chose l'atteindrait, ou que du moins personne n'en saurait jamais rien, personne ne pourrait jamais savoir ce qu'elle ressentait. Peu à peu, elle s'était forgé une carapace de plus en plus solide. Plus personne ne la reconnaissait, son visage restait impassible, toujours. Même lorsqu'on lui avait annoncé qu'elle avait perdu son procès, elle était restée de marbre, n'avait prononcé aucun mot.

A la suite de cela, elle ne parlait d'ailleurs presque plus, les seules fois où elle ouvrait la bouche, c'était pour faire des remarques sarcastiques.

Les seules personnes qui arrivaient encore à réellement la blesser était sa famille, cependant ils connaissaient son histoire, savaient à quel point c'était dur pour elle, à quel point elle détestait la vie, à quel point elle avait du mal à s'excuser, alors ils faisaient en sorte que cela n'arrive pas.

Ces derniers temps, tout était devenu différent, Emerson avait réussi à fortement fissurer sa carapace, mais lui ne connaissait pas son histoire, il ne savait pas à quel point ce qu'elle venait de lui dire était incroyable.

Le peu d'humanité qu'elle venait de lui montrer disparu aussitôt. Elle agissait comme un animal, ses mécanismes d'auto-défense prenaient le dessus. Il venait de lui prouver, et ce n'était pas le premier, que montrer ses sentiments était une immense connerie, la seule chose qu'elle y gagnait était de la souffrance.

Elle voulut crier à s'en briser les cordes vocales.

- Si tu ne veux pas lui parler devant moi, aucun souci Emerson, mais, même si je ne connais pas la situation, tu ne peux pas lui répondre comme ça alors que ça se voit à plusieurs centaines de kilomètres que ça lui a demandé un effort surhumain de formuler ces excuses.

Mike avait dit cette phrase d'un air réprobateur, les sourcils froncés. Il savait que son ami était une vraie tête de mule extrêmement rancunier, cependant, il appréciait déjà la jeune femme alors qu'il ne la connaissait que depuis quelques minutes.

Il avait une vision des choses très particulière, il n'aimait bien et se sentait proche que des personnes qui savaient ce qu'était la souffrance. Il était très fort pour déceler des failles chez les gens, et selon lui, seulement les gens ayant souffert savaient ce qu'était réellement la vie. Il les trouvait plus intéressants, plus intelligents, la douleur était pour lui synonyme de sagesse. C'était une vision des choses bien sombres et pas très humaniste, il en était conscient, mais il savait aussi que les gens de son âge sans problèmes n'étaient pas comme lui, ni comme Emerson, ni comme Illéa.

ParallèlesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant