Sur les mondes détruits, le temps est immobile, Joseph Laurent Gilbert.Elle était si énervée et si triste à la fois. La peur qu'elle avait ressentie face à Conrad ne voulait plus quitter son esprit. Elle qui avait pourtant appris à se battre aux côtés de son père, elle qui avait un caractère de feu, elle s'était retrouvée pétrifiée face à lui. Cette peur et les reproches dont il l'avait assailli remémorait en elle d'horribles souvenirs. Son cœur lui faisait mal, elle avait l'impression qu'une plaie béante s'était réouverte entre elle.
Elle ne s'en sortirait jamais. Elle était condamnée à souffrir.
En voyant Emerson, elle se rappela les reproches qu'elle voulait lui faire.
- Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu avais invité toute la ville putain ?! Et pourquoi m'avoir invitée moi aussi ? Putain, putain, putain ! s'écria-t-elle à bout de nerfs.
Ce dernier se stoppa net. Elle n'avait pas besoin de lui dire, il s'en voulait assez comme ça. Il se retourna lentement et la regarda. Il ne la voyait pas bien dans la pénombre, mais ses yeux étaient remplis de larmes.
Il vint s'assoir à côté d'elle sans lui répondre. Elle voulut s'éloigner de lui mais aperçut sa coupure à la lèvre de laquelle s'échappait encore un petit filet de sang.
- Je suis désolé. Je suis un gros con, répondit ce dernier.
Elle acquiesça.
- Je ne sais même pas pourquoi je t'ai invité, je m'en veux vraiment. Pour ma défense, je ne savais pas que tu détestais la foule à ce point. De toute façon tu n'avais pas l'air de vouloir rester longtemps, tu n'es même pas en maillot !
- Je pensais pourtant que c'était assez évident que les gens ce n'est pas ma tasse de thé. Et ça n'a rien à voir, je suis très frileuse, je n'aurais pas pu me baigner.
Elle avait craché ses mots. Il la regarda, sceptique. C'était peut-être pour cela qu'elle portait toujours des tee shirts à manches longues.
Illéa se redressa, saisit brusquement sa main et demanda d'une voix froide :
- Où est ta salle de bain ? On doit te soigner.
- Euh, deuxième étage, première porte à gauche.
Il fût à la fois surpris et touché par son geste.
Une fois dans la salle de bain, Illéa pris les choses en main sans lui adresser la parole, son visage froid et impénétrable était de retour. Elle savait comment s'occuper de petites plaies comme celle-ci. Emerson, lui, la regardait faire, essayant de la déchiffrer. Elle semblait porter tout le poids du monde sur ses frêles épaules. Il aurait aimé la soulager, mais il n'en n'était pas capable, c'était au-dessus de ses forces.
Il la trouvait jolie malgré tout. Il y a quelques temps encore, il lui ressemblait beaucoup, mais depuis qu'il avait survécu au passage de la faucheuse, il ne supportait plus de ne pas voir un sourire sur chaque visage qu'il croisait. Il avait été si déterminé et si courageux, que même la mort n'avait pas réussi à l'avoir. Il était fier de lui, fier de son parcours et de son changement radical de façon de penser.
Ce qu'il ne savait pas, c'est que Illéa aussi avait échappée à la mort, contre son gré cependant.
Elle y pensait chaque matin en se levant, chaque soir en se couchant. Que se serait-il passé si ce jour-là elle avait succombé ?
Emerson enleva son haut, du sang avait coulé dessus. Illéa détourna le regard, gênée. Lui, ne s'en rendit même pas compte. La jeune femme dos à lui, il en profita pour observer son reflet dans le miroir, un léger bleu commençait à apparaître sur son menton. Il soupira, nettoya le liquide rouge qui se trouvait sur lui puis se retourna pour regarder la jeune femme.
- Tu peux te retourner tu sais, t'es pas obligée de fixer la porte comme une demeurée, rigola Emerson.
Elle se retourna alors, s'apprêtant à l'insulter, mais la vision d'une grande cicatrice barrant le torse du jeune homme l'empêcha de parler. Il avait oublié ce détail, il remit alors en vitesse son tee shirt et sortit de la pièce . Illéa avait vu cette horreur sur son corps. Elle était si grosse et récente de moins de deux ans, il ne l'acceptait pas encore. Il ne s'était pas fait à l'idée que la maladie avait déformé son corps. Il aimait bien son reflet en temps normal, mais l'apparition de cette plaie sur son torse avait changé son avis. Désormais, il n'aimait plus que son visage, et son sourire surtout.
Illéa resta bloquée. Du fait de la musculature du jeune homme, mais surtout de sa cicatrice. Elle l'avait bouleversée. Elle l'avait trouvée si belle, placée sur son coeur, elle voulait la toucher, retracer son chemin avec ses doigts, comprendre comment elle était arrivée ici. Ses cicatrices à elle n'étaient pas aussi belles. Elle se rendit compte qu'elle n'était pas la seule à avoir souffert. Mais Emerson était plus fort qu'elle. Il souriait constamment, semblait heureux, il n'était pas asocial comme elle. Au contraire, tout le monde l'appréciait, en quelques temps il s'était déjà mis tout le lycée dans la poche. Elle l'enviait, elle aurait aimé avoir sa force d'esprit.
Elle sortit de la salle de bain et s'aventura dans le couloir à la recherche d'Emerson. La fête battait encore son plein. Elle reçu un message très inquiet d'Ally lui demandant où elle était. Elle lui répondit que tout allait bien.
Elle poussa une porte et atterrit dans une chambre. Des cartons de déménagements jonchaient le sol. Elle avança doucement et trouva Emerson assit sur le lit l'air pensif. Elle s'en voulait de pénétrer comme cela dans son intimité, mais cette cicatrice avait changé la façon dont elle le percevait, même s'il restait toutefois un connard borné qu'elle détestait les trois quarts du temps. Elle s'approcha, tout en restant à une distance respectable et lui demanda d'une voix douce :
- Pourquoi es-tu parti ?
- Parce que tu n'avais pas à voir cela. Désolé si ma cicatrice t'as fait peur. Elle n'est pas agréable à regarder.
Illéa voulait lui montrer les siennes, pour lui faire comprendre que non sa cicatrice n'était pas horrible. Cependant, elle en était incapable, même ses parents n'avaient pas le droit de les voir.
- Tu te trompes, soupira-t-elle. Au contraire, je trouve que c'est en quelque sorte un honneur d'en avoir une. Sa présence prouve que tu as souffert, quelque en soit la cause, mais que tu as réussi à t'en sortir. Tu n'es pas le seul à en avoir.
- Tu en as une ? demanda le jeune homme étonné.
- Plusieurs, répondit-t-elle d'un ton détaché.
Il voulait les voir. Savoir qu'il n'était pas le seul, mais Illéa ne lui montrerait jamais, il en était conscient.
- Est-ce que tu as le permis et une voiture ? questionna cette dernière.
Il acquiesça, ne comprenant pas où elle voulait en venir.
- Est-ce que tu peux me ramener chez moi ? Je ne peux pas rester ici une seconde de plus. Si tu ne veux pas c'est pas grave, j'appellerai un taxi, il n'y a aucun souci.
Il n'hésita pas une seule seconde et accepta. Avant de partir il demanda à Harry, un de ses amis de veiller sur sa maison et d'essayer de faire partir progressivement tous ces gens qui se trouvaient chez lui.
Illéa quant à elle, envoya un message à Ally pour la prévenir que quelqu'un la ramenait.
Le trajet se fit en silence avec la radio comme bruit de fond. Chacun était reconnaissant envers l'autre de ne pas parler. Ils avaient tous deux besoin de calme. Illéa parlait seulement pour indiquer le chemin à prendre.
Une fois arrivés, elle descendit de la voiture, le remercia de l'avoir ramenée, lui fit un geste de la main et rentra chez elle sans un mot.
Emerson la regarda s'éloigner, troublé par cette soirée.
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Parallèles
Teen FictionParallèles : se dit de deux droites qui ne se rencontrent pas. C'est ce qu'ils étaient, deux droites parallèles entre elles. C'est aussi ce que Illéa avait tracé sur ses avants bras. Des droites parallèles, tracées à main levée , qui avaient failli...