Sois sage, ô ma Douleur, et tiens toi plus tranquille, Charles Baudelaire.Les larmes lui brouillaient la vue, tout était flou autour d'elle. Elle slalomait à travers la nuée d'élèves se trouvant dans le couloir, certains se retournant sur son passage, intrigués par son attitude. Elle tentait tant bien que mal de cacher ses pleurs.
Personne ici, hormis Emerson, ne l'avait jamais vu pleurer, et ce n'était pas maintenant que ça allait arriver. Elle essayait de se répéter en boucle la même phrase : « Tu es forte, tu n'as pas le droit de lâcher ». Ces mêmes paroles que lui avaient prononcé ses parents lorsqu'elle s'était réveillée, lorsqu'ils avaient appris le calvaire que leur fille vivait. Elle n'y croyait absolument pas, elle n'était absolument pas courageuse, la preuve : elle préférait mourir que d'affronter ses souffrances, c'était la parfaite représentation de sa lâcheté.
Elle poussa les portes du bâtiment pour se retrouver dans les jardins du lycée. A cette heure-ci, personne ne se trouvait là, tout le monde était en train de rejoindre son prochain cours. Elle courut jusqu'au banc le plus éloigné possible, se trouvant sous un grand chêne, près des limites de l'enceinte. Elle s'assit le plus rapidement possible, tremblante.
Alors, les digues lâchèrent. Les larmes dévalèrent ses joues à toute allure, des soubresauts la secouèrent. La crise d'angoisse fit son apparition. L'anxiété lui rongeait les entrailles. Elle pleurait tellement fort et la douleur était telle qu'elle avait l'impression qu'on venait de la poignarder en plein ventre. Un étau se resserrait dangereusement autour de son cœur. Elle avait tellement honte.
Elle releva doucement les manches de son pull, malgré ses tremblements incessants, et observa minutieusement ses horribles cicatrices, preuve qu'elle n'avait pas réussi à être assez forte. Elle avait commis l'un des péchés les plus graves, elle avait tenté de mettre fin à ses jours. La honte qui l'écrasait était déjà immense, c'était pour cela qu'elle avait déménagé, pour que personne ne soit au courant car elle ne pouvait supporter cette humiliation. Mais Emerson était arrivé et avait tout gâché en l'espace de quelques semaines. Il ne lui restait pourtant qu'une petite année à tenir. Elle s'en voulait, elle avait agi bêtement, elle avait agi comme toutes les gamines débiles de son âge, elle qui était pourtant persuadée d'être différente. Elle aurait dû mettre des barrières, elle le savait, mais elle n'avait rien fait.
Et maintenant Emerson détenait entre ses mains le pouvoir de la détruire, définitivement.Emerson ne bougea pas, toujours assit sur sa chaise, encore abasourdi. Il était sûr que s'il se levait, son cœur ferait des siennes.
- Emerson ? Est-ce que tout va bien ? Ça a sonné tu sais ? le questionna monsieur Parker, le professeur de mathématiques.
- Je... Oui, je sais. Excusez-moi.
Il saisit son sac, se leva doucement, et marcha vers la sortie, nauséeux. Il était réellement à deux doigts de s'évanouir. L'image des deux traits blancs, épais et profonds tracés sur son avant-bras revenait sans cesse dans son esprit, il ne voyait plus que ça. Il savait depuis le début qu'Illéa n'allait pas bien, qu'elle avait beaucoup souffert, mais il n'aurait jamais pensé qu'elle n'ait tenté de s'ôter la vie. Mais en assemblant toutes les pièces, il se rendit compte que tout corrélait avec ses paroles et ses actes, le fait que, comme elle le disait si bien, elle n'aimait pas la vie, ses rendez vous avec un psy, sa pulsion étrange dans la cafétéria, avec tout ces indices, il aurait même pu le deviner lui-même.
Il erra dans le couloir désormais vide, ne sachant quoi faire. Il était en train de sécher les cours mais n'en avait absolument rien à faire, c'était bien le dernier de ses problèmes. Il savait qu'il aurait dû retenir la jolie brune, mais ça avait été au-dessus de ses forces. Il voulait l'aider, mais c'était trop dur et ça lui faisait mal. Il avait l'impression de ressentir de la souffrance physiquement tellement la douleur d'Illéa l'avait touché. Si la simple vue de ses cicatrices le mettait dans cet état, il n'osait imaginer comment il pourrait supporter d'entendre toute son histoire. Il avait beau jouer les gros durs et l'ignorer la plupart du temps, il n'avait vraiment pas les épaules assez larges pour endosser le rôle de sauveur. Il était beaucoup trop faible pour cela.
Il avait toujours été un crâneur, que ce soit avec les filles ou même aves les garçons de son âge, il essayait toujours de montrer le meilleur de lui-même et parfois abuser de certaines de ses qualités, mais la seule raison pour laquelle il faisait cela était son manque de confiance en lui. Parce que oui, malgré son éternel sourire, sa côte auprès des filles, et tout le reste, il pensait ne pas valoir grand-chose. Quelle était sa plus grande qualité ? Il n'en avait aucune idée. Les gens l'aimaient bien soit parce qu'il était assez agréable à regarder, soit parce qu'il était plutôt populaire ou bien parce qu'il était malade et qu'ils avaient pitié. Il n'y avait que ses parents et Mike qui arrivait vraiment à dresser une liste des choses qu'ils aimaient chez lui.
Illéa réussit à se calmer, mais ses yeux la brulaient, elle avait tellement pleuré que son visage était douloureux. Elle s'était allongée sur le banc, priant pour que personne ne la dérange. Le grand chêne lui faisait de l'ombre. Elle observa les nuages au-dessus de sa tête, le temps était particulièrement maussade, même si la pluie s'était calmée. Elle soupira un grand coup et lutta pour ne pas replonger dans ses souvenirs. Malheureusement ça ne fonctionna pas, elle se retrouva alors projetée dans sa mémoire.
Elle se revit, âgée d'environ huit ans. A cette époque-là, les choses commençaient à sérieusement se dégrader, mais Illéa n'en montrait rien. Elle était encore une jeune fille très optimiste, toujours souriante et qui adorait rencontrer de nouvelles personnes. Et surtout, elle était déjà très intelligente et en avance de plusieurs années sur ses camarades, à son plus grand regret. Elle était donc obligée de jouer un rôle, elle avait bien vu que ce n'était normal de réfléchir comme elle le faisait, elle savait que lorsqu'elle disait une phrase un peu trop bien construite ou bien qu'elle commençait à parler politique tout le monde la dévisageait comme un monstre. Elle comprit donc très vite qu'il valait mieux faire croire qu'elle adorait les poupées et faire des coloriages alors qu'avec ses parents elle entretenait des discussions très intéressante sur l'univers. Eux au moins la comprenait et la complimentait même. Elle adorait le regard que posaient sa mère et son père sur elle, ainsi que celui de son frère et de sa sœur. Au début, ils s'étaient posés énormément de questions, puis, ils avaient laissé tomber, ce n'était pas comme si s'était mal d'être aussi intelligente, ils étaient même très fiers de leur petite fille.
Soudain, le visage souriant de son père disparut de ses pensées et ce qu'elle y vit ensuite la terrorisa, elle entendit ses propres cris, ses supplications, tout lui revint en pleine face tel un tsunami.
Elle se redressa rapidement, tentant de fixer son attention sur un autre sujet.
Elle alluma son téléphone et envoya un message à sa mère, l'informant qu'elle préférait se rendre seule chez le psychiatre. En regardant l'heure, elle vit que ce dernier n'allait d'ailleurs pas tarder à avoir lieu.
Elle se releva, enfonça ses écouteurs dans ses oreilles et sortit du lycée, voulant prendre tout son temps pour se rendre à l'hôpital. Elle était bien décidée à parler au docteur Allouard.
Lorsqu'on la regardait d'un point de vue extérieur, tout chez elle représentait la souffrance, on pouvait même la deviner à travers la façon dont elle marchait, la tête baissée, le dos vouté et les yeux fuyants dès qu'elle croisait quelqu'un. Elle avait beau paraître forte et en très bonne santé aux yeux de la plupart des lycéens, en dehors de l'enceinte de l'établissement, sa vraie nature reprenait le dessus.
Solitaire et terrorisée par les gens et la société.
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Je ne sais pas quand je posterais la suite, le plus vite possible je l'espère, mais je me fais opérer demain alors le temps de me remettre un peu !! ;)
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Parallèles
Teen FictionParallèles : se dit de deux droites qui ne se rencontrent pas. C'est ce qu'ils étaient, deux droites parallèles entre elles. C'est aussi ce que Illéa avait tracé sur ses avants bras. Des droites parallèles, tracées à main levée , qui avaient failli...