Chapitre 1

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Depuis qu'ils avaient quitté Sigrbørg, la capitale, trois semaines auparavant, la neige n'avait cessé de tomber, recouvrant monts et forêts de son manteau blanc et gelant lacs et rivières de sa langue glacée. Bon nombre des soldats disaient que la neige qui avait commencé à tomber après la mort du roi était le signe de la tristesse de Gharör, dieu des glaces, qui pleurait la perte d'un homme si bon. Tandis que, pour d'autres, la neige avait été envoyée par Vafirh, déesse mère et chaos primaire et qu'elle était signe que le défunt siégeait maintenant au Grand Banquet. Hedda ne savait pas quoi en penser. A vrai dire, la jeune fille s'était retrouvée complètement perdue lorsque l'on lui avait annoncé la mort de son père la nuit avant leur départ et elle n'avait toujours pas retrouvé ses esprits.

L'héritière serra les pans de son grand mantel* noir un peu plus près de son corps. Il avait beau être doublé de fourrures épaisses et douces, le froid parvenait à s'infiltrer sous les nombreuses couches de vêtements, venant geler de sa main glacée la peau d'Hedda. Bien que la jeune fille ait grandi au Royaume de Borun, le pays le plus au Nord de tout Araerios, Íssborg, leur destination, se situait entre le monde de glace et le monde connu et le froid, bien plus mordant que tout ce qu'avait rencontré Hedda, aurait gelé jusqu'au plus vigoureux des soldats de la garde s'ils n'avaient été habillés des plus chauds vêtements trouvés. La princesse n'avait d'ailleurs pas pu monter son cheval habituel, qui n'aurait pas supporté le voyage. Au lieu de ça, elle se contentait comme le reste de la procession de chevaux complètement noirs à l'épaisse musculature. Leurs queux et leurs crinières étaient doté de longs crins d'un noir ébène, certes jolis mais loin d'être soyeux et le bas de leurs pattes se finissaient de la même manière. C'était une des rares espèces d'animaux qui vivaient naturellement dans la chaîne des montagnes de Bjudõrn.

Hedda soupira tentant de soulager ses muscles, complètement ankylosés par les heures de chevauchement, en roulant des épaules. Bien que le paysage fût d'une beauté à couper le souffle, l'escalade de la montagne lui semblait interminable et la jeune fille commençait à être lassée par le voyage. Même les chevaux qui gravissaient avec difficulté la pente semblaient moins docile. Hedda aperçut quelques mètres devant elle son oncle Rurik, frère du roi et duc de Gorurn.

Le frère de feu son père était un homme immense bien que loin d'avoir la même carrure de guerrier que le roi Odomar. Le haut de son crâne était dégarni de tous cheveux et seuls les côtés arboraient quelques timides touffes brunes, couleur plutôt commune bien qu'étonnante pour un membre de la famille royale de la maison d'Ynghriorn, très fière de ses origines nordiques. Il était moins commun de voir des gens du Nord qui avaient une couleur de cheveux sombres que de voir des Nordiques arborer fièrement une chevelure blonde très claire presque blanche. Cependant, tout comme Hedda qui, elle en revanche, avait cette chevelure singulière à la limite du blanc, Rurik avait eu en héritage un cadeau bien plus précieux et plus rare qui montrait son appartenance à la famille royale : les iris de la maison d'Ynghriorn.

Ces illustres iris avaient une renommée qui dépassaient jusqu'aux frontière du pays. Tous les nobles qui avaient un jour été invités à la cour du roi de Borun n'avaient espéré qu'une chose : Voir ce miracle – ou cette malédiction pour certains – de leurs propres yeux. Les acquéreurs de ces iris arboraient de magnifiques yeux bleu turquin tirant par endroits sur le bleu outremer. Mais la particularité de leurs regards résidait dans les reflets indigo qui donnaient l'impression de voir danser des flammes violettes dans les yeux des souverains. La légende voudrait que le premier souverain Jörung 1erest eu en cadeau pour sa bravoure et sa foi après un combat particulièrement glorieux ses iris de toute beauté de la part de Vafirh et Gharör. Enfin, pour Rurik, le terme « ses iris » n'était pas tout à fait approprié, l'homme avait en effet hérité de ce cadeau génétique mais seulement de moitié. Son autre œil aussi noir que le fond d'une grotte semblait sans cesse vous fixer d'un air furieux, accusant le reste du monde de son malheur. Car bien que le prince fût un très bon dirigeant pour son fief, il n'était considéré par une bonne partie de la cour et de sa propre famille comme le raté de la maison d'Ynghriorn, chose qui mettait hors d'elle Felba, son épouse. Il n'était pas difficile de déceler en lui cette haine de l'autre qui lui brûlait les veines et le faisait rejeter la cour.

Les Yeux de la ChouetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant