Chapitre 14

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« À notre cheffe ! »

La voix puissante de Morn fit souffrir les oreilles de la concernée. Hedda leva tout de même son verre de bière, un sourire aux coins des lèvres. L'homme but une longue rasade de sa boisson. Il était déjà bien éméché, mais cela ne l'empêchait pas de continuer de boire.

Hedda regarda autour d'elle. Le banquet qui avait rapidement été organisé en son honneur était assez réjouissant. Le soleil était déjà couché depuis de longues heures et hommes et femmes, plus ou moins en état d'ébriété, festoyaient gaiement. Il y avait une bonne ambiance. Même Hedda avait bu un peu trop de bière et s'amusait. Elle était assise à une table en compagnie d'Afzal'h, de Vadir, de Morn et d'autres compagnons. Son grand-père avait déclaré forfait un peu plus tôt. La vieillesse ne lui réussissait pas.

Évidemment, Svern n'avait pas montré le bout de son nez. Folki, qui avait aidé le guérisseur à le soigner, racontait qu'il dormait encore, épuisé et blessé par son duel contre la jeune femme. La douleur et la fatigue d'Hedda était, quant à elle, effacée par l'alcool et l'euphorie du moment. Cependant elle n'oubliait pas que dans quelques heures, ces responsabilités de cheffe commenceraient.

Elle avait déjà, durant l'après-midi, envoyé des missives aux six autres chefs des Tribus sang gelés afin de demander leur rassemblement. La nouvelle cheffe savait très bien que ce rassemblement serait difficile, que de nombreuses tensions feraient surface, mais surtout que sa position de cheffe serait remise en cause. Pour certains, elle n'était pas réellement une sang gelée et, pire encore, elle était un membre direct de la famille royale, l'héritière légitime. Hedda savait tout aussi bien qu'au sein même de sa tribu, nombreux étaient ceux qui ne voyaient pas du bon œil sa nomination. Ils n'avaient rien pu faire car elle avait gagné le duel, mais leur opinion sur la jeune femme n'avait pas changé.

Vadir, qui était resté en retrait pendant la soirée car plutôt discret de nature, s'approcha de la jeune femme. Il avait moins bu que les autres et Hedda avait remarqué qu'il ne semblait pas se détendre, comme s'il était prêt à voir surgir des soldats de son oncle de la noirceur de la nuit.

« Votre Majesté ? » Sa voix était soucieuse. « Puis-je vous posez une question ? »

Hedda tourna la tête vers le jeune soldat en lui indiquant, d'un geste de la tête de poursuivre.

« Comment cela se fait-il que personne n'est protesté face à Votre nomination en tant que cheffe ? Il me semblait que les sangs gelés étaient fermement attachés à leur indépendance vis-à-vis de la royauté. »

Hedda posa son verre calmement sur la table avant de se tourner vers son sujet. Elle posa ses deux coudes sur la lourde table de bois et appuya son menton sur ses deux mains jointes.

« Il y a plusieurs choses. Tout d'abord, je peux t'assurer aux vus des regards que certains me lancent que tout le monde ici n'est pas content de ma nomination. Cependant, le respect des traditions et des lois est extrêmement important chez les sangs gelés. Le sens de l'honneur est une qualité indispensable chez nous. C'est pour cela qu'ils ne disent rien et endurent en silence. Mais ne croit pas que tout est gagné et que nous ne risquons pas un soulèvement. Si les sangs gelés sont simplement discrets, je suis prête à parier que les chefs des autres tribus le seront moins. »

Vadir secoua la tête, le front plissé. Il paraissait encore plus soucieux.

« Cela ne présage rien de bon, Votre Majesté.

-Laisse-moi finir, Vadir. » Hedda leva la main pour le faire taire. « Même si tout cela ne joue pas en notre faveur, il faut aussi savoir que nous avons le soutien de l'autre partie des sangs gelés. Le pouvoir n'est pas héréditaire ici. Ce qui veut dire que quand bien même je ne voudrais pas donner ma place de cheffe quand je récupèrerais mon trône, mes enfants ne seront pas chefs de la tribu et donc elle ne pourra pas être intégrée aux sujets du royaume de cette manière. Donc si jamais je souhaitais asservir les sangs gelés, cela ne serait le cas en théorie que jusqu'à mes 51 ans au maximum. De plus, ici, la fidélité que l'on porte au chef est différente et beaucoup plus fragile. Dans le sens où comme la force prime sur le sang, si celui qui était censé être le plus fort ne l'est plus, ici Svern, alors les sangs gelés ne vont pas protester et vont donner leur fidélité au nouveau guerrier le plus fort, ici moi. Fidélité et puissance sont deux mots qui sont bien plus intimement liées chez les sangs gelés que chez nous. C'est pourquoi beaucoup ne voient pas mal ce changement de chef, car ils partent du principe que si Servn a perdu, c'est qu'il n'est plus assez fort pour les protéger. »

Les Yeux de la ChouetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant