Les Yeux de la Chouette

Chapitre 7

« Mère ! » La voix paniquée d'Hedda résonna dans la salle de cérémonie de l'Ancien Temple.

Postée devant la jeune fille, le corps de la reine faisait office de barrière protectrice à son enfant. L'épée de Rurik s'était fichée à la base du cou de Djada dont la bouche s'ouvrait dans un cri silencieux. Le duc tenta à plusieurs reprises de retirer la lame du corps de la reine. Celle-ci finit par lui obéir et lorsque la lame quitta la chair de Djada, d'importants flots de sang se mirent à couler de la plaie. La lame ayant touchée une artère, un geyser de sang pulsait à des intervalles réguliers, aspergeant Hedda au passage. La reine s'affaissa sur sa fille qui la retint comme elle put.

« Mère, je suis tellement désolée. Tout est de ma faute. » Dit la jeune fille, les larmes coulant abondamment sur ses joues.

« Respecte ta promesse, Hedda. » La voix de la reine n'était qu'un murmure et la fille comprit qu'il ne lui restait que quelques instants à vivre. « Respecte-la. Fuis dans les montagnes de Bjudõrn. Va toujours au Nord, les Sangs gelés vivent là-bas. Tu dois trouver ton grand-père, Hedda. »

L'épée de Rurik s'abattit une nouvelle fois dans le dos de la reine, éclaboussant le visage de l'homme d'une constellation sanglante. Il prenait un plaisir à tuer celle dont il avait convoité la place et la puissance durant des années. Djada lâcha un cri de douleur.

« Fais ça pour moi. » Reprit-elle.

« Mère, je ne pourrais jamais trouver les tribus. Les montagnes sont bien trop vastes et trop glaciales. Je mourrais avant de les avoir vus.

-Ce n'est pas toi qui les trouveras, mais eux qui te trouverons. Tu as du sang gelé en toi, Hedda, tu survivras. » La voix de la reine n'était plus qu'un souffle et elle luttait pour ne pas s'endormir. « N'oublie pas ce que je t'ai dit sur les vautours... »

La reine ferma les yeux, sombrant dans un coma profond. Un désespoir s'empara de sa fille et Hedda eut à peine le temps de lever les yeux pour voir l'épée de Rurik s'abattre vers elles. Cette fois, il n'y avait aucun doute elle allait toucher la jeune fille. Malgré la douleur de ses côtes, Hedda repoussa de toutes ses forces le corps inconscient de sa mère et roula avec elle sur le sol du temple. L'épée du duc de Gorurn toucha violemment le sol de marbre. Sans attendre que Rurik ne se redresse, la jeune fille saisit le poignard qu'elle avait attaché à sa jambe sous sa robe et bondit sur son oncle.

Surpris, celui-ci lâcha son épée en tombant à la renverse. Son dos heurta violemment le sol et le choc lui fit expirer tout l'air de ses poumons. Guidée par la rage folle qui était montée d'un coup chez elle, Hedda abattit le poignard en direction du visage de son oncle. Celui-ci mit sa main devant lui pour tenter de se protéger. La lame vint se ficher dans sa paume. Rurik lâcha un cri de douleur, mais la course du poignard ne s'arrêta pas là. Bien que ralenti et dévié par la main du duc, le bout ensanglanté du poignard qui dépassait du dos de la main de Rurik lui érafla toute la joue droite, du coin de son œil à sa mâchoire. Hedda retira le poignard entiché dans la paume de son oncle et la leva de nouveau au-dessus de sa tête. Mais, cette fois, Rurik repoussa sa nièce qui hurla de douleur lorsque ses mains touchèrent ses côtes.

Le prince de sang se redressa en titubant, le visage complètement ensanglanté, suivit par Hedda. Les deux se regardaient en chien de faïence. Autour d'elle, Hedda remarqua qu'un nombre impressionnant de cadavres jonchaient le sol de l'Ancien Temple. Les gardes royaux avaient sans aucun doute l'avantage et les membres de la cour se battaient encore, bien qu'une majorité en faveur de Rurik semblât, là aussi, s'être dégagé du groupe. Les enfants et certaines femmes ou vieillards qui ne se battaient pas ou plus se tenaient prostrés contre les murs. La vérité frappa Hedda de plein fouet, elle n'avait aucune chance de l'emporter maintenant.