Chapitre 7 : Pas maintenant, pas maintenant plus tard.

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Taehyung toussota et se retourna vers moi d'un air sévère, en parfait contraste avec son rire qui résonnait quelques secondes plus tôt :

"Pourquoi tu t'agites comme un imbécile ? Tais-toi et sois heureux que j'ai accepté que tu me suives en silence, car je ne te laisserai pas deux fois cette chance, la prochaine fois, je ne manquerai pas de t'envoyer à l'hôpital ou à la police."

J'hochai docilement la tête, même si je savais pertinemment que je le suivrai à nouveau la prochaine fois, et que j'avais cette intime conviction qu'il ne mettrait jamais ses menaces à exécution.

C'est maintenant une certitude pour moi : cette attitude forte, insensible et agressive n'est qu'une couverture. En lui se cache un être sensible, un être tendre, rien ne pourra me convaincre du contraire. Je savais bien qu'il continuerait de nier cette facette de lui-même, mais j'avais ce sentiment qu'il finira par s'ouvrir à moi si j'insiste bien et que je ne lui fais pas de mal, car après tout, Taehyung, aussi intrigant et magnifique qu'il soit, est un être humain, tout comme moi.

J'ai besoin de me le répéter fréquemment pour ne pas l'oublier car il est difficile de le remarquer, mais le réel Kim Taehyung est un être fragile, un être humain, comme moi.

Nous quittons le sillage boueux, après le champ il y a une ville, une toute petite ville que je ne connais ou que je ne reconnais pas.

Il me prend la crainte de ne pas réussir à rentrer chez moi tout à l'heure, mais pour l'heure je ne m'en soucie pas, je le suis, inlassablement, on s'égare entre les grands bâtiments de la ville sous une pluie de plus en plus forte.

Lui n'est peut-être pas si égaré car il s'arrête brusquement en face de l'un d'entre eux.

Je regardai l'enseigne du bâtiment, et il s'agissait d'un conservatoire de musique.

Je vais pouvoir revoir Taehyung jouer du piano ?! Seul, dans une salle avec lui ?!

Nous entrons dans le conservatoire sans échanger un mot, comme nous l'avons fait depuis peut-être plus d'une heure à présent.

Il parla quelques instants avec la dame de l'accueil, puis il continua son chemin sans me regarder, et bien évidemment je continuai de le suivre.

Je le regardai ouvrir la salle à l'aide des clés qu'il avait obtenues, puis il pénétra à l'intérieur, la porte se ferma derrière lui.

Ah, oui.

Pourquoi je ne l'ai pas suivi à l'intérieur ? Est-ce correct de ma part, d'entrer dans son espace privé sans qu'il m'en eut donné l'autorisation ?

Je l'ignore, mais la curiosité prit rapidement le dessus sur tous mes doutes, alors j'ouvris la porte sans toquer afin d'observer, à nouveau, cette œuvre dont je ne pourrai me lasser.

Quand je le vis, il était en train de se dévêtir de son manteau et de ses bottines, se mettant complètement à l'aise. Aujourd'hui ses vêtements étaient plus simples que d'habitude, comme s'il avait trouvé un équilibre entre ses deux personnalités, comme si les deux faisaient partie de lui finalement.

Enfin, sous son manteau se cachait un tee-shirt blanc échancré sur les épaules, sans aucun motif ni tissu ajouté.

Ça lui allait tellement bien...

Il me jeta un regard rapide, peut-être que mes pensées étaient si bruyantes qu'elles avaient finies par l'importuner.

"Je me doutais bien que tu n'allais pas arrêter de me faire chier, mais ce n'est pas toi qui me gâchera mon jour de liberté, crois-moi, alors tu as intérêt à ne rien dire, et être le plus invisible possible, compris ? Tu es un fantôme, je ne te vois pas, d'ailleurs à qui suis-je de parler ? A personne, je deviens fou !"

Waouh, c'était la première fois qu'il enchaînait autant de phrases et de mots sous mes yeux. Je ne pus m'empêcher de glousser discrètement.

Ça ne m'empêche pas d'écouter et d'enregistrer chacun de ses mots.

Il considère le mercredi comme un jour de liberté, peut-être bien que c'est son jour préféré, comme moi.

Quoiqu'il en soit, il a dit qu'il voulait que je sois aussi invisible et silencieux qu'un fantôme, et je suis bien d'accord avec ça, je veux bien être son fantôme.

Il soupira tout en s'installant sur le piano, puis il sortit de son sac une partition, sans aucun doute de Debussy.

Si je suis aussi invisible et silencieux qu'un fantôme, je peux bien m'approcher un peu, n'est-ce pas ?

Je m'approchai sans éliminer la certaine distance entre lui et moi, juste assez pour lire distinctement le titre du morceau qu'il s'apprête à jouer et en remarquer la difficulté, il s'agit de la troisième pièce des images inédites de Debussy, nommée "Quelques aspects de "nous n'irons plus au bois" parce qu'il fait un temps épouvantable".

C'est vrai que la pluie battante sur les fenêtres démontre bien qu'il fait un temps épouvantable, je vais finir par croire que Taehyung joue des morceaux de Debussy en fonction de son humeur ou de ce que la vie lui apporte.

Il déposa délicatement ses grands doigts sur les premiers accords de la musique, puis presque comme un automatisme, il se mit à les bouger avec une élégance qui m'hypnotisa complètement.

Après un certain temps à être obnubilé par la danse de ses doigts, j'écoutai avec plus d'attention la mélodie.

Ce morceau est tellement mélancolique et apocalyptique, j'aurais presque envie de me cacher sous le piano tant il a un goût de fin du monde, quand je l'écoute sans en connaître le titre ça me donne vraiment une image de gens qui fuient une avalanche qui leur tombe dessus, j'ai comme une sensation que le sol tremble sous mes pieds.

Mais un passage joyeux et sautillant me coupe dans mon effroi, je vis alors un couple qui attend dans la chaleur d'un chalet que le temps se calme.

Ça me réconforte, d'une certaine manière, cette mélodie, elle semble me murmurer que le temps est agité mais que nous, nous ne le serons pas forcément, nous pouvons être calme pendant que tout semble s'effondrer dehors, le calme est possible dans le déluge.

Je crois que je commence à apprécier Debussy pour de vrai, finalement; ou peut-être n'est que le fait que ce soit Taehyung qui en joue.

Je souris alors paisiblement, et une mélodie, un air réconfortant en contraste complet avec les notes qui s'accélèrent me vient en tête, alors je me mis à chanter à tue-tête.

Nous passons plusieurs minutes ainsi, moi qui chantait une mélodie spontanée et inconnue, une mélodie pleine de liberté sur un morceau qui tentait peut-être de réconforter le monde, je me sentais tellement bien à cet instant, et ce sentiment s'intensifia quand un rire de bonheur qui était loin de m'être inconnu me parvint aux oreilles.

Jamais je n'aurais imaginé que je pourrais ainsi être heureux aujourd'hui, je me promets de graver chaque instant dans ma mémoire, c'est un jour particulier.

Déjà, j'ai entendu le vrai Taehyung rire sincèrement plusieurs fois, et en plus de ça, j'ai découvert à quel point chanter le réconfort par un mauvais temps était satisfaisant, encore plus quand je suis accompagné par un pianiste aussi resplendissant.

Je me sens comme dans un rêve.

Mais chaque rêve a un réveil, chaque chose est éphémère, alors ce bonheur prendra forcément fin.

Pourtant, j'aimerais bien que le bonheur persiste un peu, que je puisse le savourer du bout du cœur un peu plus longtemps. Alors dans mon chant, je lui demandai de rester encore un peu, juste un peu, et un jour je le laisserai s'envoler, mais pas tout de suite.

Pas maintenant, pas maintenant plus tard.

À L'arrêt Du Champ || TaekookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant