Puis-je dire que tout avait basculé quand j'avais vingt ans ? Et j'allais prendre un virage à cent quatre-vingt degrés.
Ce qui semblait m'avoir fait réagir, ça avait été de surprendre deux hommes se faire du bien dans les toilettes d'une boîte de nuit. Je n'avais pas pu m'empêcher de rester et d'écouter, poussé par une curiosité mal placée et d'un désir douloureux. Je voulais savoir ce qu'ils faisaient pour jouir autant. Cela n'avait duré qu'un court instant mais j'étais déjà tout excité. Je suffoquais et je n'avais qu'une envie, c'était me soulager et pourtant, je ne pouvais pas : j'avais honte de le faire en pensant à ces hommes.
Quand l'un d'eux était parti, l'autre m'avait découvert, il m'avait souri et s'était approché. J'aurais dû fuir. Pour mon mental et ma dignité. Mais j'étais terrifié et pitoyable. Je n'arrivais même pas à me relever. Il avait remarqué mon état et ne semblait pas plus surpris que cela. Comme s'il avait l'habitude. Cette pensée me fit frissonner sur le moment et je sus sans peine que j'allais regretter ce moment pendant longtemps.
Même s'il m'avait demandé la permission de prendre soin de mon érection, je me suis senti écoeuré. Je me laissais toucher par un mec que je connaissais pas. Il me fit sans doute la meilleure fellation que je puisse avoir dans mon état, pas totalement bourré mais presque. Je vins dans sa bouche. Satisfait, il quitta les lieux, me laissant là, le sexe à l'air. J'étais resté longtemps inerte. Les nausées qui me sautèrent à la gorge me ramenèrent à la réalité et je me rhabillais rapidement, plus affolé que jamais. Pour une première fois avec un mec, c'était horrible. J'avais été misérable. J'étais pitoyable.
Accablé de douleur, dégoûté d'avoir laissé la tentation dicter mes désirs, je me précipitai au bar pour un alcool fort. Je vidai mon verre d'une traite. J'en avais demandé beaucoup trop.
J'avais la tête qui tambourinait. Les lumières de la boîte de nuit me grillaient les yeux, mes tympans sifflaient. Tout résonnait autour de moi. J'avais un corps qui ne répondait plus et un cerveau qui désirait oublier.. Mon sexe me brûlait toujours; je sentais encore sa langue me faire du bien. Mon ventre se tordait dans tous les sens. Je suffoquais. J'entendais mon coeur battre dans mes oreilles. Tout tournait de plus en plus vite.
Ce fut juste un écran noir devant mes yeux. Je ne pouvais plus lutter. Je m'écroulai, perdant conscience.
Plus tard, bien plus tard, je me réveillais à l'hôpital. Je n'avais jamais retenu le temps où j'avais séjourné là-bas, ni combien de temps j'étais resté dans le coma. Je ne voulais rien savoir.
Mes parents et Dorian se précipitèrent à mon chevet quand ils l'apprirent.
Comment pouvais-je expliquer que j'étais vide ? Je n'étais ni heureux ni triste de les voir. J'avais juste cette boule de colère et de frustration dans la poitrine que je réprimais. Je n'ai donc pas cherché à les accueillir, à les rassurer. Je ne les écoutais même pas. J'étais parti tellement loin pour penser qu'il était décent de ma part de leur parler. Je les regardais de haut, moi qui avais frôlé la mort et qui avais vécu un autre ailleurs dont je ne me souvenais pas. Etait-ce donc ça revenir à la vie ? Oublier notre séjour de l'autre côté du miroir en sachant seulement que ça avait été quelque chose d'extraordinaire ? J'étais au-dessus de ce monde. Ce fut la première chose à laquelle j'ai pensé en me réveillant.
Mon corps avait gardé la marque de mon passage de l'autre côté : ma jambe gauche était raide et mon bras gauche tremblait plus que mon bras droit. Il avait été décidé que je fasse des examens et de la rééducation pour récupérer. J'avais eu le droit un fauteuil roulant que je poussais moi-même quand je me sentais trop fatigué pour marcher. Je l'utilisais davantage pour faire plaisir à la famille et aux médecins que pour récupérer. Je détestais ça. J'apparaissais comme un faible. Et ça m'énervait beaucoup. Je piquais souvent des crises de colère. Je jetais tout ce qui me tombait sous la main et je hurlais.
Excédés par mon comportement, et ne sachant pas comment l'interpréter, les médecins et ma famille décrétèrent que je devais suivre des séances avec un psychologue pour trouver la source du problème. A cette annonce, j'avais ri amèrement parce que moi, je savais. Je savais la raison qui me pesait de jour en jour sur la conscience et m'empêchait d'être libre. J'avais fait de moi un fardeau. Je me trainais comme on traîne un boulet derrière soi. Je m'étais enchaîné tout seul et j'en subissais les conséquences.
J'appris aussi que j'avais interdiction de boire ne serait-ce qu'une goutte d'alcool à partir de ce jour. On m'avertit que j'avais été inscrit dans un centre pour alcooliques. Mon foie était en mauvais état. Très mauvais état. J'avais le droit au même psychologue une fois installé dans ce centre de désintoxication. On m'avait aussi annoncé que ça allait être difficile. Entre les hallucinations et le sentiment de manque que mon corps me ferait savoir.
Aucun de mes proches ne comprenaient. Tous cherchaient à savoir ce qu'il s'était passé pour que je finisse ainsi. Je n'avais pas envie de leur parler. Il était tout simplement trop tard pour que je puisse faire quoique ce soit. J'étais vide et je n'avais pas de regrets. Je n'en avais même pas voulu à mon frère de ne pas avoir été là. J'oubliais tout et me perdais dans ce qui me semblait calme et silencieux.
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Bleu Silence ~ [BxB]
Teen Fiction" Puis je me suis souvenu de ce que tu m'avais dit, un jour. Que les routes que tu croisais se séparaient au prochain carrefour et que nos directions étaient toutes différentes. Tu t'attachais aux gens mais avec le temps, tu parvenais à nous laisse...