Chapitre 3 ~ 2/3

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Mon frère s'appelle Charlie.

Et je suis trois ans plus jeune que lui.

J'avais appris bien plus tard que mon frère était un paradoxe à lui tout seul. Je ne saurais comment l'expliquer mais il était intrigant à sa façon. Il ne parlait jamais de lui mais j'étais certain qu'il m'avait envoyé des signaux de détresse. Je ne les avais pas vu, ne pensant qu'à mon problème. Mon frère était mon héros et je n'avais jamais pensé qu'il puisse rencontrer des difficultés dans sa vie.

Charlie avait une aversion pour de nombreuses choses. Il n'aimait pas porter de chaussettes hautes par exemple. Encore, c'était quelque chose d'absurde. Il y avait toujours eu une chose qui le mettait en colère et c'était l'intimidation. Charlie avait toujours défendu tous ceux qu'il voyait subir ce genre de harcèlement. Toutefois, il avait dû éprouver pour la première fois de sa vie une peur viscérale car il n'avait jamais cherché à défendre la victime. Elle avait un an de moins que lui et elle était en première.

J'avais découvert l'histoire alors que j'étais en troisième. Il me l'avait confessé. Je m'en souviens comme si c'était hier parce que cela devait bien être la première fois que mon frère me parlait de lui. Il m'avait appris qu'il avait participé à l'intimidation verbale et physique d'un jeune garçon, et ce, plusieurs fois. Sa bande d'amis avait eu vent d'une rumeur : ce jeune homme en pinçait pour mon frère. Charlie avait été mis à l'épreuve : c'était sauver le jeune garçon ou se sauver, lui. Son choix avait été radical et tragique parce qu'il abandonnait ce pour quoi il s'était toujours battu depuis tout petit. Il avait peur de ses amis car il avait compris beaucoup trop tard quel genre de gens ils étaient. Il avait dû abandonner ses valeurs et adopter celles du groupe. Il était devenu un bourreau. Je ne me souviens plus si je lui en avais voulu. Je ne m'acceptais déjà pas alors comment pouvais-je défendre la victime ?

Cette dernière avait fait une tentative de suicide. D'après certains, sa famille n'était pas non plus favorable à sa nature. D'après d'autres, il n'avait pu supporter ce harcèlement excessif tous les jours au point de perdre son identité. Le jeune garçon avait essayé d'en finir dans les toilettes du lycée, pendant que les autres étaient en cours. Charlie s'était fait virer de cours pour avoir chahuté un peu trop. Au lieu d'aller voir le C.P.E, il avait été aux toilettes et y avait découvert le jeune homme avec des médicaments dans les mains. Mon frère m'avait expliqué qu'à ce moment-là, il avait paniqué. Il avait claqué la porte et avait voulu s'avancer vers l'élève en détresse. Mais au lieu de le rassurer, il l'avait effrayé et le jeune homme s'était enfermé dans les toilettes.

Charlie avait tambouriné à la porte que l'élève avait fermé à clé. Charlie avait supplié qu'il lui ouvre en promettant de ne pas lui faire de mal mais l'autre ne répondait pas. Sans doute qu'il avait compris que quelque chose n'allait pas parce que mon frère m'avait expliqué qu'il était entré dans la toilette d'à côté et avait escaladé difficilement le mur. Il avait trouvé le jeune homme inconscient et avait dû ouvrir la porte pour le traîner dehors. Il avait essayé de lui faire vomir ce qu'il avait ingurgité. Puis il avait hurlé dans le couloir pour qu'on vienne lui prêter main forte et des classes entières s'étaient précipitées à sa rencontre. Il lui avait semblé que l'infirmière avait mis un temps fou à se présenter ainsi que les pompiers.

Le jeune avait été sauvé. Et mon frère culpabilisait. Je n'avais pas encore pris conscience de l'ampleur de cette tragédie et de ses conséquences sur mon frère. En effet, cela ne m'avait jamais effleuré l'esprit qu'il pouvait aussi avoir des problèmes. Quelques temps après cet événement, j'avais découvert Charlie gravement blessé et inconscient devant notre maison. Il saignait et respirait difficilement. J'avais aussitôt appelé une ambulance. Entre deux malaises, Charlie n'avait pas cessé de répéter que ce n'était rien. Même s'il avait un corps puissant, il n'avait que dix-sept ans et demi quand cela se passa. Je l'avais engueulé. Je ne lui avais jamais autant parlé en quinze ans d'existence.

Il était dans cet état à cause de ce qui lui avait jadis servi d'amis. J'avais été les trouver et je les avais défié parce que personne n'avait le droit de toucher à Charlie. Ils étaient plus vieux que moi et savaient se battre. Moi, ce que je voulais, c'était que les gens autour de moi sachent qui ils étaient vraiment. Je les avais provoqué et ils avaient commencé à me frapper, devant leur lycée.

Cela n'avait pas manqué. Ils avaient été remarqués. J'avais dû être interrogé. J'avais dit qu'ils avaient frappé mon frère. Le lycée m'avait demandé des preuves. J'avais osé leur dire d'appeler mon frère ou l'hôpital où il séjournait. Les adultes avaient tous été surpris et agités de me voir aussi sûr de moi. La bande que j'avais provoqué m'insultait et profanait des menaces à mon encontre que je n'écoutais que d'une oreille.

Quand, finalement, on m'avait demandé pourquoi j'avais fait tout ça, j'avais trouvé une excuse parfaite : ils accusaient mon frère d'être homosexuel. J'avais aussi ajouté que cela ne regardait personne quelle était l'orientation sexuelle de Charlie. Dans un sens, je m'étais senti soulagé : c'était comme si je parlais pour moi, en utilisant mon frère comme bouclier.

Cette victoire n'avait pas empêché le lycée d'appeler mes parents qui étaient venus me chercher et m'avaient passé un savon. Je n'avais rien écouté de ce qu'ils m'avaient dit. Je me souviens avoir offert un joli bras d'honneur à ces idiots qu'ils avaient très mal pris. Après avoir quitté l'établissement, j'avais exigé voir Charlie. Je me fichais pas mal de sécher les cours. Mes parents m'avaient donc emmené à l'hôpital. Charlie avait été mis au courant de mon action et m'avait aussi réprimandé sévèrement. Cependant, il m'avait pris dans ses bras et m'avait serré fort. J'avais été le seul à entendre le merci qu'il m'adressa. Merci d'être resté toi-même, avait-il chuchoté. Ne te laisse jamais intimider. Tu es le meilleur !

Quand mon frère avait quitté l'hôpital, il avait aussi terminé son année. Il avait réussi de justesse les épreuves du baccalauréat en terminale.

Entre-temps, il s'était mis à fumer. Il se droguait à travers ses joints et se laissait aller. Je voyais son état se détériorer. Qui étais-je pour l'aider, alors que moi-même je me noyais dans l'alcool ? Nous étions passé tous les deux à côté de la plaque. Nous n'avions plus prêté attention à l'un ni à l'autre. Mes parents savaient ce qui était arrivé à Charlie et essayaient de l'aider.

Pour ma part, ils ne se doutaient de rien. Je me taisais et je faisais semblant d'aller loin. Le fait d'avoir peu parlé dans mon enfance m'avait beaucoup aidé durant cette période. Les années avaient passé.

Quand j'étais en première, mon frère avait quitté le domicile familial après s'être disputé violemment avec maman qui lui avait retiré tout ce qui touchait au joint. Charlie était si furieux et répétait : "Tu ne peux pas comprendre maman!" On aurait dit qu'il ne voulait pas que sa douleur soit visible, qu'il était le seul à pouvoir la voir et la sentir. Je retrouvais en mon frère le moi qui avait découvert qui j'étais et ce que je faisais depuis des années. S'il le faisait, alors j'avais supposé que c'était la bonne solution.

Après cet incident, nous ne l'avions plus vu. Il me semblait pourtant que maman avait eu de ses nouvelles avant mes vingt ans. Et elle ne m'avait rien dit. Je devinais la tension entre Charlie et maman. Je pouvais presque la toucher parce qu'elle me semblait palpable. Il semblait y avoir eu du nouveau du côté de Charlie et cela déplaisait à maman. Malgré tout ce cirque, je n'avais pas pu rencontrer Charlie.

J'avais été abandonné. Oublié ? Protégé ? Ignoré ?

Même lorsque j'avais terminé sur un lit d'hôpital, que j'avais dû faire une rééducation et que j'avais été envoyé dans un centre d'abstinence, Charlie était absent.

Au final, en écoutant aux portes, j'avais appris qu'une fille était en couple avec Charlie et qu'elle l'avait aidé à arrêter de fumer.

J'avais vingt ans. Je venais moi-même d'expérimenter quelque chose de désagréable. Le vide que je vivais s'était un peu estompé et j'avais recouvré mes esprits pendant un temps.

Lorsque j'avais entendu ça, comme un petit-frère qui désirait suivre les traces de son aîné, je m'étais résolu de ne plus toucher à l'alcool. Ma détermination était telle que je ne pouvais plus sentir l'odeur au risque de vomir de dégoût.

J'avais rencontré une seule fois cette femme. J'étais en ville avec Laure et Dorian quand elle m'avait abordé. Elle avait demandé comment j'allais après s'être présentée : elle s'appelait Patricia. Je n'avais pas eu besoin de temps pour la détester. Elle me volait elle aussi ce qui m'était le plus cher au monde : Charlie. Je n'avais rien dit et avais passé mon chemin.

Je haïssais cette rencontre.

Bleu Silence ~ [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant