Cette période est restée floue dans mon esprit. Par endroit, je me souviens vaguement de ce qu'il s'était passé. Et par d'autres, c'était le trou noir. Comme si je refusais de me rappeler ce qui me rendait malade.
Peut-être que nous étions parvenus à nous réconcilier. Peut-être que nous nous étions retrouvés. Même si Charlie et Camille ne s'étaient plus adressés la parole depuis que j'avais décidé de détruire sa maison. Après cette épisode pathétique, je savais que Camille refusait de voir mon frère, sans que je n'en connaisse la véritable raison. La réponse nous avait été révélée deux mois plus tard et j'avais compris ce que voulait dire l'expression le calme avant la tempête.
Je me souvenais que nous étions tous couchés. Je dormais avec mon frère dans ma chambre quand la sonnerie du téléphone avait retenti, tirant tout le monde du sommeil. Nous nous étions agglutinés autour du téléphone fixe et regardions le numéro s'afficher, que nous ne connaissions pas.
La personne avait appelé trois fois avant que maman ne se soit décidé à décrocher. Nous étions tous méfiants parce qu'il était minuit passé et un appel comme celui-ci ne présageait rien de bon. Intrigués, nous avions tendu l'oreille pour écouter ce que maman disait. Elle s'était présentée, avait écouté, il y avait eu un silence, puis, elle avait dit oui avant de raccrocher, le visage grave.
Il avait semblé que cet appel nous concernait. Elle nous avait alors dit :
- C'était Camille. Il arrive bientôt et m'a dit avoir quitté l'hôpital.
Je me demandais ce qui avait bien pu se passer pour qu'il y soit allé. Charlie était parfaitement réveillé et était descendu dans la rue pour surveiller son arrivée, laissant la porte d'entrée grande ouverte. Il faisait nuit noire dehors et la température était trop fraîche pour moi. Je n'étais pas tout à fait réveillé mais je réfléchissais à ce qu'il se passait.
J'avais toujours le cerveau en compote quand Camille était arrivé, en pyjama et les yeux rougis. J'avais tout de suite saisi que c'était plus grave que ce que j'avais pu imaginer. La première chose qu'il nous avait dit était :
-Je voulais rester mais ils m'ont renvoyé ...
Émotionnellement instable, Camille ne semblait plus se soucier du froid qui existait entre mon frère et lui car il avait trouvé refuge dans ses bras, où il y avait éclaté en sanglots. Charlie ne savait pas quoi faire, alors il avait juste tapoté maladroitement le dos du jeune homme sans rien dire. Maman avait été préparée une boisson chaude pour aider Camille à se calmer. Il ne cessait de hoqueter et de bredouiller des mots déformés non-stop. Papa avait apporté une couverture qu'il avait essayé de mettre sur les épaules du jeune homme mais celui-ci ne paraissait pas se rendre compte de notre présence. Il était juste ailleurs.
Par je ne sais quel miracle, Charlie avait installé Camille sur le canapé et se tenait face à lui, les mains sur ses genoux pendant que notre invité surprise buvait, en tremblant, son chocolat chaud. Personne n'avait osé parler et nous regardions en coin Camille, attendant qu'il nous dise ce qui le mettait dans un tel état. Il avait fini par nous le révéler, sans pouvoir retenir sa détresse :
-Eléonore... a été admise aux urgences à cause d'une rechute ... il y a une semaine ... Mais son état a empiré ce soir ... Les médecins... Les médecins nous ont ... renvoyé chez nous parce que nous étions tous à bout de nerfs... Je ne savais pas où aller alors...Alors, je suis venu chez vous ... Je suis désolé... J'ai ... J'ai si peur.
Son annonce avait jeté un froid dans le salon. J'étais parfaitement réveillé et je me sentais démuni. Je ne savais pas ce que je devais dire. Je ne savais pas quelle question je pouvais poser. Je ne savais pas quoi faire. J'étais désemparé. Je n'osais même pas imaginer ce que ressentait mon frère à ce moment-là. Il m'avait surpris parce qu'il s'était montré très doux et attentionné. Il avait demandé ce qu'il se passait avec Eléonore.
J'avais découvert cette nuit-là que cette jeune femme était la meilleure amie de Camille et qu'elle était gravement malade. C'était pourquoi le jeune homme était en pleurs. J'avais deviné que cette personne avait soutenu tous les jours Camille quand les choses n'allaient pas bien, qu'elle l'avait encouragé et aimé comme il était.
Eléonore. Je me souvenais que c'était celle qui avait défendu et protégé Camille de mon frère quand ils étaient encore au lycée. Mon frère m'avait parlé d'elle. Je savais qu'ils s'étaient revus le jour où Patricia avait invité ses amis pour un repas. Je parvenais à comprendre qui était cette jeune femme pour Camille. Je comprenais encore plus ce qu'il vivait. Et je me sentais encore plus inutile.
Eléonore était séropositive. J'étais abasourdi en l'apprenant parce que je me demandais comment elle avait pu l'attraper. L'histoire avait de quoi me faire grincer des dents. Son ex petit-ami l'avait trompé lors d'une soirée avec une jeune femme séropositive et qui s'était abstenue de lui en parler. Il aurait pu éviter ce drame s'il n'avait pas trop bu, s'il s'était protégé et s'il avait été honnête avec la meilleure amie de Camille. Il était trop tard quand le couple avait découvert être malade. Eléonore avait rompu avec lui aussitôt et avait cherché à se soigner.
Malheureusement, elle ne faisait pas partie des chanceux qui pouvaient vivre avec pour quelques années encore. Le hasard avait voulu qu'elle soit plus atteinte et plus fragile que son ex compagnon. J'imaginais combien ces nouvelles avaient dû la bouleverser. Je la savais rancunière et hargneuse. Il n'était pas difficile de savoir ce qu'elle pensait de son ex.
Je comprenais sans peine la réaction de Camille ce soir-là. Affronter seul ce malheur lui était impossible. Il lui fallait réaliser que Eléonore était condamnée. Le faire seul l'aurait anéanti. Alors, il était venu nous trouver et la seule chose que nous avions pu faire, c'était de le soutenir.
Il nous avait même supplié de venir avec lui le lendemain.
Je ne me rappelle plus très bien de ce qu'il s'était passé ensuite parce que j'en garde un mauvais souvenir. J'avais peut-être laissé ma chambre à Camille et à Charlie. J'avais essayé de dormir dans le salon mais je n'avais pas pu, ne pouvant m'empêcher de penser à ce qui allait arriver à Camille. A Eléonore. Je n'arrivais pas à faire le vide dans ma tête. Tout était désordonné dans mon esprit, je ne savais plus quoi faire. J'étais impuissant.
J'avais passé une nuit blanche, à penser. J'étais tellement déprimé que je n'avais pas pu tenir en place et j'avais voulu sortir prendre l'air. Je n'arrivais toujours pas à savoir comment réagir. Je faisais un blocage sur mes émotions. Je n'arrivais pas à ressentir la douleur ou l'anxiété. J'avais peut-être peur mais je ne le savais pas. J'en avais fait abstraction.
Je n'avais pas mangé. Je n'avais pas parlé. Je n'avais regardé personne, perdu dans mes pensées. J'en avais même oublié que Dorian devait venir. Il était arrivé au moment où nous nous préparions à partir.
Je ne l'avais pas remarqué. J'étais ailleurs. J'essayais de réfléchir. Je me sentais à nouveau vide. C'était dur. Je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais pas penser. Je ne pouvais pas agir.
J'étais inerte.
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Bleu Silence ~ [BxB]
Teen Fiction" Puis je me suis souvenu de ce que tu m'avais dit, un jour. Que les routes que tu croisais se séparaient au prochain carrefour et que nos directions étaient toutes différentes. Tu t'attachais aux gens mais avec le temps, tu parvenais à nous laisse...