114 || Evy

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« On n'oublie pas le visage de la personne qui a représenté votre dernier espoir. »

Quelques jours plus tard,

Je donnais un coup de museau dans le mollet du louveteau pour le forcer à avancer plus rapidement. Il gloussa et tapota ma tête comme un humain aurait pu le faire avec un clébard. Mais comme il s'agissait du louveteau, je voulais bien faire la belle rien que pour une caresse.

Ou pour des biscuits.

Nous traversâmes le Fief en direction de la petite boutique qui puait et je n'attendis pas le louveteau à l'extérieur ; non, je la talonnai, mon souffle venant se perdre contre ses jambes. Ma queue se mit à battre l'air d'impatience lorsque l'humain mit du temps à trouver le colis. Le louveteau glissa un regard dans ma direction, les pupilles amusées, une expression de vie sur le visage.

Mieux. Louveteau, mieux.

Je reniflai, encore un peu parano concernant les odeurs. Celle d'Arkan continuait de flotter dans l'air, me hérissant le poil, me rendant plus ronchon que d'ordinaire.

Hachi remercia l'humain et me fit signe de la suivre. Pas besoin de me le dire deux fois. Une fois à l'extérieur, elle s'installa sur les marches et arracha le gros scotch fermant le précieux sésame pour en sortir une grosse boite à l'odeur alléchante.

Elle attrapa un gros biscuit à l'intérieur et me le tendit.

— Tu sais que c'est pour chien ?

Je mâchai et avalai tout rond. Ma patte tapa contre le bois.

Encore.

Le louveteau éclata de rire et me tendit un autre biscuit.

Pourquoi les chiens auraient-ils le droit au meilleur ?

Plus tard dans la journée, c'est moi qui tenais la boîte sous mon bras. Je passai la première rangée d'arbres et m'enfonçai dans la forêt de la Réserve, m'éloignant de la rumeur des entraînements. Je marchai un moment, sans m'essouffler, sans ressentir aucune gêne à la suite de mes blessures. La présence du pouvoir d'Aslander continuait de vibrer en moi, rappel constant que je lui devais la vie. Mes lèvres se retroussèrent et je grondai.

Je n'aimais pas cette idée.

Je trouverais un moyen de me débarrasser de cette dette.

Ce fut Marcellus qui me trouva en premier. Il était redescendu, retrouvant son territoire, de retour dans sa grotte, un foyer qui avait été le mien pendant un temps. Je m'arrêtai au bord du petit lac – des comme ça, il y en avait partout dans le Fief.

J'étendis mes jambes et le gros lycan vint me rejoindre, sans trop se presser. Il me donna un coup de museau pour me saluer et avisa ce que je tenais. Son intérêt se détourna de tout le reste.

Mon sourire titilla mes lèvres et à la manière du louveteau, je lui tendis les biscuits pour chien l'un après l'autre. Je lui tapotai le sommet du crâne, sans rien craindre. Quand nous n'étions que tous les deux, Marcellus se voulait différent.

Paternel.

Il entendit Amset s'approcher aussi bien que moi. Ce dernier était donc de retour. J'attendis qu'il vienne à moi. Sa joue heurta la mienne et nos odeurs se mêlèrent.

— J'ai trouvé, souffla-t-il.

— Quoi ?

La truffe de Marcellus était avalée par la boîte. Il n'allait rien laisser. Je fis la moue.

— Celui que tout le monde cherche.

Marcellus gronda. Sourdement. Il n'aimait pas qu'on parle du Juif Errant. Vieux mythe. Vieille, vieille histoire.

Cartaphilus. Evekelis. Jumeau. Jumeau.

— Il veut réveiller le Roi.

Et si le Roi endormi reprenait vie... alors... Nokomis reviendrait.

Notre Princesse.

Nokomis.


La fenêtre ouverte laissait entrer l'air frais du matin. L'aube venait de se lever et tout était encore silencieux et calme. La cigarette d'Abel se consumait dans le cendrier, sur le bord et son café fumait, la cuillère en équilibre à côté. J'étais assise au bord du lit, nue et Abel se trouvait entre mes jambes, les yeux fermés, les cheveux en bataille, les traces de cette nuit marquant nos deux corps.

Je humai son odeur, m'en gorgeai. J'aimais ces moments.

Il me laissait le câliner. Et je le laissai m'aimer.

Il ne voulait apprivoiser l'animal, il composait avec.

Et à son contact, petit à petit, je retrouvais un semblant d'humanité. Alors je savais qu'il me faudrait agir avant de commencer à ressentir.

Le doute.

La culpabilité.

Je fourrai mon nez dans ses cheveux. Inspirai fort.

Tout était calme. Tout le serait pendant un moment.

Avant que je ne franchisse la limite. Maintenant que le louveteau était en sécurité, je savais ce que je devais faire. Mais avant ça... je voulais rester avec Abel. Voir d'autres matins se lever.

Et pouvoir le câliner. 

OUR ANCHOR T2 Forgotten [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant