Chapitre 21

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Chapitre 21 : « Noyade. »

|Et tandis que Luke perdait Charlie, June perdait Ethan.|

June avait un grand sourire sur les lèvres. Elle émergea des eaux du lac la tête la première, et de ses deux mains, elle attira en arrière ses cheveux mouillés. Ils se plaquèrent contre son crâne et descendaient jusque dans le bas du dos. Son t-shirt noir lui collait à la peau, et sa veste en cuir était plus lourde qu'à l'accoutumée. Elle la retira et la mit autour de sa taille. Elle agita ses bras pour rester statique dans l'eau, et attendit Ethan.

Puis, elle attendit.

Ensuite, elle attendit.

Et son sourire se fana un peu plus à chaque seconde.

Quand elle sut que trop de temps était passé et qu'il aurait déjà dû remonter, elle s'affola, l'appelant comme s'il allait répondre. Le ciel était clair, mais malgré les rayons du Soleil, l'eau restait assez trouble. Il lui était impossible de voir à plus d'un mètre.

-Ethan ! ETHAN !

Elle plongea. Une fois, deux fois, trois fois. Elle remonta, replongea, remonta à nouveau. Ses bras s'agitaient dans l'eau, l'écartant pour lui laisser le passage. Son frère, il fallait qu'elle trouve son frère. Ses pieds battaient la densité du lac, et elle cherchait sous la surface. Ethan, il fallait qu'Ethan remonte.

June s'épuisait. Cela faisait environ une minute, mais l'affolement faisait cette minute en durer dix.

« Ethan, Ethan... »

Ce mot répété dans ses pensées lui rappelait encore et encore qu'elle était seule.

Oui, elle était seule désormais, et l'eau du lac se calmait alors qu'elle s'arrêtait de remuer. Garder son sang-froid l'aida à savoir quels endroits autour elle avait déjà fouillés. Et quand elle fut sûre de n'avoir pas cherché ici, juste là, elle replongea.

Ne resta d'elle que l'eau affolée dessinant une auréole, telle une cible pour les grandes forces du monde.

Il voyait.

A travers l'eau et les vagues, au loin, comme dans un songe, il la voyait.

Il entendait.

Son prénom, répété encore et encore, par une voix qu'il ne connaissait.

Il savait.

Malgré la logique, les règles, les évidences, malgré ce que lui dictait sa raison, il savait.

Ethan sombrait. Il descendait, coulait, se noyait. Mais la réalité, à cet instant, ne représentait plus rien pour lui.

Atomes, filaments, fragments, éclats, bribes, parcelles, morceaux, parties, et enfin une grande image de l'océan devant ses yeux. Les souvenirs affluaient à la manière des vagues sur le rivage qui ne se posaient pas, qui s'échouaient. Ethan voyait un monde changé, des perspectives bouleversées, et doutait de son passé désormais. L'illusion s'envolait, les masques tombaient.

Déprimantes aventures, dangereuses aventures. Désillusionné, le jeune homme se rappelait ce qu'il avait vécu, ce qu'il avait ressenti, et tout ne se résumait qu'en un seul mot : Charlie.

Ethan ferma les yeux. Il ne voulait plus sentir le froid de l'eau, ni l'incompréhension de son esprit. Il sombrait, il tombait. Autour de lui, le noir s'installait.

« Ethan ! ETHAN ! »

Cette voix se confondait avec la première, mais il ne rouvrit pas les yeux pour elle. A cet instant, il pensait qu'il ne devait les ouvrir pour personne. Il ne voulait plus continuer, malgré le mystère qui entourait son subit recouvrement de mémoire, malgré June qui l'appelait, malgré le manque qu'il avait de Charlie.

Il ne voulait juste plus.

Mes mains étaient si froides qu'elles en paraissaient bleues. Fourrées dans mes poches, elles ne retrouvaient pourtant aucune chaleur, un peu comme l'ensemble de mon corps qui lentement sombrait. Ma main droite sentait ma baguette magique, mais je n'avais pas la volonté de me réchauffer artificiellement. Je voulais un feu de camp ou de cheminée, celui du manoir ou de la Grande Salle. Si seulement mes jambes pouvaient courir, j'aurais pu courir après Ethan, comme mes parents l'avaient fait dans leur jeunesse. C'était peut-être une leçon que je pouvais tirer : réussir à être heureuse malgré les atrocités de la vie. Eux, ça avait été une guerre. Moi, c'était Alexander, Léah, Luke, Ethan.

Mais ce n'est pas parce que ces atrocités ne sont pas comparables qu'elles ne peuvent pas être les pires pour moi ou pour eux.

J'avançai vers je ne savais où, et depuis combien de temps ? C'était une bonne question. J'avançai jusqu'à me perdre, je fermai les yeux jusqu'à oublier ce que Luke avait fait.

Le temps passa si lentement et le froid grandit si vite que j'oubliai ma résolution de vraie chaleur et jetai un sort sur mon corps frigorifié. Où étaient Ethan et June, d'après vous ? Est-ce qu'ils souriaient, sans se douter qu'ils venaient de manquer la chance de me revoir ?

Soudain, une douleur à la poitrine me saisit. Je hurlai. C'était atroce et invivable. La douleur redoubla, et en quelques secondes, je vacillai. C'était comme si une flèche avait transpercé ma peau, mes os, jusqu'à atteindre le muscle saignant qu'était mon cœur. Un déchirement intérieur qui se répandait jusqu'à mon cerveau et me promulguait une douleur sans pareille. J'étais seule, sans personne pour m'aider ne serait-ce qu'à me relever. J'avais arrêté de crier, je gardai mes forces. Que m'arrivait-il ? Je murmurai que l'on m'aide, j'appelai au secours d'une voix faible. J'avais si mal que je n'avais plus peur, plus froid, plus de rancune, et plus aucune pensée pour ce qui me contrariait.

La douleur s'intensifiait, et je retirai ma main de ma poitrine en déchirant mon pull et mon t-shirt. Je voulais voir ce qui me faisait si souffrir.

La peau n'était pas transpercée, je n'avais aucune plaie, mais la peau était rougie, et je devinai le sang libre qui s'écoulait hors du cœur de l'autre côté de cette barrière beige.

Mais bientôt, je ne pus presque plus voir la tâche de sang se répandre, parce que mes yeux s'éteignaient malgré moi. Mes forces s'épuisaient, mon cœur saignait, et le seul témoin que je constatai, c'était cette peau qui rougissait.

CHARLIEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant