CHAPITRE CENT DIX-NEUF .3

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Tranit s'appliqua à se poser sur un espace aussi confiné, où était arrimée plus d'une cinquantaine de chariots de transports ou de chars de combat. Les montures avaient été laissées à l'intérieur de la cale par sécurité.

Tranit posa un petit soupir lorsqu'elle dut cette fois faire rapidement baisser la puissance dans ses quartz et qu'elle sentit les cales de bois heurter le pont. Erwan et Benwan montèrent rapidement à bord de l'engin, le jeune colonel du régiment de chars quelque peu impressionné.

Sur un signe d'Erwan, Tranit redécolla et suivit ses instructions. Ils montèrent en suivant le lit creusé dans la roche par l'eau formant ainsi comme un petit oued liant le lac temporaire au Lys.

En haut, deux autres patrouilleurs allaient tirer les câbles glissés dans d'immenses poulies de pierre afin d'aider le catamaran à affronter le courant pourtant assez faible. Erwan y jeta un coup d'œil, hocha la tête et puis fit signe à Tranit de rejoindre l'extrémité sud du lac, qui s'étendait sur près de deux lieues de longueur pour une largeur maximale d'une demie.

C'était pourtant impressionnant qu'un aussi large volume d'eau se retrouve régulièrement au sommet de ce relief, mais Erwan affirma qu'il s'agissait d'une des innombrables surprises dont la nature était capable.

Ils rejoignirent un petit monticule de pierres dégagé de toute végétation, de quoi accueillir une bonne centaine de personnes si nécessaire. L'endroit donnait sur les environs et la vue portait assez loin. Tranit remarqua des feux de camp, des pitons plantés dans la roche.

Erwan expliqua que ce matin même, une trentaine d'enseignes et de jeunes officiers de l'Etxalar et du RCC étaient venus effectuer une séance de tir au fusil et suivre un petit cours.

Tranit posa son appareil à l'endroit prévu pour elle et Benwan aida Suwane à fixer les câbles de maintien au sol, alors que Tranit aidait Erwan à faire repartir un petit feu de camp. L'endroit était plaisant. Il faisait beau et bon.

Une simple brise balayait irrégulièrement le plateau, pas d'insectes ni d'autres animaux. Quelques oiseaux étaient visibles, surgissant des ronçailles alentours puis y replongeant pour ne plus que se faire entendre que par des gazouillis et piaillements.

Hormis l'ouest qui semblait plus gris, rien n'indiquait que du mauvais se préparait. Tranit se dit que cela serait un bon endroit comme un autre pour camper ou bavarder avec quelques amis après une journée de chasse.

Elle aurait certainement gardé cette impression si l'autre kañv n'était finalement pas arrivé pour y débarquer une quinzaine d'enseignes, les plus jeunes du Barcus et de l'intendance d'Erwan.

Une quinzaine de gamins d'à peine seize ans subitement rendus muets par la présence de leur prophète. Adacie, qui avait piloté elle-même, les laissa et partit avec une petite douzaine de pilotes et de copilotes de son escadron pour une séance de tir.

Erwan accueillit les jeunes enseignes et leur fit signe de se préparer un petit en-cas, alors que lui-même faisait signe à Tranit, Suwane et Benwan de le rejoindre auprès du feu.

— Avalons quelque chose de léger, ça sera mieux pour la suite. Je n'aime pas réfléchir le ventre vide, ça me met de mauvaise humeur.

Si Erwan avait annoncé qu'ils allaient faire des calculs, Tranit se serait certainement arrangée pour disparaître ; les nombres l'embrouillaient quelque peu.

Mais Erwan, qui savait que de nombreuses personnes étaient ainsi, semblait en avoir l'habitude.

Pour commencer ce qui était un cours de navigation, de nav comme aimait le dire Adacie, il donna quelques définitions. Tranit savait que cela concernait les cartes, la cartographie.

Elle avait vu les nombreux rapports établis après la découverte de la Barcusane, les dessins tracés et leur utilisation avec la boussole.

Ça, au moins, Adacie lui en avait un peu parlé. Mais Erwan ne cherchait pas à leur apprendre à lire une carte. C'était quelque chose, tous autant qu'ils étaient maintenant, qu'ils étaient capables de déchiffrer.

Benwan lui aussi s'était assez vite familiarisé avec les dessins tracés par ses officiers et ses adjoints fournis par Erwan. Lui aussi ayant beaucoup lu de livre comme Tranit, parfois les mêmes ouvrages, n'était pas effrayé par la représentation d'un terrain sur un quartz, dessiné par terre ou sur une feuille.

Le système utilisé par Erwan était plus précis, comportait bien plus d'indications que ce qu'il avait pu rencontrer, mais c'était un système. Tant qu'Erwan en resta aux cartes, Tranit n'eut pas grand-chose à lui reprocher. Parler d'amer, de direction, utiliser la montre, c'était finalement compréhensible, bien que pas trop évident à mettre en œuvre.

Quand Erwan montra un sextant sorti de sa propre musette de combat et annonça qu'il fallait l'utiliser avec le soleil, Tranit grimaça un peu. Elle trouva, comme par hasard, un tel instrument dans sa musette et vit qu'il comportait de nombreuses indications chiffrées.

Les explications fournies par Erwan étaient assez simples, viser le soleil en restant bien droit, faire coïncider les deux images en manipulant l'engin ; c'était une technique à apprendre.

Bon, ils étaient en fin d'après-midi et Erwan recommandait d'utiliser le sextant aux environs de midi, lorsqu'on voulait calculer la latitude, mais pour une première approche, cela passait. Pourtant, l'engin avec ces graduations, sa conception, surprenait. Ce n'était pas quelque chose d'ici.

Tranit avait ressenti moins d'effroi en découvrant le pistolet long d'Adacie que cet outillage de laiton destiné à remplir un mystérieux rituel. Et pourtant depuis qu'elle connaissait Adacie, elle avait dû entendre ce mot sextant un nombre incalculable de fois sans jamais le voir.

Benwan comme Suwane semblaient penser de même. La jeune écuyère avait un avantage. Elle passait beaucoup plus de temps avec Adacie et les pilotes, aussi les avait-elle souvent vus faire le point, comme ils disaient, pour estimer leur position exacte ou bien noter ces informations pour établir une carte.

Tout cela s'apprenait en écoutant quelques chansons d'apprentissage et Tranit voyait bien que les enseignes avaient bien retenu leur leçon. À chaque fois qu'Erwan en interrogeait un, celui-ci se mettait au garde-à-vous et clamait sa réponse à haute voix. Tranit s'amusa en se disant qu'ils se préparaient à passer un examen de sergent instructeur pour gueuler de cette façon.

Ce qui finalement la choqua et l'empêcha de réfléchir plus longuement fut quand Erwan annonça que leur terre était ronde et qu'elle tournait autour du soleil.

Le soleil que tous imaginaient tourner autour de leur monde, ils savaient tous ça puisqu'on le leur avait appris depuis leur plus tendre enfance, était en fait au centre. Tous les autres astres tournaient autour.

Les jeunes enseignes semblaient l'avoir déjà entendu, l'avoir déjà accepté, cela venait d'Erwan, leur prophète ! Mais Tranit et ses deux compagnons restèrent bouche bée. Les rapides coups d'œil qu'ils échangèrent leur confirmèrent qu'ils étaient dans le même état d'esprit.

D'où Erwan sortait-il cette idée saugrenue ? Prophète ou pas, il y avait des limites à ce qu'on pouvait dire !

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Vixii

Les Larmes de Tranit - 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant