CHAPITRE CENT VINGT-CINQ .7

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— Le Mas d'Azil est riche, c'est vrai, et très peuplé. Nous parlons de plus de deux cent mille habitants. Il y a bien une demi-douzaine de seigneuries alentour qui doivent une assistance militaire à la cité et au service des Imprenables. Doublons la population ! Quatre cent mille personnes dont probablement un quart peut être appelé à la guerre. Cinq mille personnes pour les forteresses, cela ne fait qu'un vingtième, mais c'est encore beaucoup d'argent à dépenser. Même si le Fossat, le suzerain de la région, commerce beaucoup, possède des mines avec quelques filons fort profitables, je ne crois pas qu'ils puissent mobiliser en permanence autant d'hommes.

— Tu compares avec les terres de ton père, n'est-ce pas ?

— Oui, fit Erwan. Et je peux t'affirmer que si les terres de Père sont bien plus petites, elles sont beaucoup plus riches depuis que j'ai réorganisé certaines activités. Père et ses vassaux directs ne gardent en permanence que trois mille hommes d'armes pour une population au moins dix fois plus nombreuse. C'est deux fois moins qu'ici et c'est encore cher. Pas seulement en argent, mais aussi en force vive qui ne travaillent pas. Toutes les seigneuries montagnardes ont besoin d'un maximum de travailleur pour engranger les provisions, chasser, produire.

Erwan fit signe qu'il y avait encore bien d'autres éléments, mais cela était suffisant pour éclairer la situation.

— Je crois vraiment que les garnisons sont maintenues à un niveau plus faible parce qu'ils pensent avoir le temps de donner l'alerte en cas d'invasion. Les Sentinelles dont nos amis vont s'occuper d'ici peu et les Imprenables qui sont appuyées par des fauconniers, ceux dont Alwine a tué un cadet pendant l'embuscade.

— Donc dans tous les cas, nous aurons l'élément de surprise avec nous et l'avantage du nombre et de la puissance de feu. Même s'ils sont en alerte, tous les postes de garde fournis.

— Oui. Dès qu'ils se rendront compte de l'attaque, ils feront venir des renforts de la cité. Mais ils auront besoin d'une de nos heures au moins pour envoyer un contingent de renfort.

— Au moins, oui, confirma la jeune femme et même probablement plus.

— C'est pour cela que, dès que tu auras neutralisé le chemin de ronde intérieur, tu devras porter ton effort sur la tour ouest qui protège le passage entre les deux forteresses.

Tranit replongea dans les détails du plan mis au point avec ses officiers. La poussée, la puissance de feu principale, visait justement à occuper au plus vite le chemin de ronde intérieur puis la tour sud-ouest, les deux éléments défensifs les plus dangereux.

Pour la seconde forteresse, les groupes d'assaut de l'Etxalar allaient faire de même : neutraliser le chemin de ronde intérieur puis la tour sud-est. Les tours nord-est et nord-ouest ne comportaient presque aucune artillerie à leur sommet, mais quelques informations faisaient état de quelques meurtrières à leur base capable d'interdire l'accès au long défilé de quatre cents toises.

Par contre, les deux remparts est et ouest ne représentaient aucun danger. Dès que les troupes de Tranit auraient neutralisé ces trois points, la cavalerie s'y engouffrerait pour occuper le terrain et donner le temps à Awèl de faire intervenir son infanterie.

Les remparts nord des Imprenables étaient dépourvus de défenses et ne représentaient aucun danger pour des assaillants ayant franchi les défenses. Tranit pourrait ensuite prendre le temps nécessaire pour nettoyer les lieux de toute opposition, il n'y aurait aucun souci.

Les mille deux cents hommes sélectionnés dans les deux régiments, dont six cents équipés d'armes à feu, fusils ou pistolets, pouvaient affronter facilement un ennemi deux voire quatre fois plus nombreux. Le Barcus et l'Etxalar pouvaient encore fournir quatre à cinq cents combattants un peu moins expérimentés pour tenir des points vitaux pendant que leurs camarades poursuivraient l'attaque.

Tranit savait bien que cela serait vraiment une très longue journée, mais avec tout le travail fourni par ses officiers, toutes leurs cogitations, elle pensait qu'ils s'en sortiraient finalement vainqueurs et qu'ils auraient accompli l'impensable.

Elle finissait de recopier une liste de tâches secondaire à faire vérifier par ses adjoints quand un hussard, cette fois-ci, entra dans le chariot d'Erwan, les yeux brillants et une plaquette de cire à la main.

— Message TOP, votre seigneurie. 10-41 pour 218 !

C'était l'heure. L'assaut était lancé. Erwan désigna le haut.

— Merci, lieutenant. Mes respects à l'amiral et à sa disposition pour entamer la remontée.

Le jeune officier de permanence repartit à toute allure ne remarquant pas les visages livides de Tranit et d'Erwan. Ce dernier s'alluma un autre bâtonnet à fumer, alors que Tranit rangeait ses documents, ne sachant quoi dire ni que faire d'autre. Erwan poussa un profond soupir et alla chercher une mallette de cuir dont il sortit une petite fiole.

— Pour moi, il est hors de question de dormir avant que tout ne soit terminé, mais toi, Tranit, j'ai besoin de toi dans le meilleur état possible pour l'après. Les Sentinelles prises, les navires débarqueront toutes nos troupes un peu plus haut avant d'aller chercher les empôtés de l'armée de Saert. Toi, tu vas me conduire tes troupes jusqu'au Durban sur Arize, juste derrière le massif d'Allières.

— Je sais, fit la jeune femme, se souvenant bien du trajet tracé dans les montagnes du Fossat. Dix-huit lieues dans un relief accidenté, à la merci du vent, du froid. Deux jours, trois au plus pour arriver en position. Récupérer le plus rapidement possible pour lancer l'attaque.

Erwan lui montra la fiole.

— Ce n'est pas honnête pour toi parce que je suis certain que tu te préoccupes de savoir ce que font Adacie et Suwane. Mais j'ai besoin que tu dormes.

— Une potion somnifère ? demanda Tranit, quelque peu inquiète.

— Oui. Excellente. S'il te plaît.

Tranit avisa le long fauteuil pliant dans lequel elle avait déjà dormi.

— J'imagine que cela sera moins pénible que d'attendre.

Erwan confirma d'un signe de tête.

— Je suis déjà assez épuisé alors si toi aussi tu restes à mes côtés dans cet état, je crains que nous commencions à dire ou faire des conneries. Je vais faire transmettre ces documents au Barcus. Tes officiers se chargeront de tout revérifier.

Tranit dégrafa son ceinturon puis ôta sa veste d'uniforme. Elle s'approcha du fauteuil dans lequel elle s'allongea avec une certaine satisfaction. Elle avala les quelques gouttes de la potion qu'Erwan lui servit dans une petite cuillère et s'enroula dans la douce couverture de fourrure qu'il lui tendit.

Tranit respira longuement, profondément, sourit au jeune homme qui la regardait en souriant puis ferma les yeux. Elle était tellement épuisée que dès la troisième respiration elle dormait déjà, avant même que le somnifère ne fasse son effet.

Erwan, lui, se servit une nouvelle tasse de chicorée qu'il hésita à corser de quelques gouttes d'eau de vie, avant de renoncer. Il avait besoin d'une nouvelle douche et d'un massage. Il avait trop fumé, trop bu. Un peu plus et il vomirait à la moindre tension.

Il rejoignit le chariot des adjointes de Darlène, alors que le catamaran tremblait en se dégageant de son mouillage. L'amiral avait finalement décidé d'entamer la remontée. Les heures suivantes allaient être passionnantes, mais aussi angoissantes à souhait.

* * *

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Vixii

Les Larmes de Tranit - 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant