CHAPITRE CENT VINGT-CINQ .6

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Erwan poussa un profond soupir et lorsqu'il s'alluma une clope, Tranit vit que sa main tremblait.

Il ne put le cacher son soulagement et désigna l'extérieur.

— Tu comprends pourquoi nous ne pouvons rien dire ni manifester ?

— Pour les autres ? Pour les rassurer ?

— Oui ! Nous savons, nous ne sommes donc pas impressionnés quand les nôtres réalisent un exploit à des lieues de nous. Tous attendaient ce message. Les navires vont faire mouvement maintenant et gagner une première zone d'attente. Quand mes dragons vont attaquer, dans moins de sept heures, nos catamarans vont s'élancer pour remonter la Garonne. Nous devrions atteindre la confluence de Rieux Volvestre avec l'Arize peu après la capture des forteresses. Les lacs commingeois, comme ils les appellent. Une succession de plans d'eau relativement calme qui va nous faciliter les choses.

— Une remontée en pleine nuit ?

— Oui ! Dans le pire des cas, si nos gens n'ont pas encore capturé les Sentinelles, nous pourrons envoyer quelques renforts.

— Tu as envisagé combien de fins possibles pour cette opération ? lui demanda la jeune femme.

— Plusieurs, avoua Erwan. De la plus favorable à la plus horrible. Je ne peux pas me permettre de ne pas y penser. Toi aussi, pour tes opérations, tu ne peux pas éviter d'envisager le pire ?

Tranit fit signe qu'elle comprenait. Erwan resta un court instant absent, comme s'il pensait à quelque chose puis lui montra les documents.

— Mettons-nous au travail ! Le temps passera plus vite et nos soucis s'éloigneront pour quelque temps !

Tranit approuva ! Il ne pouvait y avoir d'autre solution.

Elle relut à haute voix ce qu'ils avaient établi comme situation initiale et ce qu'ils supposaient être l'état de leur objectif. Tout en l'écoutant, Erwan parcourait les fiches concernant les forteresses puis lisait à Tranit les informations complémentaires apportées par son dragon.

Tranit souligna les points qui se trouvaient confirmés, entoura ceux pour lesquels les précisions étaient favorables. Finalement, le seul point restant en suspension était le temps que les défenseurs pouvaient mettre pour rejoindre le chemin de ronde en cas d'alerte.

Néanmoins, Erwan était assez confiant pour que ce laps de temps soit bien supérieur à celui que les kañvs mettraient pour approcher leur objectif. Même si dans le pire des cas leur arrivée était connue et qu'un guetteur découvrait leur première vague d'assaut, celle-ci disposerait d'un ciel dégagé.

Ils poursuivirent la mise à jour de leur plan de bataille. Le chemin de ronde sud comportait quatorze toureleaux dans lesquels se trouvait une baliste en pièces détachées et une douzaine de traits inflammables, pour faire face à une attaque d'oiseaux de proie. Cela signifiait une équipe de cinq hommes par machines, plus des aides, des renforts.

Dans les trois tours qui possédaient balistes, trébuchets et lances-flammèches, on pouvait espérer des équipes de vingt hommes. Raisonnablement, Tranit parlait d'expérience, cela signifiait un maximum de cent cinquante hommes.

Pour un rempart de plus de neuf cents toises de long, ce n'était finalement pas énorme. À Outre-berge, en cas d'alerte, il fallait compter un combattant toutes les deux toises. Il en allait de même à Maubourguet et dans les quelques seigneuries que Tranit connaissait

La milice, dans ces cas, intégrait les volontaires, les ouvriers. Mais c'était pour un bourg ou un château normal, pas une forteresse censée interdire l'accès aux annezus à des hordes barbares sans équipement.

Erwan lui dit qu'elle pouvait doubler le nombre prévisible de défenseurs, cela ne changeait rien à la situation initiale. Le rempart était déserté. Hormis les inspections tous les quinze jours, on n'y maintenait pas d'alerte.

Les hommes devaient la plupart du temps se trouver au niveau du chemin de ronde intérieur, celui donnant accès aux soixante-cinq lance-flammèches perçant l'immense rempart à mi-hauteur.

À ce sujet, les hommes d'Erwan avaient finalement appris quelques petites choses intéressantes. Chaque arme était opérée par une équipe de trois hommes seulement et regroupée en une batterie de cinq.

Quatre jours plus tôt avait eu lieu un exercice de tir et seulement treize armes avaient fait feu, chacune à leur tour. Un tir d'exercice permettant de vérifier que le chef de pièce savait lire son champ de tir.

Les dragons avaient repéré quelques petits reliefs dont les soldats se servaient pour ajuster leur visée. Entre deux cents et huit cents toises, tout le terrain pouvait être balayé efficacement.

À moins de deux cents toises des remparts, c'était les deux tours aux extrémités qui faisaient saillants et pouvaient prendre les attaquants en enfilade. De plus, la tour est de la seconde forteresse avait une vue imprenable sur cet espace.

Donc on pouvait compter sur quatre cents hommes sur cette position. Le tout était de savoir si toutes les pièces étaient servies en même temps. Erwan fit de petits calculs sur des bouts de papier et grimaça.

— Si nous considérons seulement ton objectif, la forteresse principale, cela demande donc en permanence une garnison d'au moins mille deux cents hommes. Au minimum.

Moi, je compterais bien trois cents hommes de plus pour les autres remparts, pour le service courant de cette caserne. Disons aussi un millier d'hommes pour la seconde forteresse. Deux mille à deux mille cinq cents hommes qui doivent monter la garde pendant une saison ? C'est ce que nos sources en ville nous ont appris.

Même si ces hommes ne font que cela, c'est donc près de cinq mille hommes immobilisés en permanence dans la région uniquement pour ce service. C'est très cher ! Je ne crois pas que des seigneurs accepteraient de si lourdes dépenses. Combien de compagnies actives à Outre-berge, Tranit ?

— Trois actives et trois de réserves pour une population de cinq mille personnes. Maubourguet qui est bien dix fois plus peuplée que nous dispose de quatre fois plus de troupes que nous, avec une cavalerie professionnelle aussi, ce qui correspond à six pelotons de chasseurs du Barcus.

— Deux compagnies permanentes et les renforts des nobles alentours, de quoi monter un voire deux escadrons. Et les notables ne se plaignaient-ils jamais de coût de leur sécurité ?

Le sourire de Tranit fut éloquent. Il n'y avait dû avoir aucun conseil sans que quelqu'un ne fît une réflexion sur les dépenses militaires. Erwan sourit aussi, il s'attendait à une telle réaction. Il pointa le plan des Imprenables qu'ils avaient tracés avec toutes les informations obtenues et poursuivit.

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Vixii

Les Larmes de Tranit - 6Où les histoires vivent. Découvrez maintenant