Camp de base du Durban, 1er messidor, 04.00
Il n'y avait que le grincement des armatures de bois qui dérangeait l'atmosphère concentrée dans cette salle de réunion. Dehors, il faisait froid et sombre, mais les hommes étaient déjà réveillés depuis près d'une heure. Les cuisines, abritées du vent et de tout regard inquisiteur étaient au travail depuis encore plus longtemps pour préparer le dernier repas des hommes avant l'attaque.
Erwan reposa les dernières feuilles fournies par les transmissions et se tourna vers son sénéchal qui lui servait cette fois-ci de secrétaire. Le vieil homme commençait à fatiguer, mais les autres étaient dispersés partout ou bien réellement morts de fatigue.
— Voilà, sénéchal. Awèl a confirmé que toute son infanterie était à pied d'œuvre. Les chemins ont été reconnus. Dès que nous leur donnerons le signal, ils grimpent. La cavalerie alliée est bien contrôlée par nos hommes. Ils se mettront en route d'ici deux heures. On garde l'idée de midi comme moment d'arrivée.
Le chevalier se contenta d'entourer, pour confirmation, certains signes tracés sur une immense feuille de papier recouverte par une vitre de verre épais. Erwan aimait bien utiliser ce système qui permettait d'imaginer des plans tout en économisant les cartes tracées au prix de tant de recherches que leur coût en était incroyablement élevé.
— Et pour...
Le sénéchal s'interrompit lorsqu'un jeune dragon entra dans la salle, le regard fiévreux.
— 41 pour 218, Mon Seigneur !
Sa voix était aussi rocailleuse que celle de ses aînés, mais ce dragon était l'un des rares enseignes issus des populations montagnardes. Il venait de bien plus loin, avait survécu à la traversée et à l'ascension du versant sud de la chaîne montagneuse. Il avait vu des horreurs inimaginables, survécu et trouvé Erwan. Il n'avait cédé que sur un point : comme il n'avait pas encore quatorze ans, il ne partirait pas au combat, mais c'était lui qui transmettait la plupart des messages concernant les dragons.
Erwan lui adressa un petit sourire.
— 10-04, enseigne.
Le gamin repartit aussi silencieusement qu'il était arrivé. Dans le dos des Imprenables, ses dragons s'apprêtaient à voler en pleine nuit pour s'emparer du sommet du donjon.
C'était le seul endroit d'où une résistance empêchant l'assaut de Tranit pouvait être menée. Six binômes allaient utiliser les parapentes pour se déposer sur le toit de l'édifice et en interdire l'accès.
Le donjon dominait toutes les autres constructions alentour. De plus, cela offrirait ensuite à Erwan un accès visuel direct sur la cité du Mas d'Azil qui se trouvait en contrebas. L'infanterie d'Awèl et la cavalerie de Saert devaient prendre position pour interdire l'accès des renforts, qui ne tarderaient certainement pas à être envoyés.
Erwan jugeait fort probable que les garnisons n'étaient pas complètes. Elles ne pouvaient pas l'être. Interdire les renforts et le ravitaillement rendait l'opération fort simple : le premier à ne plus avoir de combattants, de provision perdrait. Erwan escomptait bien être le gagnant. Pour finir cette stupide histoire de guerre, c'était l'essentiel.
Il faisait trop sombre pour voir les hommes se préparant avant d'embarquer dans les kañvs, pourtant son regard était en permanence attiré par là.
Il voulait en être. Il estimait devoir donner l'exemple et des souvenirs surgirent en lui. Des remembrances d'exercices, des combats menés avant qu'il n'arrive dans ce monde.
Erwan se rapprocha de la paroi vitrée que ses artisans avaient réussi à insérer dans l'une des bandes de toile imperméable composant la capote de son chariot, lui offrant souvent un large panorama à observer. Erwan remarqua des lanternes sourdes, des lumignons qui s'agitaient.
— Enseigne, signalez 10-04 pour Barcus Assaut, dit-il alors qu'il fouillait ses poches à la recherche de quoi fumer.
Il posa le front contre la vitre, prit par un long frisson qui le laissa sans force. Il vit une petite lumière clignoter en réponse à son message et il lui sembla même entendre des rires. Les fous ! Ils ignoraient vers quoi ils se précipitaient, mais comme il le leur avait demandé, ils étaient heureux.
Erwan aurait aimé être aussi inconscient. Qui pouvait-il suivre pour ne plus s'en faire ? Qu'il était doux parfois de ne suivre que les ordres et de ne se préoccuper de rien d'autre !
Il sentit une présence derrière lui et deux immenses mains se posèrent sur ses épaules. Une voix chaude lui réchauffa le cœur.
— Alors, gamin ! Tu ne peux pas t'empêcher de t'imaginer parmi eux ?
Erwan retint un sanglot puis se retourna pour s'enfouir dans l'accolade puissante et rassurante du roi Wélaxix.
— C'est de plus en plus pénible, mon oncle !
— Et tant que ça s'empirera, tu resteras humain ! Crois-moi ! Même après trente ans, c'est toujours aussi difficile.
Les deux hommes restèrent ainsi alors qu'une petite voix déchiffrait les messages qui continuaient à parvenir.
— Barcus 4 signale 41 pour 26 31. 77 pour 35 minutes. Barcus Assaut 2 signale 10-41. Etxalar Assaut signale 10-25...
Les kañvs s'apprêtaient à effectuer leur premier vol d'assaut.
Beaucoup de choses n'allaient plus pouvoir être comme avant.
L'étreinte du roi Wélaxix se raffermit. Il comprenait et comme Erwan ne pouvait que rester là, à attendre que d'autres accomplissent leur mission.
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Vixii
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Les Larmes de Tranit - 6
FantasíaDernier couplet (?) de cette aventure, Tranit part finalement en guerre. Un voyage peut-il se dérouler sans aucun incident lorsque des milliers d'hommes en armes errent dans les montagnes sans vraiment savoir où ils vont ? Avec un commandement errat...