Chapitre 30

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Durant quelques nuits froides dans ma chambre, j'ai eu le temps de réfléchir à la situation sous tous ses angles, et de m'imaginer dans le rôle de la belle-mère. Ce terme, et les obligations qui l'accompagnent, m'effraient. Même si, quelques soirées plus tôt, nous parlions d'un avenir familial, je ne suis pas prête à assumer ce rôle tout de suite.

Pire encore, mon aversion pour cette situation est amplifiée par le fait que cet enfant serait celui de cette satanée Monica Brooke.

Mais il y a aussi Isaac dans l'équation. Lui, avec qui j'ai encore tant à explorer. Le seul point d'ombre est que je ne suis pas certaine que nous soyons encore sur la même longueur d'onde.

Cartons en main, je rentre dans une des réserves de l'entreprise pour les entreposer. La porte s'ouvre une nouvelle fois dans la seconde. Mon cœur frémit quand je m'aperçois que c'est Isaac. Même si ça me soulage en partie de pouvoir enfin discuter, je me remets aussitôt à la tâche. Notre temps dans la réserve n'est ponctué que par le bruit, parfois chaotique, des caisses que j'entrepose.

— Tu es venu jusqu'ici pour ne rien dire ? demandé-je alors.

— Je parlerai quand tu seras disposée à me regarder.

Je pose le dernier carton et pivote dans son sens avec la ferme intention de ne pas le laisser m'amadouer avec des discours bancals.

— Tu as fui à la première difficulté, entamé-je en croisant mes bras sur ma poitrine.

— Je n'ai pas fui, tu as fait le choix de partir.

— C'est parce que tu as laissé entrevoir une porte de sortie.

— Parce que je n'ai pas le droit de te forcer à rester auprès de moi pour que tu portes un poids qui te rend la vie difficile !

L'austérité dont il fait preuve m'énerve. On ne devrait pas se crier dessus dans un lieu si près du monde, c'est pourquoi je continue de garder un ton modéré même si la touche de colère y est :

— Il ne t'est pas venu à l'esprit que je suis déjà trop attachée à toi pour m'en aller si vite ?

— Dans ce cas, tu aurais dû me rassurer.

— Non, tu aurais dû me rassurer ! m'exclamé-je.

Il soupire profondément, serrant les mâchoires.

— C'est ta vie qui est la plus chamboulée de nos deux vies, c'est toi qui devais me dire que ça ne changeait rien à notre relation, clamé-je froidement. Moi, j'ai suivi le flot, j'ai calqué mes réponses sur ton insensibilité parce que c'est la seule chose qui m'empêchait d'être blessée dans mon orgueil.

Isaac semble se soumettre au récent calme qui est doucement en train de reprendre le contrôle dans la pièce. Moi aussi. La combativité s'éclipse progressivement de nos yeux respectifs.

— J'aime ce qu'on a toi et moi, et je ne veux pas le perdre. Si j'ai eu l'air insensible, c'est parce que je gère mal cette pression, et j'ai cru que tu m'en rajoutais davantage. Alors j'ai...

Il se tait de lui-même. Au son de son soupir, je comprends qu'il change son fusil d'épaule :

— Ayons une discussion d'adulte, déclare-t-il calmement. Qu'est-ce que tu penses de cette nouvelle ? Tu souhaites faire ce sacrifice pour moi en seulement trois mois de relation ?

J'ai la réponse ; je l'ai formulé dans mes pensées tous les jours pendant trois soirs d'affilée.

— Je pense à quatre-vingts pourcents que je me sens apte à faire cette concession... pour nous, lui confié-je. Il me reste six mois pour voir le compteur grimper ou descendre.

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