Le Hobbit : À la reconquête de soi [Tome 1]

Chapitre XVIII : Le temps n'efface aucune blessure

« Cette chose toutes choses dévore :

Oiseaux, bêtes, arbres, flores ;

Elle mord l'acier, ronge le fer,

Réduit la pierre en poussière ;

Elle tue les rois, sème la ruine,

Abat montagnes et collines »,

Gollum, Le Hobbit, Chapitre V.

* * *

Le soleil se levait dans le ciel rosé de cette nouvelle journée d'été. Les animaux commençaient à se réveiller et l'agitation des maisons se faisait plus bruyante. Un chat apparut sur le bord de la fenêtre et sauta sur le sol en gravier avant de courir en direction de l'écurie. Un chien, allongé près du bétail, leva la tête lorsqu'il vit le félin traverser le village. Quelque part, une jument hennit avant de dresser les oreilles. C'est alors que des aboiements hargneux s'élevèrent partout autour des maisons.

Alertés par les animaux, leurs maîtres sortirent de leur demeure. Ils s'empressèrent de s'emparer de leurs outils pour se défendre, persuadés qu'ils allaient être pillés par des voleurs. Plusieurs fois ils avaient été attaqués, mais les villageois avaient toujours réussi à protéger leurs récoltes, bien maigres depuis quelques temps.

Kaïne sortit à son tour de sa maison, sa hache de bûcheron dans les mains. Il rejoignit un groupe de fermiers vivant non loin de là, prêts à donner les consignes lorsqu'un hurlement s'éleva au loin, tel un avertissement. Les pupilles de Kaïne se posèrent alors sur une silhouette à quatre pattes, immense et aussi noire que l'ébène, qui se détachait de l'ombre des arbres à plusieurs mètres de là. Si la plupart des villageois étaient persuadés que ce n'était qu'un simple loup, certains pensaient qu'il s'agissait de quelque chose d'autre.

De quelque chose de bien plus sordide.

Et de bien plus dangereuse.

Les cris des paysans s'élevèrent dans le village, armes levées, prêts à défendre leurs terres lorsque la silhouette disparut entre les arbres. Désormais invisible, la tension monta d'un cran parmi les fermiers. Le chef du village ordonna à tous les hommes de protéger les entrées et les récoltes. Quant aux femmes et aux enfants, ils devaient rester à l'intérieur des maisons sans jamais en sortir. Kaïne prit la direction de l'entrée Nord, déjà protégée par une dizaine de fermiers. L'homme observa les alentours et ordonna le silence. Autour d'eux, seuls les animaux aboyaient ou hennissaient. La silhouette était quelque part, tapie dans l'ombre, prête à bondir.

Prête à tuer.

Des hurlements s'élevèrent alors vers l'entrée Sud. D'abord lointains, ils se rapprochèrent, mêlant la peur et la douleur. Kaïne abandonna son poste et courut vers la place du village, où il découvrit un amoncellement de corps inertes.

Démembrés.

Éventrés.

Décapités.

Son visage se décomposait à chaque cadavre que rencontrait son regard. Sur le puits, le sang ruisselait là où gisait le corps du chef du village. Les cris ne cessaient de s'élever autour de lui, telle une cascade qui se déversait dans un violent courant.