Chapitre 2

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Sur une route de provence en hiver 2004.

J’avais 11 ans, je me trouvais à l’arrière de notre voiture, c’était ma mère qui conduisait, papa n’était pas là.  Je ne me souviens plus d'où nous venions, mais nous rentrions à la maison. 

Nous étions engagés sur la double voie à quelques kilomètres de notre arrivée. Devant nous, le trafic avait ralenti et s'était soudainement immobilisé. Ma mère avait dû faire un freinage d’urgence qui m'avait collé sur ma ceinture. La voiture de devant se rapprochait dangereusement et je me préparais au choc. Mais rien, nous avions évité l’accident à quelques centimètres près. Les voitures s'entassaient derrière nous et nous étions bloqués. 

Il faisait froid et la nuit était tombée. Je lisais une BD, mais l’attente se faisait de plus en plus longue.  En entendant les sirènes d’un véhicule d’intervention, j’avais lâché mon Picsou Magazine. Une patrouille de gendarmerie se frayait un chemin pour ouvrir la circulation et un camion des pompiers collait la voiture des gendarmes.  Le convoi s’était arrêté une centaine de mètres plus loin.   Trois minutes plus tard, une ambulance était passée juste à côté de nous pour les rejoindre.  Nous étions toujours bloqués, il était clair que l’accident ne permettait pas de circuler. Je fus surpris, lorsque 10 minutes plus tard, une deuxième patrouille de gendarmerie et une deuxième ambulance nous dépassèrent.

Bref, l’action était passée et je me replongeai dans ma BD. Nous avions attendu presque une heure avant que la circulation soit rétablie sur une voie. 

Arrivée à la hauteur de l’accident, ma mère m’avait demandé de ne pas regarder. Mais pour une fois qu’il y avait un peu d’action, je m’empressai de faire le contraire. Une des ambulances était déjà partie. Il n’y avait qu’un véhicule accidenté. C’était une Clio bleue qui s’était enroulée autour d’une berne, du côté conducteur. Le toit avait été découpé par les pompiers et placé à côté de la voiture. Quel spectacle!

Alors que nous allions enfin pouvoir passer, je prolongeais ma fantasmagorie en regardant par la lunette arrière. L’ignominie se présenta à moi sous la forme d'un petit autocollant collé sur la vitre du hayon de la Clio. Il représentait un âne. Horrifié par cette vision, je m’étais rassis correctement dans mon siège avant d’annoncer.

- Maman, la voiture, c’est celle de Léa!

Arrivée à la maison, ma mère avait immédiatement informé mon père de la collision. Il m’avait regardé d’un air sérieux et compatissant avant de décrocher son téléphone. J’avais pu écouter la moitié de la conversation:

- Bonsoir, c’est le docteur THOMAS. Avez-vous eu une admission suite à un accident de la route ?

- ...

- Combien de personnes ?

- ...

- Quel est le pronostic ?

- ...

- Pour qui ?

- …

- La famille est-elle sur place ?

- ...

- Préparez-moi un bloc et bipez-moi Antoine en urgence. 

Mon père avait vu mes larmes sur mes joues. Avec plein de compassion, il s’était mis à ma hauteur pour me dire:

- Écoute Alexandre, je dois partir rapidement. Léa va bien, elle a juste un bras cassé. Mais son frère est dans un état critique. 

Ma mère m’avait pris dans ses bras pour me réconforter. Ce soir-là, je pensais à Antonin 10 ans, le petit frère de Léa. L’attente était longue et je tournais en rond en guettant le retour de mon père. Il était plus d’une heure du matin quand il passa la porte de la maison. Son visage triste et fatigué laissait présager le pire.  Il avait jeté un regard vers ma mère qui en disait déjà trop. Finalement ses yeux se posèrent sur moi pour m'annoncer l'inconcevable:

- Mon chéri, je suis désolé, les nouvelles sont très mauvaises.  La maman de Léa est décédée sur les lieux de l’accident. Quant à Antonin, il avait une hémorragie cérébrale. Nous avons fait tout notre possible pour la résorber, mais cela n’a pas été suffisant.

- Tu veux dire qu’Antonin est mort aussi ?

- Oui, je suis désolé.

Je m’étais effondré, soutenu par ses bras. Il me souleva et me serra très fort contre lui. Des larmes coulaient sur son visage. Je ne l’avais jamais vu ainsi.

- Et Léa ?

- Elle va bien mais elle est très choquée.

- Je veux aller la voir !

- Non, pas….

- Si maintenant ! Je veux la voir !

- Calme-toi mon chéri, ils lui ont donné quelque chose pour dormir. Elle ne se réveillera pas avant demain. Ce soir ce n’est pas possible.

- Demain ?

- Oui, nous irons ensemble demain après-midi.

Mes parents me couchèrent difficilement et j’avais fini par m’effondrer vers quatre heures du matin.

Le lendemain, j’avais pu voir Léa mais nous nous étions rien dit. Comme je ne trouvais pas les mots, j'étais resté à ses côtés. J’étais resté là, toute la journée, assis sur une chaise à côté du lit. Elle avait fini par me prendre la main.

Ce jour-là, en écoutant les conversations des adultes, j’appris également l’horreur que la fatalité pouvait nous imposer. Les premiers intervenants sur les lieux de l’accident étaient la patrouille de gendarmerie. Cette patrouille était composée d’un jeune gendarme et le deuxième était le père de Léa.

Suite au choc émotionnel, il avait été également hospitalisé trois semaines. Il avait mis plus d’un an avant de réussir à remettre son uniforme. 

La grand-mère de Léa s’était installée chez eux, c’est elle qui s’était occupée de Léa la première année.

J’ai également fait ce que je pouvais pour Léa du haut de mes onze ans:

Je lui avais tenu la main tous les jours à l'hôpital.

Je lui avais tenu la main quand le petit cercueil et celui de sa mère étaient descendus en terre.

Je lui avais tenu la main quand on lui avait enlevé son plâtre.

Je lui avais tenu la main quand son père était revenu à la maison.

Je lui avais tenu la main quand sa grand-mère vidait la chambre de son petit frère.

Je lui avais tenu la main pour son retour à l’école.

Depuis cette époque, nos mains étaient restées liées par un fil d’Ariane invisible. Je suis devenu son petit frère de substitution. Jamais je n’aurais pensé être un jour, un frère incestueux.


Le Garçons Perdus (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant